Aller au contenu principal

Quelle sera la prochaine politique agricole américaine 2023-2028?

Les États-Unis sont notre premier partenaire commercial avec un commerce agricole bilatéral équilibré de 60 milliards $. Mais où en sont les producteurs américains après la pandémie de COVID-19, une guerre commerciale avec la Chine, l’invasion de la Russie en Ukraine et à l’aube de l’adoption d’une nouvelle politique agricole quinquennale 2023-28? Et quelles sont les répercussions pour nos entreprises de ce côté-ci de la frontière alors que se pointe une élection présidentielle en 2024? 

Ce dossier « L'agriculture aux États-Unis » repose sur une entrevue de fond réalisée avec le réputé économiste agricole américain Joseph Glauber et le Forum sur les perspectives agricoles de l'USDA 2023, soit la conférence annuelle sur les perspectives agricoles du département américain de l’Agriculture.

Les origines des politiques agricoles américaines

Un peu d’histoire sur cette politique d’abord. Si la planète baigne aujourd’hui dans un monde en pleine crise climatique et géopolitique, le phénomène n’est pas nouveau. La première politique agricole américaine a vu le jour en 1933. Elle faisait partie du New Deal, un immense plan de relance économique promu par le président Franklin D. Roosevelt au lendemain de la Première Guerre mondiale (1914-1918).

C’est qu’à l’époque, la demande de céréales américaines est amorphe, plombée par la Grande Dépression et le tristement fameux Dust Bowl ou « bassin de poussière ». Les producteurs américains ont abusé de la charrue et quelques années consécutives de sécheresse ont converti leurs terres en un monstrueux nuage de poussière, recouvrant un paysage de fin du monde : touffes d’herbes virevoltant dans les prairies parsemées de cadavres de bêtes desséchées. Elles ont été des milliers de familles à fuir leur ferme du Midwest et du Texas pour s’exiler vers la Californie1,2

Cette première politique agricole visait surtout à racheter les surplus de production et à stabiliser le prix des céréales. Peu de temps après, les autorités introduiront des mesures de conservation des sols pour éviter un autre désastre écologique. 

Depuis Franklin D. Roosevelt, le Congrès américain a adopté 18 politiques agricoles. Elles se sont bonifiées avec le temps. Elles comprennent des programmes de soutien des prix et des revenus, de gestion des risques, d’assurance récolte, de conservation, de prêts, de mise en marché, etc.

La dernière politique agricole (2018-2023) a été adoptée lorsque le magnat de l’immobilier Donald Trump occupait la Maison-Blanche.

Les dollars Trump

Le monde a bien changé sous l’ex-président Donald Trump durant ses quatre années au pouvoir (2017-2021). Ce dernier a entrepris une coûteuse guerre commerciale avec la Chine qui a eu des répercussions au Canada, notamment sur nos exportations de viande de porc et de canola vers l’empire du Milieu. 

Malgré tout, la Chine demeure le premier client des producteurs américains et le deuxième pour les producteurs canadiens. Mais les producteurs américains, eux, ont touché des aides records surnommées « les dollars Trump », engrangées notamment par les producteurs de soya, sans compter les aides liées à la pandémie de COVID-19. En tout, c’est plus de 50 milliards $ US qui ont été octroyés aux producteurs américains.

« Ces sommes ont été investies dans de la machinerie, de la technologie, des étables ou des porcheries ou encore dans l’achat de terre. C’est certain que cela procure un avantage concurrentiel aux producteurs américains! » dit en entrevue téléphonique Joseph Glauber, ex-économiste en chef du département américain de l’Agriculture (USDA, 2008-2014) et aujourd’hui chercheur invité sénior à l’International Food Policy Research Institute, basé à Washington.

C’est donc cette année, en 2023, sous l’actuel président Joe Biden, que se joue la prochaine politique agricole américaine. Son budget est plus important que le revenu annuel de la province de Québec : plus de 140 milliards $ US par année, selon les estimations du bureau du Congrès américain.  

Mais attention! Plus des trois quarts de cette somme, soit plus de 120 milliards $ US, n’aident pas les producteurs américains. Ce montant phénoménal, connu sous le nom de SNAP (Supplemental Nutrition Assistance Program), est plutôt consacré à aider les foyers les plus démunis de la société américaine, comme les mères monoparentales. Aux États-Unis, en 2022, dans le pays le plus riche de la planète, plus de 43 millions de personnes, soit plus que la population canadienne, ont touché des bons alimentaires pour mettre du pain sur la table. Il faut dire aussi que l’épidémie de COVID-19 a contribué au recours à l’aide alimentaire.

Graphique SNAP

« On peut s’attendre à ce que le prochain Farm Bill soit âprement discuté entre les clans démocrates qui privilégient le SNAP et les républicains qui veulent le sabrer », observe Joseph Glauber. Car cette nouvelle politique agricole se discute au moment où, tout comme le président Franklin D. Roosevelt et son New Deal, le président Joe Biden a fait adopter par la Chambre des représentants une série de lois dotées de budgets titanesques qui se comptent par milliers de milliards de dollars US.

L’occupant de la Maison-Blanche entend décarboner l’économie américaine, moderniser les infrastructures du pays – routes, ponts et chemins de fer –, combattre une inflation record qui plombe le revenu des travailleurs ainsi que renforcer les chaînes d’approvisionnement pour ne plus dépendre du grand rival, le dragon chinois. Les producteurs trouvent leur compte dans ce virage sociétal, notamment avec une hausse prévue de la production d’éthanol-maïs et de soya destiné à la fabrication de biodiesel – du carburant vert – pour lutter contre les changements climatiques.

Photo : iStock |diane555


Notes

1 Cette époque est superbement racontée dans le roman de John Steinbeck Les raisins de la colère.
2 Le Canada a aussi connu son « bassin de poussière » dans le triangle de Palliser, une région semi-désertique qui comprend une partie du sud de l’Alberta et de la Saskatchewan. Des milliers de producteurs canadiens ont dû abandonner leurs fermes. 


Textes du Dossier L'agriculture aux États-Unis

Quelle sera la prochaine politique agricole américaine 2023-2028?
À quoi ressemblera le Farm Bill 2023-2028?
Plaidoyer pour une agriculture intelligente face au climat
L'Ukraine au centre des préoccupations des États-Unis et de l'Europe

 

Nicolas Mesly

Nicolas Mesly est journaliste, agronome (agroéconomiste) et photographe. Les associations de presse du Canada ont récompensé son travail journalistique et photographique à plus de 30 reprises. Auteur, conférencier, documentariste, il collabore entre autres au Coopérateur, à l'émission radio Moteur de recherche/SRC et il est correspondant canadien pour le journal La France Agricole.
nicolasmesly@gmail.com
Nicolas Mesly est journaliste, agronome (agroéconomiste) et photographe. Les associations de presse du Canada ont récompensé son travail journalistique et photographique à plus de 30 reprises. Auteur, conférencier, documentariste, il collabore entre autres au Coopérateur, à l'émission radio Moteur de recherche/SRC et il est correspondant canadien pour le journal La France Agricole.