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Relations commerciales internationales : Les yeux tournés vers l’Asie

Au jeu des relations commerciales internationales, le Canada a-t-il bien joué ses cartes pour positionner son secteur agroalimentaire? Retour en arrière et perspectives d’un milieu pris entre les feux de la mondialisation et de la géopolitique.



« C’est là que le marché se passe », déclare Patrick Leblond, professeur en affaires publiques et internationales à l’Université d’Ottawa, en parlant de l’Asie.

Il considère que la région a plus de potentiel par rapport au marché très mature de l’Europe, tout en étant sous-exploitée de la part des entreprises canadiennes. Les produits agroalimentaires canadiens ont également à ses yeux d’excellents atouts pour percer dans la région.

Selon Martin Lavoie, président-directeur général du Groupe Export agroalimentaire, des gains importants ont été réalisés avec le PTPGP. Le sirop d’érable fait une belle percée au Japon, tout comme le porc et le soya québécois. Les petits fruits tels que la canneberge et le bleuet s’exportent bien. « On a un portfolio varié, qui est en complémentarité par rapport aux marchés plus traditionnels du Québec », estime-t-il.

Le défi repose plutôt sur la capacité des entreprises québécoises à fournir du volume, d’après Martin Lavoie. Selon des chiffres de Québec, 18 % des exportations bioalimentaires québécoises prenaient en 2022 la route du marché asiatique.

Les tourteaux de canola, les viandes et abats de bovins, l’orge et les crustacés font partie des produits canadiens ayant enregistré une des plus fortes croissances de leurs exportations.

La concurrence y est féroce, que ce soit de la part de l’Australie, de la Nouvelle-Zélande ou des États-Unis. Le Canada représente un bien petit joueur. Seulement 4 % des importations bioalimentaires en Asie provenaient du Canada en 2022,  la Chine et le Japon étant les marchés principaux.

« Le marché seul ne fonctionne pas. Il faut de l’accompagnement et une présence sur le terrain », avance M. Leblond.

L’Asie a fait l’objet d’efforts particuliers pour le Canada qui a ouvert récemment un bureau commercial à Manille aux Philippines et à Jakarta en Indonésie.

André Lamontagne s’est également rendu au Japon en 2023 lors de l’événement Foodex. « Quand un ministre se déplace, c’est très bon pour la compréhension de plusieurs éléments qu’on ne pourrait pas saisir autrement. Ça aide aussi à établir des contacts pour les entreprises. Les dynamiques changent parfois, comme c’est le cas avec les Philippines où notre commerce augmente », explique Martin Lavoie.

Il faut saisir les occasions offertes par ce marché qui connaît les plus fortes croissances de la population mondiale et de la classe moyenne, lesquelles sont accompagnées d’une demande accrue pour des protéines, fait remarquer Krishen Rangasamy, directeur des services économiques chez Financement agricole Canada. Des produits, comme le porc québécois, ont vu leurs ventes augmenter en Corée du Sud ou aux Philippines pendant que le marché chinois s’effondrait.

Le Canada peut cependant compter sur certains avantages, dont la qualité de ses produits qui est reconnue mondialement, avancent plusieurs des experts consultés. « Je suis optimiste, même si c’est difficile de percer en Asie », déclare M. Rangasamy.

Grande puissance recherche grands marchés

Malgré le portrait plus que mitigé des années d’ouverture des marchés et les pertes assumées par le secteur agroalimentaire, le Canada a réussi à tirer son épingle du jeu, estime M. Leblond. Les discussions avec la Grande-Bretagne en sont un bon exemple. Dans ce cas, c’est le Canada qui a « le gros bout du bâton », illustre-t-il, puisque c’est la Grande-Bretagne qui doit renégocier ses ententes après le Brexit.

Le renforcement des liens entre le Mexique et les États-Unis reflète quant à lui une transition normale puisque les accords de libre-échange accentuent l’intégration des économies nord-américaines, selon les experts. La main-d’œuvre à meilleur marché attire les investissements et permet de contourner les règles protectionnistes américaines.

