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Coopérateur audio : L'eau en production porcine avec Jean-François Roy

Avec les changements climatiques, la gestion de l'eau en agriculture, notamment en production porcine, devient de plus en plus un enjeu d'actualité. On en discute dans ce 8e épisode du Coopérateur audio avec Jean-François Roy, producteur porcin, membre du conseil d'administration de Sollio Groupe Coopératif et président de la Filière porcine coopérative.

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Stéphanie McDuff: Bonjour et bienvenue à ce dernier épisode de la première saison du Coopérateur audio. Je m'appelle Stéphanie McDuff et je suis votre animatrice pour cet épisode dans lequel on va parler d'eau. On le sait, en agriculture et avec les changements climatiques, la gestion de l'eau va de plus en plus devenir un enjeu d'actualité. C'est vrai dans toutes les productions, dont la production porcine où ça a un impact tout au long de la chaîne de valeur de la ferme jusqu'à l'abattoir. On a d'ailleurs publié dans le numéro d'octobre 2024 du Coopérateur tout un dossier sur l'eau en production porcine. Pour nous en parler, je me trouve en compagnie de Jean-François Roy, producteur porcin, membre du conseil d'administration de Sollio Groupe Coopératif et président de la Filière porcine coopérative. Bonjour Jean-François.

Jean-François Roy: Bonjour à vous.

La conservation de l'eau, c'est un grand enjeu auquel vont être confrontés tous les producteurs agricoles, notamment les producteurs de porc. Comment? Est-ce que vous voyez cet enjeu du point de vue de la production porcine québécoise?

L’eau est essentielle à la production porcine, tant en quantité qu'en qualité. Et les porcs, surtout en période estivale où les températures sont vraiment élevées, ont besoin de plus d'eau et d'une eau de qualité puisqu'ils ne peuvent pas passer plusieurs heures sans boire. Si c'est le cas, quand l'eau revient ou on leur donne de l'eau, ils peuvent se battre et on peut avoir plusieurs pertes par rapport à ça. L'eau est aussi essentielle pour le lavage des bâtiments. Nous, en production porcine, le défi, le grand défi, c'est l'assainissement des lieux. Le lavage est très important et la désinfection pour pouvoir recommencer toujours des lots et garder le moins de maladies dans le bâtiment possible.

Vous dites que les porcs ne peuvent pas rester longtemps sans eau. On sait que dans le dossier du Coopérateur, c'est écrit 48 h, mais vous m'avez signalé dans une conversation préalable que 48 h, c'est exagéré. C'est moins que ça.

Quand l'eau reviendrait après 48 h, ils vont se gaver dans l'eau et ils vont mourir. Il peut mourir plus de 50 % des porcs. Nous, parfois, on manque d'eau par manque de courant ou quelque chose comme ça. Si on n'a pas de génératrice pour redonner l'eau rapidement aux porcs, on va avoir des pertes épouvantables. 48 h, moi je pense que c'est beaucoup trop. Là, par expérience, on va parler... j’ai vécu, mettons, des 6 à 8 h de manque d'eau et puis on a des pertes même après 6 à 8 h, surtout en période de canicule.

Des pertes, donc des décès de porcs?

Des décès, oui. S'ils ne décèdent pas immédiatement, eh bien, ils vont décéder dans les jours suivants parce qu'ils ont trop bu d'eau rapidement. Leur système n'est pas capable d'assimiler ça.

Donc, on ne peut pas se permettre de manquer d'eau, ça c'est certain. Puis on sait aussi que ça sera pas juste un enjeu pour la production porcine ou la production agricole. Ça va être aussi un enjeu peut-être pour les populations autour. Est-ce qu'il y a un risque d'y avoir des conflits dans les prochaines années entre les industries et les résidents?

À court terme, je ne pense pas. On a quand même au Québec beaucoup d'eau en qualité aussi. À long terme, peut-être que ça pourrait arriver selon moi, mais ma crainte, si c'est le cas, c'est que les producteurs de porcs ne seront peut-être pas priorisés par rapport à la population puisqu'on est en minorité, comme on pourrait dire. Je pense que les industries pourraient gagner la bataille contre nous si ça venait à arriver.

Vous êtes vous-même producteur de porcs. Pouvez-vous me décrire un peu votre ferme?

Dans le fond, je suis naisseur-finisseur. J'ai une maternité d'environ 350 truies, pouponnière de 1000 à 1200 places et un engraissement de 1400 places que j'exploite à mon compte depuis 26 ans. J'ai aussi un autre engraissement que j'exploite à forfait avec RP2R, une coopérative, pour qui je garde les porcs.

