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Gérer l’eau à la ferme, c’est payant!

Deuxième secteur économique du monde agroalimentaire de la province, la production porcine québécoise, en majorité dépendante des marchés internationaux et de l’assurance stabilisation des revenus agricoles (ASRA) pour sa pérennité, jouit d’un avantage hors radar au moment où la Terre cuit sous un dôme de GES : l’eau.

En effet, la quantité et la qualité de l’or bleu vont redéfinir le commerce agricole international et la production nationale d’ici 2050-2100. Comment le plus gros producteur et exportateur canadien de viande de porc, Olymel, et les 2600 éleveurs de la province s’y préparent-ils?

Ceci est la première partie d'un dossier de cinq articles.


 
« On pense souvent que l’eau est une ressource illimitée au Québec, mais on se rend compte que dans certaines régions qui subissent des sécheresses de plusieurs semaines en été, on peut en manquer. Or, sans boire en période de canicule, un porc à l’engraissement est condamné à mort en moins de 48 heures », raconte Sébastien Turcotte, agronome au Centre de développement du porc du Québec (CDPQ). Avec ses collègues, ce dernier a effectué une étude fouillée sur les besoins en liquide vital dans les élevages du Québec1

De grandes quantités d’eau sont utilisées dans une ferme porcine et le volume et son usage varient énormément selon le type d’élevage : maternité, pouponnière, engraissement, voire sevrage-vente. L’étude du CDPQ a porté sur 236 entreprises, et les chercheurs ont ausculté 62 d’entre elles en détail : des équipements de distribution d’eau aux types d’aliments utilisés en passant par les systèmes de ventilation, de refroidissement et de lavage.

En amont, la majorité de l’eau utilisée en production porcine est celle nécessaire aux cultures, principalement de maïs et de soya pour alimenter les bêtes. À la ferme, 80 % de l’eau utilisée sert à abreuver les animaux, 10 % à 15 % au refroidissement, 5 % à 10 % sert au lavage des installations et 1 % à l’usage domestique (biosécurité : toilettes, douches, lavage de mains).

Engraissement : des gains économiques importants

Dans un engraissement de 1500 places en tout-plein/tout-vide, l’utilisation de bols conventionnels versus de suces pour abreuver les bêtes réduit le gaspillage d’eau de 22 % révèle l’étude du CDPQ. Par ailleurs, posséder un équipement de détrempage et de lavage des installations à l’eau chaude versus aucun détrempage et un lavage à l’eau froide diminue l’utilisation d’eau de 46 %. Tout cela réduit le volume de lisier à épandre, plus de 1000 m3 par an, soit des économies de coût d’épandage de plus de 4000 $ ou un peu moins de trois dollars par place (calcul basé sur un coût d’épandage du lisier de 3,89 $/m3)2, calcule Sébastien Turcotte, avec, en prime, une diminution des émissions de GES.

Selon l’expert, la stratégie la plus rentable en prévision des canicules est d’investir dans des équipements de refroidissement tant au niveau des porcs que des truies. Les porcelets en pouponnière, eux, ont besoin de plus de chaleur, ils sont donc moins affectés en période de canicule.

« Les porcs diminuent la quantité d’aliments qu’ils mangent quand il fait très chaud. L’objectif est qu’ils ne réduisent pas leur consommation de moulée pour conserver leur gain journalier. On est capable de créer un environnement “sans canicule” grâce à des systèmes de refroidissement comme le goutte à goutte ou l’aspersion », affirme l’expert.

Au bout du compte, la consommation d’eau utilisée dans les systèmes de refroidissement et la consommation journalière normale des porcs sont égales à celle surutilisée en période de canicule. « Un porc va boire six à huit litres d’eau par jour en hiver. En été, sa consommation peut croître du double au triple, parce qu’il consomme plus d’eau pour combler ses pertes dues à l’augmentation de son rythme respiratoire et il va gaspiller de l’eau pour essayer de s’arroser et de se rafraîchir », souligne Sébastien Turcotte.

