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Quand la politique et l'environnement se mêlent à l'alimentation au détail

Rien ne va plus dans les relations entre les détaillants et les producteurs-fournisseurs. Portrait d’un secteur soumis à l’intense pression du meilleur prix à tout prix, une politique qui déraille quand l’inflation s’en mêle.

Ceci est la troisième partie d'un dossier de trois articles.



Des relations plus saines dans la chaîne d’approvisionnement

Le gouvernement caquiste a décidé d’agir de son côté pour mettre de l’ordre dans les relations entre producteurs et détaillants. Le ministre Lamontagne, qui a été propriétaire de trois supermarchés pendant 12 ans avant de plonger en politique, a mis sur pied deux comités de travail réunissant des représentants de toute la chaîne d’approvisionnement. Après deux ans de discussions, il a été proposé d’adopter un code de conduite s’apparentant à ce qui se fait en Grande-Bretagne, en France (avec les lois Egalim – voir l’encadré en fin d'article) et en Australie. Les autres ministres de l’Agriculture provinciaux, ainsi que le fédéral, se sont joints à l’initiative qui devient alors nationale.

Patrice Léger Bourgoin, directeur général de l'Association des producteurs maraîchers du Québec, indique que le code a deux buts principaux : favoriser la transparence et permettre à un intervenant neutre, un arbitre, de faire la recension des pratiques partout au Canada. Il aurait le pouvoir de dénoncer publiquement les pratiques les plus abusives et celles qui contreviennent au code. « Le pari est que les détaillants vont vouloir amener des pratiques plus justes au lieu de se retrouver devant le gouvernement. » Le code permettrait également de faire une plainte de manière individuelle ou collective. « Ce qu’on souhaite, c’est une meilleure collaboration », résume Patrice Léger Bourgoin.

« Le but n’est pas de fixer les prix, on demeure dans un système de libre marché. C’est un code avec des lignes directrices établissant les bonnes pratiques », ajoute Stéphanie Levasseur, deuxième vice-présidente à l'Union des producteurs agricoles.

Reste que l’initiative, même volontaire, est loin de rallier tout le monde. En décembre dernier, le propriétaire de Loblaws, Galen Weston, a critiqué la mesure en s’appuyant sur des faits erronés. Walmart est également réticente. Une réaction décevante, et déplorable même, selon le dirigeant de l’APMQ. « Loblaws était représentée par le Conseil canadien du commerce de détail (CCCD) qui a pu soulever toutes les questions qu’il voulait pendant les deux ans de discussion. » Stéphanie Levasseur constate pour sa part que le code doit être encore expliqué. « Pour que ça marche, il faut que tout le monde embarque. »

Pour l’instant, il n’est pas question de rendre le code obligatoire, comme l’a évoqué le ministre François-Philippe Champagne, responsable de l'Innovation, des Sciences et de l'Industrie, qui s’impatiente devant la réticence des détaillants. Les deux formules fonctionnent à l’étranger, selon Patrice Léger Bourgoin. « En Grande-Bretagne, le code est volontaire et, déjà, on voit un changement dans l’attitude des détaillants. »

La majorité des personnes interrogées sont d’accord pour rendre le code obligatoire si la contestation persiste. L’UPA est plus nuancée. L’organisation estime qu’une décision dans ce sens rendrait les choses plus difficiles et souhaite continuer les discussions pour rallier tout le monde. « On n’a pas encore jeté l’éponge. On a l’accord de tous les ministres et le code est prêt à être incorporé. Il reste encore à s’entendre sur le financement et à nommer la personne qui deviendra l’arbitre, mais si tout va bien, le code pourrait entrer en vigueur dans quelques mois », estime la deuxième vice-présidente de l’UPA.

Entretemps, une réflexion est en cours à l’APMQ. Une mise en marché commune est écartée en raison de la complexité du secteur qui comprend près d’une cinquantaine de produits maraîchers cultivés au Québec. « Par contre, nous conduisons actuellement une réflexion quant aux modèles de commercialisation en place ailleurs dans le monde pour en dégager les bonnes pratiques », indique son directeur général.

