Aller au contenu principal

L’Ukraine au centre des préoccupations des États-Unis et de l’Europe

(Cet article fait partie du dossier L'agriculture aux États-Unis, paru dans le Coopérateur de septembre 2023.)

Les représentants des deux plus grands producteurs et exportateurs de produits alimentaires de la planète, le secrétaire américain à l’Agriculture Thomas Vilsack et le commissaire européen à l’Agriculture et au Développement rural Janusz Wojciechowski, ont fait le tour des enjeux de la planète agricole lors du 99e Forum sur les perspectives agricoles de l'USDA tenu à Arlington en Virginie en février 2023 et auquel quelque 5000 personnes assistaient en mode présentiel et virtuel. 

La relation entre les deux superpuissances agricoles est complexe parce que les États-Unis et l’Union européenne (27 pays) sont à la fois clients l’un de l’autre et concurrents dans les mêmes marchés, tout en collaborant dans la lutte aux changements climatiques. Les deux blocs sont parfois à couteaux tirés sur les standards de la science et leurs implications commerciales, soit par exemple les maximums résiduels de pesticides, l’emploi de la biotechnologie comme les OGM et la venue toute récente d’édition de gènes CRISPR, ou encore les normes de bien-être animal, perçues comme des barrières non tarifaires par les Américains. 

Toutefois, c’est la guerre de la Russie contre l’Ukraine déclenchée le 24 février 2022 et qui fait toujours rage qui a préoccupé au plus haut point les deux représentants, tant pour des raisons économiques que politiques. 

Les agriculteurs européens et américains sont au cœur des « quatre S » névralgiques selon Janusz Wojciechowski qui s’exprimait en anglais, soit :

  • Security (sécurité) : dans le monde actuel, le concept de sécurité vaut tant pour la sécurité alimentaire que pour la sécurité militaire;
  • Sustainability (durabilité)  : pour une agriculture durable dans le respect de l’environnement et en réponse à la lutte aux changements climatiques;
  • Stability (stabilité)  : le besoin d’un terreau économique et de revenus stables pour les agriculteurs, afin d’avoir des entreprises prospères qui répondent à la demande sociale ;
  • Solidarity (solidarité)  : dans le contexte géopolitique actuel, les États-Unis et l’Union européenne sont les plus grands donateurs d’aide alimentaire.

Polonais d’origine, Janusz Wojciechowski a profité de sa tribune pour dire que la Russie ne s’arrêterait pas à l’invasion de l’Ukraine. « Il y a eu l’invasion récente de la Géorgie, puis celle de l’Ukraine. Mon pays a vécu 250 ans sous le joug russe avec toutes les conséquences que cela implique », a expliqué celui dont le pays partage une frontière avec l’ours russe. Et il a remercié le gouvernement américain pour son aide militaire à l’Ukraine (et à l’OTAN) et souligné l’apport des producteurs américains à la sécurité alimentaire mondiale. 

En février, le commissaire européen prévoyait que l’Ukraine produirait en 2023 moins de la moitié des quelque 100 millions de tonnes de céréales qu’elle produisait avant l’invasion russe. Les deux hommes ont évoqué l’importance de l’accord parrainé par les Nations Unies (et la Turquie) sur les exportations ukrainiennes de céréales par l’entremise de la mer Noire pour éviter une crise alimentaire1.

Cet accord signé en juillet 2022 entre la Fédération de Russie et l’Ukraine devait être renouvelé tous les six mois. Il a permis de réduire de 23 % la flambée record du prix des denrées au moment de l’invasion. L’entente permet à la Russie, un exportateur majeur d’engrais azotés, de ne pas être frappée de sanctions tarifaires par les pays importateurs (le Canada, lui, maintient ses tarifs).

« La guerre de la Russie en Ukraine s’est traduite par une difficulté d’approvisionnement en engrais et une augmentation des coûts de production pour les producteurs américains », a souligné Thomas Vilsack. Ce dernier a indiqué infuser un demi-milliard de dollars US pour développer l’industrie nationale afin de ne plus dépendre des engrais russes. L’annonce survient cependant dans un contexte de lutte aux changements climatiques et du besoin de réduire la fertilisation azotée, une des grandes responsables des émissions de GES.

Les deux hommes ont aussi abordé la fonte comme neige au soleil du nombre de producteurs dans les deux régions du monde, la concentration des entreprises, l’âge élevé des exploitants et le besoin de définir ce qu’est « une ferme familiale ». « Nous sommes passés de 12 millions de fermes à neuf millions de fermes, soit une chute de 25 % depuis 2010 », a indiqué le commissaire européen, alors que la Politique agricole commune (PAC) fête ses 61 ans d’existence. Le phénomène est encore plus accentué aux États-Unis où une minorité d’entreprises et de grandes fermes produisent la majorité de la production et perçoivent aussi la majorité des aides publiques. « Nous avons besoin d’un autre modèle », a indiqué Thomas Vilsack à la veille de l’adoption de la nouvelle politique agricole 2023-2028. 

Photo : iStock | piotr_malczyk


Note

1 Au moment de mettre sous presse, l'accord céréalier entre la Russie et l'Ukraine sous l'égide des Nations unies et de la Turquie n'avait pas été renouvelé par la Russie.


TEXTES DU DOSSIER L'AGRICULTURE AUX ÉTATS-UNIS

Quelle sera la prochaine politique agricole américaine 2023-2028?
À quoi ressemblera le Farm Bill 2023-2028?
Plaidoyer pour une agriculture intelligente face au climat
L'Ukraine au centre des préoccupations des États-Unis et de l'Europe

Nicolas Mesly

Nicolas Mesly est journaliste, agronome (agroéconomiste) et photographe. Les associations de presse du Canada ont récompensé son travail journalistique et photographique à plus de 30 reprises. Auteur, conférencier, documentariste, il collabore entre autres au Coopérateur, à l'émission radio Moteur de recherche/SRC et il est correspondant canadien pour le journal La France Agricole.
nicolasmesly@gmail.com
Nicolas Mesly est journaliste, agronome (agroéconomiste) et photographe. Les associations de presse du Canada ont récompensé son travail journalistique et photographique à plus de 30 reprises. Auteur, conférencier, documentariste, il collabore entre autres au Coopérateur, à l'émission radio Moteur de recherche/SRC et il est correspondant canadien pour le journal La France Agricole.