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À quoi ressemblera le Farm Bill 2023-2028?

(Cet article fait partie du dossier L'agriculture aux États-Unis, paru dans le Coopérateur de septembre 2023.)

Les aides consacrées aux producteurs américains sont régulièrement remises en question par plusieurs ONG et économistes, parce qu’au bout du compte, ce sont les plus gros producteurs et les mêmes associations qui en bénéficient. Même le secrétaire à l’Agriculture Thomas Vilsack s’interroge sur la pertinence de ces aides que perçoivent une minorité de producteurs, soit 15 % des deux millions de fermes sur le territoire américain. Mais cette minorité produit 85 % de la production.

Lors d’une série de conférences organisées par l’American Enterprise Institute For Public Policy Research1, un groupe de réflexion basé à Washington, plusieurs experts ont fait des analyses et tenté de prévoir ce que sera cette nouvelle politique. Celle-ci tourne autour de trois grands programmes.

1- Gestion des risques et soutien des prix2

Ce sont surtout les grands producteurs de maïs, de soya et de blé qui touchent les compensations de ces programmes. Elles sont octroyées en dollar/boisseau en fonction des superficies semées ou encore en fonction de la chute du prix des matières premières. Ces aides sont tributaires du prix des grains qui, eux-mêmes, sont déterminés tout d’abord par la météo, mais aussi par les conditions du marché international.

L’épidémie de COVID-19, la guerre commerciale déclarée à la Chine ou encore l’invasion de l’Ukraine par la Russie, le 24 février 2022, sont tous des événements qui ont influencé le prix des grains en yoyo, et donc les sommes perçues par les producteurs américains. Cela n’enraye rien au fait que ce sont les fermes de grande taille qui empochent la part du lion des subventions. Une somme de 7,2 milliards de dollars US est prévue pour ce programme dans la prochaine politique agricole.

« La concentration semble inévitable pour réaliser des économies d’échelle. Même dans la production laitière, nous n’avons pas réussi à protéger les petites fermes », dit Daniel A. Summer, professeur en économie agricole à l’Université de Californie à Davis. L’expert pointe le programme spécial de protection des marges des fermes laitières mis en place par le département américain de l’Agriculture. En dix ans, au Wisconsin, le nombre de fermes est passé de 11 155 fermes à 6116 fermes en 2023, une perte de près de 50 %, soit l’équivalent d’une à deux fermes par jour. Pendant ce temps-là, les troupeaux ont grossi et produisent plus de lait avec moins de vaches, rapporte le journal Wisconsin Agriculturist3 en citant des données officielles.

2- L’assurance récolte, plus populaire!

C’est de loin le programme le plus populaire auprès des agriculteurs américains. Il offre une assurance contre les humeurs de Dame Nature : sécheresse, pluies diluviennes, grêles, etc. Instauré au début des années 1980 et couvrant 18,2 millions d’hectares, il compte en 2022 une couverture de près de 200 millions d’hectares. Ce programme d’assurance ne vise pas seulement les producteurs céréaliers, mais il englobe aujourd’hui les ranchers, les éleveurs et même des producteurs de porcs. Un des incitatifs à se procurer ce genre d’assurance est qu’elle facilite l’octroi de prêts par les banquiers : « Les banquiers ne peuvent pas exiger légalement qu’un agriculteur soit assuré pour obtenir un prêt ou une marge de crédit, mais disons que ça facilite les choses », souligne Joseph Glauber, ex-économiste en chef du département américain de l’Agriculture .

Le coût annuel de ce programme frisait les huit milliards de dollars lors de l’adoption de la dernière politique agricole. De cette somme, près de cinq milliards allaient aux producteurs et près de trois milliards étaient versés aux compagnies d’assurances pour offrir le service. « C’est un programme qui coûte très cher aux contribuables », ajoute l’économiste, auteur d’une étude fouillée sur la question4. Parmi les compagnies d’assurances qui bénéficient le plus de l’administration de ce programme se trouve l’American Farm Bureau, la plus puissante organisation de producteurs agricoles aux États-Unis, rapporte l’Environmental Working Group (EWG), une organisation qui traque les bénéficiaires des subventions agricoles.

3- Le programme de conservation 

C’est un vaste programme volontaire sous lequel les producteurs touchent une rente annuelle pour protéger l’environnement et la biodiversité, que ce soit pour préserver les milieux humides, les prairies, les sources d’eau potable ou encore pour prévenir l’érosion des sols. Des millions d’hectares sont ainsi mis de côté chaque année. Pour la prochaine politique agricole, le Service de recherche du Congrès prévoit une somme annuelle qui friserait les 10 milliards de dollars US dédiée à la conservation en puisant dans différentes sources de financement.

Dans l’optique de décarboner l’économie américaine, il n’est pas impossible qu’une partie des terres non cultivées à long terme servent un jour de puits de carbone aux grands pollueurs dans l’éventualité de la mise en place d’une bourse de carbone à l’échelle du pays. Mais il y a encore très loin de la coupe aux lèvres. Et l’accent mis sur les biocarburants fabriqués à partir de maïs ou de soya dans le New Deal du président Biden risque de contrecarrer les efforts de conservation des sols.  
« Le débat nourriture contre biocarburants des années 2007-2008 refait surface aujourd’hui, cette fois avec l’ajout de la captation de carbone. Cela me préoccupe pour la sécurité alimentaire », prévient Joseph Glauber.

Quoi qu’il en soit, il est bien difficile de savoir si la nouvelle politique agricole américaine 2023-2028 et son budget seront adoptés avant Noël, car démocrates et républicains sont à couteaux tirés. Qui plus est, 2024 est une année d’élection, avec le possible retour de l’ex-président qui a déjà été fort populaire auprès d’une majorité de producteurs américains, Donald Trump. 

Photo : iStock | OceanFishing


Notes

1 Vincent H. Smith, Eric J. Belasco, Joseph W. Glauber, Barry K. Goodwin, The 2023 Farm Bill: Rational Commodity Price and Income Support Programs.
2 ARC and PRC https://www.fsa.usda.gov/Assets/USDA-FSA-Public/usdafiles/FactSheets/2022/fsa_arc_plc_factsheet_101922.pdf
3 Wisconsin dairy farm number drops again
4 Joseph W. Glauber, The Growth of the Federal Crop Insurance Program, 2010–22


TEXTES DU DOSSIER L'AGRICULTURE AUX ÉTATS-UNIS

Quelle sera la prochaine politique agricole américaine 2023-2028?
À quoi ressemblera le Farm Bill 2023-2028?
Plaidoyer pour une agriculture intelligente face au climat
L'Ukraine au centre des préoccupations des États-Unis et de l'Europe

Nicolas Mesly

QUI EST NICOLAS MESLY
Nicolas Mesly est reporter, photographe et agronome (agroéconomiste). Les associations de presse du Canada ont récompensé son travail journalistique et photographique à plus de vingt reprises. Il est chroniqueur économique, entre autres à la radio de la Société Radio-Canada.

nicolas@nicolasmesly.com

QUI EST NICOLAS MESLY
Nicolas Mesly est reporter, photographe et agronome (agroéconomiste). Les associations de presse du Canada ont récompensé son travail journalistique et photographique à plus de vingt reprises. Il est chroniqueur économique, entre autres à la radio de la Société Radio-Canada.