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La stratégie bleue d’Olymel

« Pour nous, l’eau est primordiale au même titre que les animaux qui rentrent dans nos usines. On ne peut pas s’en passer », dit en entrevue téléphonique Vincent Guimond-Hébert, directeur principal du développement durable chez Olymel, le plus gros exportateur et producteur de viande de porc et producteur de volailles au Canada.

Ceci est la deuxième partie d'un dossier de cinq articles.



Le cœur de l’entreprise, qui consiste en l’abattage potentiel de 130 000 porcs et de 2,5 millions de volailles par semaine, repose sur la gestion de l’eau dans ses systèmes de refroidissement, de réfrigération, de récupération de chaleur, de lavage à très haute température, de recyclage et de traitement des eaux usées sur la trentaine de sites en activité au Canada. Qui plus est, la chaîne de froid d’Olymel doit se poursuivre jusqu’à la livraison des coupes de viande de porc par conteneurs réfrigérés dans une soixantaine de pays, dont le très exigeant marché qu’est le Japon.

En 2022, l’eau totale consommée par Olymel se chiffrait à plus de 9,2 millions de m3 et à un peu moins de 8,9 millions de m3 en 2023. Ce volume équivaut à la consommation résidentielle annuelle d’une ville de 95 000 habitants1 comme Brossard. À l’échelle canadienne, le volume d’eau requis par Olymel est une goutte d’eau dans l’ensemble des besoins des transformateurs agroalimentaires au pays (plus de 500 millions de m3)2.

« Notre eau n’est pas gratuite. On paye des redevances gouvernementales pour les volumes utilisés dans chaque usine et des taxes municipales pour les volumes d’eau à traiter utilisés », poursuit Vincent Guimond-Hébert.

La gestion de l’eau touche directement le portefeuille de l’entreprise qui doit soumettre des rapports mensuels sur sa consommation d’eau potable et la qualité de ses eaux de rejet aux ministères de l’Environnement provinciaux où sont situées ses usines, soit au Québec, en Saskatchewan, en Alberta ou dans les Maritimes. Il y a une double raison de gérer efficacement l’or bleu : environnementale et économique.

« Grâce au recyclage du même litre d’eau, on économise 40 % de l’eau à l’usine de Saint-Esprit », spécifie Alexandre Harvey, chargé de projet en traitement des eaux chez Olymel. L’abattoir de Saint-Esprit, qui traite 8000 porcs par semaine, est l’entreprise vedette en matière de gestion de l’eau du réseau de l’entreprise. C’est l’absence d’accès à un réseau municipal et le manque d’eau des puits artésiens locaux qui ont mené l’abattoir à recycler et à traiter l’eau le long de sa chaîne de production. Des investissements judicieux dès 2017 dans des équipements technologiques, y compris des filtres par osmose, permettent de générer une eau potable qui est réinjectée dans les opérations de l’usine.

Le prix de l’énergie, la grande inconnue

Si la disponibilité et le prix de l’eau peuvent être une source d’inquiétude pour faire tourner un abattoir, il en va aussi pour le prix de l’énergie. Le Québec a la chance de compter sur ses barrages pour alimenter les transformateurs agroalimentaires en énergie propre et durable à bas coût : l’hydroélectricité.

Avant la pandémie de COVID-19 (déclarée en mars 2020), le gouvernement caquiste avait jonglé avec l’idée d’indexer le coût de l’électricité au taux d’inflation (plus de six pour cent en 2021 et 2022), ce qui a provoqué l’ire des 550 transformateurs membres du Conseil de la transformation alimentaire du Québec (CTAQ), dont Olymel et Lassonde, le plus gros producteur nord-américain de jus et de boisson de fruits et de légumes, sont membres. En commission parlementaire3, les représentants des deux entreprises et celui du CTAQ avaient vertement dénoncé l’initiative qui, selon eux, mettait en péril leur capacité concurrentielle. Le secteur de la transformation alimentaire, faut-il le rappeler, est le premier secteur manufacturier de la province, emploi 175 000 personnes, génère plus de 30 milliards $ de chiffres d’affaires par an et transforme 70 % de la production agricole de la province.

L’idée d’indexer le coût de l’électricité à celui de l’inflation a été abandonnée depuis, mais le débat est relancé avec la démission du super ministre Pierre Fitzgibbon en septembre dernier et son projet de réforme énergétique (projet de loi 69). Dans l’objectif de convertir la province « en batterie verte de l’Amérique du Nord », l’actuel gouvernement entend moderniser le réseau et doubler la capacité actuelle d’Hydro Québec.  Il est question de moduler les tarifs entre les usagers pour financer des investissements estimés entre 155 et 185 milliards d’ici 2050. L’affaire est à suivre4.