Arroser les porcs permet donc d’améliorer le gain journalier des bêtes de 50 g/jour sur la durée totale de l’élevage. Autre avantage : cela permet de réduire la mortalité d’un pour cent ou la vente de 15 porcs supplémentaires à l’abattoir dans l’exemple de l’engraissement de 1500 places. L’agronome calcule qu’un scénario optimal qui combine les avantages d’un système de refroidissement, les économies d’épandage et les revenus supplémentaires permet un gain de 6139 $/an ou un peu plus de quatre dollars par bête.

Faut-il avoir une réserve d’eau à la ferme ?

Oui, répond le chercheur, surtout si, historiquement, le producteur a manqué d’eau à la ferme. « Pour ce qui est de la maternité, je crois que c’est essentiel », dit-il. Les écarts d’utilisation d’eau de lavage de différentes maternités en cage étudiées passent par exemple de 77 litres à 383 litres, soit le quintuple!

Cette énorme différence est surtout attribuable à l’expérience du laveur. Les maternités doivent être lavées 13 fois par année. L’opération est très importante parce qu’elle permet de couper le cycle des agents pathogènes et d’offrir un milieu sain aux porcelets.

Dans le scénario en maternité du CDPQ, soit un élevage de 1200 truies en bandes aux quatre semaines avec des truies gestantes logées en groupe, la gestion de l’eau s’avère aussi payante. L’emplacement stratégique des suces dans la trémie ou leur remplacement par des bols dans la gestation en groupe ont permis des économies d’eau de plus de 43 %. Quant au lavage à l’eau chaude, avec l’utilisation d’un savon et le détrempage au préalable de la salle, cette pratique a engendré une économie d’eau de 46 %. Sébastien Turcotte et son équipe calculent que la réduction et l’optimisation de l’eau ont un impact sur le volume de lisier à épandre. Cela se traduit par une économie annuelle de près de 7000 $ ou près de six dollars par truie, un gain récurrent loin d’être négligeable par les temps qui courent.

Arroser les truies en groupe à l’aide de gicleurs ou les truies en lactation à l’aide d’un système goutte à goutte est une bonne stratégie pour amenuiser les effets de la chaleur intense. « Dans un cas comme dans l’autre, ça évite les mortalités. En lactation, la truie rafraîchie avec un système de goutte à goutte va moins diminuer sa consommation d’aliments lorsqu’il fait plus de 22 °C. Résultat : un poids de sevrage plus élevé des porcelets et un meilleur état de chair de la truie, donc une meilleure fertilité et une augmentation du nombre total de porcelets nés à sa portée subséquente », indique Sébastien Turcotte.

Le chercheur et son équipe ont abattu un travail phénoménal. En plus d’un rapport fouillé, des fiches synthèses et des capsules vidéo sont accessibles en ligne ainsi qu’une série de scénarios sur l’évolution du climat dans certaines régions du Québec.

« Un éleveur qui fait une gestion judicieuse de l’eau dans son entreprise est gagnant sur toute la ligne », conclut Sébastien Turcotte.

 

1 Rapport final : Déterminer les facteurs favorisant une utilisation durable de l’eau et mesurer l’utilisation de l’eau à l’échelle des fermes porcines du Québec, Sébastien Turcotte, agr, responsable - bâtiments et régie d’élevage, Gabrielle Dumas, agr, chargée de projets, Marie-Aude Ricard, ing, chargée de projets, CDPQ, février 2023.
2 CRAAQ, 2018, indexé 2022

Photo : CDPQ



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Nicolas Mesly

Nicolas Mesly est journaliste, agronome (agroéconomiste) et photographe. Les associations de presse du Canada ont récompensé son travail journalistique et photographique à plus de 30 reprises. Auteur, conférencier, documentariste, il collabore entre autres au Coopérateur, à l'émission radio Moteur de recherche/SRC et il est correspondant canadien pour le journal La France Agricole.
nicolasmesly@gmail.com
Nicolas Mesly est journaliste, agronome (agroéconomiste) et photographe. Les associations de presse du Canada ont récompensé son travail journalistique et photographique à plus de 30 reprises. Auteur, conférencier, documentariste, il collabore entre autres au Coopérateur, à l'émission radio Moteur de recherche/SRC et il est correspondant canadien pour le journal La France Agricole.