
Dans les livres jeunesse d’Anne-Sophie Baumann, les tracteurs sont toujours suivis d’un outil aratoire, les vaches ont toujours quatre trayons (pas trois!), les agriculteurs portent des vêtements appropriés à leur métier (pas de chapeau de paille), les chèvres ont le plaisir d’avoir une brosse à chèvres dans l’étable et elles sont traites mécaniquement ou au robot (pas à la main).
Comment l’autrice réussit-elle si bien à franchir le fossé qui sépare grand public et spécialistes agricoles? La réponse se situe quelque part entre un rigoureux travail de recherche et un sentiment de responsabilité envers les enfants.
C’est dans le cadre des chroniques du « Petit Coopérateur » que nous avons découvert les documentaires d’Anne-Sophie, toujours d’une grande précision quand vient le temps de représenter le monde agricole, alors que la majorité des livres pour enfants d’aujourd’hui dépeignent encore une agriculture du 19e siècle.
« Il y a parfois un fantasme dans les thèmes qu’on traite en littérature jeunesse qui ne correspond pas à la réalité, convient Anne-Sophie. Ça ne m’intéresse pas de nourrir le fantasme. Pour moi, c’est une question d’éthique vis-à-vis de l’enfant. Il me semble que j’ai la responsabilité d’aller chercher l’information pour répondre aux questions de l’enfant sur le monde réel. »
Comme elle écrit sur une foule d’autres sujets et que l’agriculture n’est pas son métier, Anne-Sophie se transforme alors en reportrice en mettant le pied dans les champs, l’étable ou le poulailler à l’heure où le travail se fait. « Je vais sur place pour chercher les infos auprès des sources. J’aime me nourrir du réel. Le documentaire, j’adore ça, ajoute l’autrice qui précise que son cœur de métier, c’est la transmission du savoir. Dans mes livres, j’attrape ces informations extraordinaires, mais qui sont de l’ordinaire. Des brosses de chèvres, c’est génial pour les enfants! » donne-t-elle en exemple.
La vérification des informations est toujours faite. Une fois le texte écrit, celui-ci est envoyé au spécialiste consulté – en l’occurrence ici, aux agriculteurs. « Je m’engage à une transparence totale », précise l’autrice.
Des illustrations guidées
Anne-Sophie transmet également un dossier d’informations et de photos aux illustrateurs et s’assure tout au fil du processus de création que les concepts, véhicules, bâtiments ou technologies représentés sont compris. Pas question de laisser passer une erreur absurde qui ferait grincer des dents les agriculteurs. « Je fais la chasse au nombre de trayons sur les pis de vache! Une fois sur deux, il y a trois trayons au lieu de quatre. C’est ma responsabilité d’autrice de livres documentaires et j’essaie de ne pas laisser passer d’erreurs. »
Même les vêtements sont scrutés à la loupe. « Quand certains métiers exigent le port de tenues précises, je tiens à ce qu’elles soient représentées dans des couleurs vraisemblables », ajoute Anne-Sophie.
Ce souci du détail se retrouve aussi dans le vocabulaire. « Je suis très attachée au vocabulaire, précise l’autrice. J’ai tout à fait confiance en l’enfant. Je tiens à transmettre du vocabulaire technique. Il y a des enfants qui sont plus forts que nous, les adultes, tellement ils sont bons! J’ai tellement vu d’enfants à la campagne qui raffolent de toutes les machines agricoles. »
La neutralité par la comparaison
La lecture de plusieurs livres pour enfants force certains constats, surtout en ce qui a trait aux documentaires. Certains d’entre eux, par exemple, ne sont pas neutres et donnent l’impression que le lectorat doit agir d’une manière ou d’une autre. En agriculture, on le remarque par des observations sur certaines pratiques, comme l’usage de pesticides. Comment, comme autrice, décide-t-on d’introduire une pensée critique dans un documentaire, de manière à laisser à l’enfant la possibilité de réfléchir sans préjugés?
« D’abord, il y a une évolution dans le temps, vraiment nette, par rapport aux reportages que je faisais il y a 10 ans. Il y a des évolutions de pratiques. Bien que les pourcentages de bio en France ne soient pas encore faramineux, le point de vue social a changé et j’ai changé aussi. Je trouve que j’ai une responsabilité plus grande dans la transmission des pratiques bio, auxquelles je suis fondamentalement attachée, tout en respectant l’agriculteur conventionnel. Vaches, c’était avant Poules et, entretemps, j’ai un peu changé de point de vue. Je me suis dit que j’avais un peu plus envie de me mouiller et d’être moins neutre. Je ne me positionne pas de manière moralisatrice en disant “il faut” ou “tu dois”. D’abord, je ne me l’autorise pas. Qui suis-je pour dire cela et que sais-je vraiment? Par contre, je compare. Dans Poules, j’ai comparé les pratiques. » Ce sera à l’enfant, ensuite, de se faire sa propre idée.
La collection Exploradoc
Parmi tous les livres agricoles qu’elle a écrits au fil des ans, certains se démarquent dans le cœur de l’autrice. « Les livres agricoles que j’ai préférés, c’est ceux de la collection Exploradoc, parce que je me plante dans le champ, je deviens invisible et j’observe. Avec mes grands yeux et mon appareil photo, je regarde les gestes. Je trouve ça vraiment beau. Quand je suis allée voir la récolte des salades, c’était à 6 h du matin et j’ai vu que les ouvriers agricoles utilisaient leur petit couteau. Quand j’ai pu photographier le couteau, j’ai trouvé ça beau. Et j’ai photographié la main. Ça parle du geste et du travail qui est dur. Je suis aussi allée voir la cueillette des fraises en Bretagne. C’était incroyable! La cueilleuse était sur des échasses pour être à la hauteur des fraises hors sol. Elle avait des cheveux rouges comme les fraises et elle était habillée en rouge. C’était génial de voir ça! J’adore voir les surprises de la réalité. »
Ça tombe bien : le procédé photographique semble parfait pour d’autres sujets agricoles à venir, mais peut-être pas pour tous les thèmes de livres pour enfants. « J’aimerais bien le refaire pour les fleurs, songe l’autrice. Mais je ne peux pas le faire avec les pirates ou les dragons! »
Pour découvrir quelques livres d’Anne-Sophie Baumann, consultez les chroniques du « Petit Coopérateur ».