« Aujourd’hui, Olymel n’a pas de tarifs préférentiels comme les alumineries à Saguenay–Lac-Saint-Jean. On suit les tarifs d’affaires L et M d’Hydro-Québec5 », poursuit Vincent Guimond-Hébert. Mais comme pour l’eau, on cherche à diminuer les coûts de l’énergie en misant sur les programmes gouvernementaux pour réduire la demande durant les pointes de consommation.

« On fonctionne avec des réfrigérateurs et des congélateurs dans nos usines et on a installé des systèmes qui permettent de réduire notre consommation d’électricité durant les pics hivernaux ou encore durant les canicules aux moments où les Québécois se lèvent entre 6 h et 9 h et aux heures où ils reviennent à la maison entre 17 h et 20 h », ajoute Vincent Guimond-Hébert.

Le résultat se calcule chaque année en centaines de milliers de dollars en prime de gestion de puissance au Québec et en plus d’un million de dollars pour l’abattoir de Red Deer en Alberta en 2023 seulement. « Les primes sont plus généreuses en Alberta parce que l’électricité, produite à partir d’énergie fossile, y est beaucoup plus chère qu’au Québec », explique Vincent Guimond-Hébert.

Sécuriser l’approvisionnement du liquide vital

À une époque où l’année 2024 s’apprête à battre le record de chaleur jamais enregistrée sur la planète en 2023, Olymel ne peut pas se permettre qu’une usine comme Saint-Esprit manque d’eau pendant quelques heures. Idem pour les 12 000 truies logées dans les cinq maternités des Fermes Boréales en Abitibi-Témiscamingue, une région qui, comme le reste du Québec, est appelée à connaître des canicules prolongées. Aussi, l’entreprise a négocié des contrats prioritaires avec des fournisseurs d’eau potable qui peuvent en livrer dans un délai de plus ou moins quatre heures sur ses sites.

Chose certaine, dans ce climat de surchauffe planétaire, la quantité et la qualité de l’eau disponible sont appelées à être l’enjeu du XXIe siècle pour les filières porcines québécoises et canadiennes et leurs concurrentes américaines, européennes, russes, chiliennes, brésiliennes ou vietnamiennes. Outre la productivité et les taux de change favorables aux exportations, les gagnants seront ceux qui gèrent le mieux l’or bleu par porc abattu ou par kilogramme de côtelette.


Olymel en quelques chiffres

Chiffres d’affaires : 4,5 milliards $
Capacité d’abattage : 130 000 porcs et 2,5 millions de volailles par semaine
Nombre d’employés : 12 000
Exportations dans plus de 65 pays
30 usines et centres de distribution

Source : https://www.olymel.ca/fr/entreprise/qui-sommes-nous/



1 https://cdn-contenu.quebec.ca/cdn-contenu/adm/min/affaires-municipales/publications/infrastructures/strategie_quebecoise_eau_potable/rapport_usage_eau_potable_2021.pdf 
2 Eau 101, Institut canadien des politiques agroalimentaires (ICPA), mars 2023, Nicolas Mesly, Al Mussell, Angèle Poirier 
3 https://www.assnat.qc.ca/fr/video-audio/archives-parlementaires/travaux-commissions/AudioVideo-82017.html 
4 Le projet de loi 69 sera débattu en chambre cet automne sous la responsabilité de Christine Fréchette qui a remplacé Pierre Fitzgibbon aux commandes du ministère de l’Économie, de l’Innovation et de l’Énergie. Le premier ministre François Legault, lui, s’est engagé à ce que les tarifs résidentiels ne dépassent pas 3 % par année. Quelle sera la facture pour les autres usagers? 
5 https://www.hydroquebec.com/affaires/espace-clients/tarifs/

Photo de Steve Meyer par Nicolas Mesly



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Nicolas Mesly

Nicolas Mesly est journaliste, agronome (agroéconomiste) et photographe. Les associations de presse du Canada ont récompensé son travail journalistique et photographique à plus de 30 reprises. Auteur, conférencier, documentariste, il collabore entre autres au Coopérateur, à l'émission radio Moteur de recherche/SRC et il est correspondant canadien pour le journal La France Agricole.
nicolasmesly@gmail.com
Nicolas Mesly est journaliste, agronome (agroéconomiste) et photographe. Les associations de presse du Canada ont récompensé son travail journalistique et photographique à plus de 30 reprises. Auteur, conférencier, documentariste, il collabore entre autres au Coopérateur, à l'émission radio Moteur de recherche/SRC et il est correspondant canadien pour le journal La France Agricole.