Martin Lavoie appuie ce point de vue. « Il existe une complémentarité entre nos secteurs agroalimentaires, comme dans la production de légumes. Le Québec ne peut produire à l’année mais en même temps, la production en serre se développe beaucoup ici. »

Rien n’est cependant acquis, que ce soit pour le Québec ou le Canada. Des pays, comme le Brésil, occupent de plus en plus de place dans le commerce du soya, du maïs, du porc et du bœuf, en concurrence directe avec le Canada. « Notre pays gagnerait grandement à améliorer sa productivité pour être plus compétitif sur le marché international et ne pas se faire rattraper par les puissances moyennes », indique Patrick Leblond.

Les tensions géopolitiques sont également plus vives que jamais. Malgré plusieurs tentatives, les négociations avec l’Inde ont échoué sur fond de tensions politiques entre les deux pays. « L’Inde est cependant reconnue pour être extrêmement protectionniste et tous les pays qui tentent d’intégrer son marché le font de manière symbolique », nuance M. Leblond.

Et dans le jeu des négociations, les questions politiques et idéologiques ne sont jamais loin, comme le démontre le vote au Sénat français contre l’AECG au mois de mars 2024. Bien que l’accord soit largement favorable à l’Union européenne, le sentiment est contre l’ouverture des marchés, estime Marcel Groleau, ancien Président de l'Union des producteurs agricoles. « L’Europe est dans une dynamique de reconquête de son marché », dit-il.

Une exemption du secteur agroalimentaire dans les ententes commerciales?

Si l’ancien président de l’UPA estime que l’ouverture des frontières était essentielle en 1989 pour donner accès au monde aux richesses naturelles du Canada, il juge que l’abandon des barrières tarifaires aux importations agroalimentaires lors de la création en 1991 de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) a été une erreur.

Il plaide aujourd’hui pour une exception du secteur lors des prochaines rondes de négociations. « Le secteur agricole est vulnérable dans une économie de marché avec des produits périssables et la situation est partout pareille. Un pays devrait pouvoir se protéger avec une production locale minimale pour maintenir une agriculture diversifiée, avec le marché qui dicte trois, quatre productions principales. »

Les ententes de libre-échange sont un jeu de négociation, fait toutefois remarquer M. Lebond qui doute que le secteur agroalimentaire puisse être mis complètement à l’écart des discussions. La nature des partis au pouvoir, l’imminence d’élections ou les enjeux idéologiques sont des éléments qui entrent en ligne de compte. « Le contexte politique et économique joue beaucoup dans le jeu des négociations. Le Canada a toutefois développé une très bonne expertise en négociation et ne fait de cadeau à personne », indique l’expert.

Le Canada doit miser sur ce qui fait sa renommée, soit ses produits de qualité, pour percer d’autres marchés et tirer profit des ententes existantes, croit M. Rangasamy. « Le Canada s’est bien positionné avec les différentes ententes signées. Il est une puissance agroalimentaire et c’est une belle carte à jouer. »



Les accords de libre-échange du Canada

PTPGP : L’Accord de partenariat transpacifique global et progressiste est entré en vigueur le 30 décembre 2018 dans six pays : Canada, Australie, Japon, Mexique, Nouvelle-Zélande et Singapour. Le 14 janvier 2019, le PTPGP est devenu effectif au Vietnam et le 19 septembre 2021 au Pérou.

AECG : Entré en vigueur en septembre 2017, l’Accord économique et commercial global est la principale entente de libre-échange du Canada avec ses 28 pays et plus de 500 de millions de consommateurs. Ce dernier a permis l’élimination des tarifs douaniers et la réduction de barrières non tarifaires.

ACEUM : L’Accord Canada–États-Unis–Mexique a remplacé en 2020 l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA) conclu en 1994.



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Photo d'en-tête : iStock.com | Suphanat Khumsap

Céline Normandin

QUI EST CÉLINE NORMANDIN
Détentrice d’une maîtrise en science politique, Céline est journaliste-pigiste auprès du Coopérateur. Et ce n’est pas par hasard si elle se retrouve aujourd’hui à couvrir le secteur agroalimentaire puisqu’elle a grandi sur une ferme laitière. Sa famille est d’ailleurs toujours active en agriculture. 

celine.normandin@videotron.ca

QUI EST CÉLINE NORMANDIN
Détentrice d’une maîtrise en science politique, Céline est journaliste-pigiste auprès du Coopérateur. Et ce n’est pas par hasard si elle se retrouve aujourd’hui à couvrir le secteur agroalimentaire puisqu’elle a grandi sur une ferme laitière. Sa famille est d’ailleurs toujours active en agriculture.