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Les accords de libre-échange, des avantages à géométrie variable

Au jeu des relations commerciales internationales, le Canada a-t-il bien joué ses cartes pour positionner son secteur agroalimentaire? Retour en arrière et perspectives d’un milieu pris entre les feux de la mondialisation et de la géopolitique.



L’entente signée avec l’Europe, l’AECG, est un bon exemple d’accord où les détails et la politique ont joué un rôle important.

Avec des assises dans l’ouest du pays, l’AECG s’est conclu avec comme angle mort le secteur laitier, surtout présent au Québec. Le délégué général du Québec à Bruxelles, Michel Audet, assumait ces impacts lors de l’entrée en vigueur de l’entente en 2017 en disant qu’il faudrait accepter les dommages collatéraux.

Les exportations bioalimentaires du Québec vers l’Union européenne (UE) montaient à 813 millions $ en 2022, un chiffre qui a peu bougé au fil des années. Si certains produits québécois se font une place en Europe, c’est notamment parce qu’ils ne trouvent pas leur équivalent là-bas, comme le sirop d’érable et les canneberges. Le porc québécois, bienvenu sur les marchés américains et asiatiques, n'y trouve pas preneur en raison des normes européennes.

Tableau 1


Martin Lavoie, président-directeur général du Groupe Export agroalimentaire, confirme que malgré les promesses, les secteurs du porc et du bœuf canadien ont peu profité de l’entente. Le secteur laitier canadien a pour sa part perdu 18 % de son marché.

Les commentaires du PDG sont validés par une étude pour l’année 2021 d’un comité européen chargé de surveiller les impacts de l’accord sur plusieurs secteurs tels que la viande bovine, porcine et de volaille. « Dans l’ensemble, les flux entre l’UE et le Canada sont faibles sur les produits sensibles identifiés. Les flux depuis le Canada vers la France sont encore plus limités, voire nuls pour certains. Le CETA (AECG) n’a donc pas eu d’effet sur ces filières. C’est en partie dû, par exemple pour la viande bovine, à l’absence de filière exportatrice dédiée au Canada », indique l’étude.

« L’Europe est un gros marché où les traditions sont importantes. Il faut avoir un angle particulier pour percer et voir à long terme », déclare M. Lavoie.

Qui perd gagne

Le Canada a dû fourbir ses armes de nouveau en 2016 lorsque le gouvernement américain a mis sur le tapis une renégociation de l’ALENA. À l’issue des négociations en 2020, un accès plus grand a été accordé ici aux produits laitiers américains.

Il s’agit d’un aspect du portrait global, plaide Martin Lavoie. « Soixante-neuf pour cent de nos exportations bioalimentaires vont aux États-Unis. Le renouvellement de l’ALENA n’a pas modifié nos échanges et s’inscrit dans la continuité, à part pour le secteur laitier. Mais notre balance commerciale est positive avec des exportations en hausse. »

Certaines analyses ont laissé entendre que le secteur agroalimentaire avait servi de monnaie d’échange pour conclure l’accord in extremis alors que les négociations achoppaient entre le Canada et les États-Unis.

Marcel Groleau, qui était à ce moment président de l’Union des producteurs agricoles (UPA), ne partage pas cette opinion. « Cela fait partie des méthodes de négociation pour fermer une entente, dit-il. Le Canada a accordé des concessions mineures avec des impacts limités pour la volaille et les œufs d’incubation. Pour le lait, des conditions ont été émises pour restreindre l’accès. C’était la seule façon de défendre notre secteur. Somme toute, on a poussé un soupir de soulagement dans le contexte de négociations entre Trump et Trudeau. »

M. Groleau attribue cette semi-victoire à la mobilisation du secteur agroalimentaire par la création de la Coalition pour la souveraineté alimentaire, qui a milité activement durant cette période. Le milieu a aussi réussi à gagner l’appui de la population canadienne.

Les efforts soutenus du secteur agricole ont également mené à l’adoption d’une loi (à l’étude présentement au Sénat) protégeant la gestion de l’offre, avec l’accord du Parti conservateur du Canada. L’impact de cette loi dépasse l’aspect symbolique, selon lui, parce qu’il prouve que le pays a des positions claires sur le sujet. « Et les autres pays le savent ».

Patrick Leblond, professeur en affaires publiques et internationales à l’Université d’Ottawa, voit d’un bon œil la formation d’une Équipe Canada, en préparation au renouvellement de l’ACEUM avec les États-Unis et le Mexique, une décision prise à quelques mois des élections présidentielles américaines.

L’issue des négociations à venir dans le cadre de l’ACEUM est incertaine, dit-il. Les démocrates sous le président Biden se sont montrés tout aussi intransigeants que les républicains de Trump. Par exemple, les États-Unis ont manifesté très clairement dans les dernières années leur mécontentement quant à l’accès de leurs produits laitiers au marché canadien.

Une éventuelle présidence sous Trump accentuerait de son côté l’instabilité. « Le Canada pourrait oublier le compromis atteint dans la gestion de l’offre, en voyant ce qu’il pourrait obtenir, évoque Patrick Leblond. Le contexte contient beaucoup d’incertitude. Mais on pourrait étirer les discussions et négocier pendant dix ans. »



Les accords de libre-échange du Canada

PTPGP : L’Accord de partenariat transpacifique global et progressiste est entré en vigueur le 30 décembre 2018 dans six pays : Canada, Australie, Japon, Mexique, Nouvelle-Zélande et Singapour. Le 14 janvier 2019, le PTPGP est devenu effectif au Vietnam et le 19 septembre 2021 au Pérou.

AECG : Entré en vigueur en septembre 2017, l’Accord économique et commercial global est la principale entente de libre-échange du Canada avec ses 28 pays et plus de 500 de millions de consommateurs. Ce dernier a permis l’élimination des tarifs douaniers et la réduction de barrières non tarifaires.

ACEUM : L’Accord Canada–États-Unis–Mexique a remplacé en 2020 l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA) conclu en 1994.



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Photo d'en-tête : iStock.com | Suphanat Khumsap

Céline Normandin

QUI EST CÉLINE NORMANDIN
Détentrice d’une maîtrise en science politique, Céline est journaliste-pigiste auprès du Coopérateur. Et ce n’est pas par hasard si elle se retrouve aujourd’hui à couvrir le secteur agroalimentaire puisqu’elle a grandi sur une ferme laitière. Sa famille est d’ailleurs toujours active en agriculture. 

celine.normandin@videotron.ca

QUI EST CÉLINE NORMANDIN
Détentrice d’une maîtrise en science politique, Céline est journaliste-pigiste auprès du Coopérateur. Et ce n’est pas par hasard si elle se retrouve aujourd’hui à couvrir le secteur agroalimentaire puisqu’elle a grandi sur une ferme laitière. Sa famille est d’ailleurs toujours active en agriculture.