Plaidoyer pour une « agriculture intelligente face au climat » pour renflouer les petits et moyens producteurs
(Cet article fait partie du dossier L'agriculture aux États-Unis, paru dans le Coopérateur de septembre 2023.)
« Les producteurs américains ont connu deux années de revenus nets records en 2021 et 2022 (près de 200 milliards $ US/an), mais qui en bénéficie ? À peine 10 % d’entre eux. Plus de la moitié des producteurs ont connu un revenu négatif et 40 % d’entre eux doivent travailler à l’extérieur de la ferme pour joindre les deux bouts1 », lance Thomas Vilsack, secrétaire à l’Agriculture lors du 99e Forum sur les perspectives agricoles de l'USDA 2023 tenu à Arlington, en Virginie, en février 2023 et dont le thème était « Les semences de la croissance par l’innovation ».
Les États-Unis comptent deux millions de fermes et le rythme de la concentration des entreprises inquiète certains politiciens et économistes agricoles. Car non seulement les revenus agricoles se concentrent chez une poignée d’entreprises, il en va de même pour les subventions et programmes administrés par le département américain de l’Agriculture (USDA). L’intervention du secrétaire américain à l’Agriculture survient au moment où d’intenses tractations se déroulent au Congrès pour l’adoption du budget de la prochaine politique agricole 2023-2028.
Le secrétaire Thomas Vilsack veut changer la tendance vers le gigantisme des fermes en finançant « une agriculture intelligente face au climat ». « Nous sommes à un moment pivot », a-t-il indiqué. L’objectif est d’enrayer le choix entre irrémédiablement grossir son entreprise ou sortir du secteur.
Comment ? En diversifiant les sources de revenus des petites et moyennes entreprises. Par exemple, en payant les producteurs pour des services environnementaux par l’entremise de marchés de carbone ou d’un marché de l’eau tout en développant un système de certification accréditant la transaction.
Une grande partie de ce financement pour verdir l’agriculture américaine provient du budget discrétionnaire du secrétaire, soit celui de la Commodity Credit Corporation, évalué à 30 milliards de dollars US par an et qui n’a pas à être renégocié chaque année par le Congrès. « Le secrétaire Thomas Vilsack est critiqué parce qu’il veut diminuer les programmes de soutien existants pour verdir l’agriculture, ce qui ne fait pas l’affaire de certains groupes de producteurs qui voudraient conserver les subventions existantes et en plus bénéficier de ces aides vertes. C’est comme vouloir le beurre et l’argent du beurre », analyse Joseph Glauber, ex-économiste en chef du département américain de l’Agriculture. Il ajoute que l'ancien président Trump avait puisé dans le même budget discrétionnaire pour dédommager les producteurs américains dans sa guerre commerciale avec la Chine.
Toutefois, le secrétaire Thomas Vilsack peut compter sur une série de lois et de budgets titanesques promue par son patron, le président Joe Biden, pour relancer l’économie américaine et où les plus petits producteurs sont appelés à jouer un rôle, notamment pour sécuriser les chaînes d’approvisionnement. Par exemple, le budget de la Loi sur la réduction de l’inflation (2022) « permet de promouvoir l’expansion de petits abattoirs de porcs ou de volailles ou encore l’achat local auprès des producteurs par 5000 écoles », a-t-il indiqué.
« On se dirige vers une économie biosourcée qui va assurer des revenus aux producteurs, que l’on songe à la possibilité de fabriquer du biobitume à partir de soya, d’instaurer des bioréacteurs à la ferme pour produire de l’énergie afin d’alimenter ses propres opérations ou celles de la communauté », a-t-il ajouté, en invoquant cette fois la Loi sur l’investissement dans les infrastructures et l’emploi (2021). Dotée d’un budget de 1,2 billion (trillion en anglais) de dollars US, cette loi vise à sevrer l’économie américaine de sa dépendance au pétrole et au gaz.
Dans cette optique, les États-Unis mettent pleins gaz sur la production de biocarburants. Plus gros producteur et exportateur de maïs au monde, les Américains ont amorcé la production d’éthanol-maïs à la fin des années 2000. Aujourd’hui, plus de 40 % de la production du petit grain jaune est destinée à alimenter le parc automobile américain avec une essence E15, c’est-à-dire qui contient 15 % d’éthanol. Ceci semble paradoxal au moment où Washington veut troquer le moteur à combustion pour le moteur électrique. « Il y aura une place importante pour du biocarburant éthanol-maïs destiné à l’aviation, car on ne verra pas des avions électriques voler de sitôt », soutient à la blague le secrétaire Thomas Vilsack.
L’administration Biden compte aussi sur la production de biodiesel fabriqué à partir de soya, en subventionnant son coût de production auprès des raffineries. La mesure devrait indirectement encourager les céréaliers à produire encore plus de cet oléagineux. Près de 50 % de la production de soya aux États-Unis est déjà consacrée au biodiesel.
Reste à voir si toutes ces mesures contribueront à exaucer les vœux du secrétaire Thomas Vilsack, soit développer une agriculture résiliente face au dérèglement climatique tout en favorisant le maintien des petites et moyennes fermes.
Photo : iStock | Ron and Patty Thomas
Note
1 La journaliste Sarah Mock relativise ces chiffres dans son livre The Rise and Fall of the Small family Farm, car selon elle, bon nombre de producteurs américains exploitent de petites fermes et travaillent à l’extérieur par choix tout en bénéficiant de réductions d’impôts liées à l’exploitation de la ferme.
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