L’urgence climatique et alimentaire

La toile de fond du débat sur les relations entre producteurs et détaillants est beaucoup plus vaste que la mise en place d’un code de conduite pour ramener des rapports plus harmonieux et justes entre les différents acteurs. En ces temps où le réchauffement climatique préoccupe de plus en plus la population, c’est la capacité des producteurs à continuer de vivre et d’exercer leur métier qui est en jeu. Ce dossier est considéré comme une plus grande menace encore aux yeux des producteurs maraîchers et horticoles. Cet été, le secteur n’a pas pu fournir de laitues iceberg en plein mois d’août en raison des problèmes météo, une première, raconte le directeur général de l’APMQ. Même la production de légumes racines devient problématique et peine à fournir les consommateurs de la province.

L’autonomie alimentaire du Québec est d’autant plus importante dans ce contexte. La province ne peut pas tout produire : c’est une question de coût et de climat. Toutefois, un rapport du CIRANO indiquait déjà en 2016 que « la part des achats d’aliments québécois sur le marché intérieur revêt une importance stratégique pour le dynamisme et la croissance de l’ensemble de l’industrie agroalimentaire québécoise ».

Les décisions politiques peuvent exercer une influence importante sur les producteurs, leur travail et le tissu social en région. « On se trouve à un carrefour en ce moment. C’est indéniable, le rapport a changé pendant la pandémie. On s’interroge sur l’hypermondialisation et la concentration des richesses. Il est donc pertinent pour le politique d’agir pour protéger certains domaines », ajoute Guillaume Hébert, chercheur à l'Institut de recherche et d'informations socioéconomiques (IRIS).

La question alimentaire pourrait donc se résumer aux valeurs auxquelles la société québécoise adhère, à ce qu’elle est prête à faire pour les appliquer et à la volonté des gouvernements de transposer ces valeurs en politiques menées à terme pour le bien collectif.



Relations producteurs-distributeurs : l’exemple de la France

Plusieurs pays ont adopté des règlements pour encadrer les relations d’affaires entre les producteurs, les distributeurs et les détaillants. Le but est de mieux rémunérer les producteurs et d’équilibrer les rapports de force. C’est le cas de la France qui a mis en place de 2017 à 2023 les lois Egalim (1, 2 et 3). Cette loi s’appelle en réalité la Loi pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous.

Cette loi vise à encadrer les négociations commerciales entre distributeurs et fabricants qui ont une incidence sur les revenus des agriculteurs. C’est lors de ces négociations que sont décidés les prix d’achat par les épiceries aux fabricants, la place attribuée aux produits en rayon et un éventuel calendrier promotionnel.

La loi Egalim 1 a imposé une marge d’au moins 10 % sur les produits alimentaires pour éviter de refiler des politiques de restrictions de prix aux producteurs. La loi Egalim 2 a rendu illégales les négociations sur le coût de la matière première agricole, comme le lait ou la viande. La loi Egalim 3 a étendu la mesure aux marques maison des épiceries.

Lors de la négociation annuelle en début d’année 2024, les agriculteurs français ont accusé les autres acteurs de la filière de ne pas respecter leurs engagements, ce qui a alimenté les manifestations vécues en France. Le gouvernement a promis d’intensifier les vérifications et les sanctions.



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Photo d'en-tête par Stéphanie McDuff

Céline Normandin

QUI EST CÉLINE NORMANDIN
Détentrice d’une maîtrise en science politique, Céline est journaliste-pigiste auprès du Coopérateur. Et ce n’est pas par hasard si elle se retrouve aujourd’hui à couvrir le secteur agroalimentaire puisqu’elle a grandi sur une ferme laitière. Sa famille est d’ailleurs toujours active en agriculture. 

celine.normandin@videotron.ca

QUI EST CÉLINE NORMANDIN
Détentrice d’une maîtrise en science politique, Céline est journaliste-pigiste auprès du Coopérateur. Et ce n’est pas par hasard si elle se retrouve aujourd’hui à couvrir le secteur agroalimentaire puisqu’elle a grandi sur une ferme laitière. Sa famille est d’ailleurs toujours active en agriculture.