Depuis 2006, vous avez investi près de 3 millions de dollars pour moderniser vos bâtiments et vous avez accordé une grande importance à l'eau depuis longtemps. Qu'est-ce qui vous a incité à gérer l'eau en 2006?

À la base, c'est que le fumier qu'on étend dans les champs coûte vraiment cher à épandre. Et puis, on voulait minimiser l'eau qui s'accumulait dans nos fosses pour réussir à abaisser les coûts de transport, puisque depuis 2006, les coûts de transport augmentent de plus en plus. À la base, c'était ça. Mais mes fosses aussi étaient était quand même assez restreintes. Petites, trop petites parce que j'ai grossi la production avec les années. Donc pour être capable de loger pendant l'hiver, il fallait minimiser l'eau aussi. Avec les années, on a voulu économiser l'eau aussi, parce que nos puits artésiens, on le sait que c'est un autre enjeu, coûtent de plus en plus cher à creuser.

Est-ce que vous en avez fait creuser d'autres?

Non, moi j'ai deux puits artésiens qui sont très très productifs. La qualité de l'eau à un moment donné s'est détériorée, mais j'ai réussi à les percoler en surface. La détérioration de l'eau était vraiment en surface, donc je les ai percoler jusqu'à 60 pieds. Et puis, depuis ce temps-là, j'ai une eau de meilleure qualité.

Les puits artésiens en fait, un des enjeux, c'est qu'on peut les épuiser si on abuse de l'utilisation d'eau.

Tout à fait. On ne se le cachera pas dans nos régions, il y a des veines d'eau là. Les veines d'eau, à un moment donné, si tu assèches une veine d'eau, eh bien, il faut en trouver une autre. Le puits ne pourra pas aller en chercher d'autres. Et c'est toujours le risque de manquer d'eau. Comme je vous disais, nous autres en production porcine, on ne peut pas manquer d'eau. Il faut vraiment s'assurer d'avoir toujours de l'ea.

Donc on essaie de l'économiser aussi pour s'assurer que nos puits restent viables le plus longtemps possible.

Exactement.

Qu'est-ce que vous avez mis en place dans votre entreprise, vous, à part les puits, justement pour minimiser le gaspillage d'eau?

En 2006, c'était déjà à la mode, les bols économiseurs d'eau. C'est un bol avec une suce dedans, donc on ne perd à peu près aucune goutte d'eau. Le cochon va aller boire tout ce tout ce qu'il y a dans le bol avant de retoucher la suce. Puis c'est aussi pratique quand on part des porcelets parce que le plus petit porcelet qui ne trouvera pas la suce, il va toujours avoir un petit peu d'eau dans le fond. Ça, ça a été la première chose. Ensuite de ça, je me suis mis des systèmes de lavage à l'eau chaude. À la base, j'avais mis ça aussi pour sauver du temps, parce que j'ai travaillé longtemps tout seul dans mon entreprise et je manquais beaucoup de temps, donc je sauvais du temps par rapport à ça. Donc ça me permettait de continuer de grossir ma production et d'être performant. Puis là, aujourd'hui, je me rends compte qu'avec des employés, bien, je sauve à peu près 50 % du temps en lavage à l'eau chaude. Donc 50 % du temps, c'est beaucoup d'argent en temps d'hommes. Et c'est aussi beaucoup d'eau qui ne se ramasse pas dans ma fosse et pour lequel je n'ai pas besoin d'étendre et de payer du transport.

Avez-vous fait le calcul de la quantité d'eau que ça représentait comme différence, disons par rapport justement au nettoyage?

Oui, je l'ai déjà fait par cœur, je ne m'en rappelle plus.

Question piège!

Je sauve environ 10 h de lavage par semaine. Donc 10 h, c'est ma pompe à pression, qui prend cinq gallons minute. Ça fait que si on fait le calcul, c'est vraiment beaucoup d'eau qu'on sauve chaque semaine. C'est épouvantable.

Félicie Tremblay-Jacques : Pour les auditeurs à la maison, pourrions-nous faire le calcul en live? Pour savoir exactement, ça équivaut à combien?

Il n'y a pas de problème. Dans le fond, c'est cinq gallons minute, donc il y a 60 minutes dans 1 h, donc on fait fois 60 et on fait mettons, une dizaine d'heures par semaine, ça ferait 3000 gallons par semaine qu'on sauverait. Ça fait que si on fait fois 52, on parlerait de 150 000 gallons, 156 000 gallons. Si on prend, admettons, un voyage de lisier qui est rendu environ à 5000 gallons, si on divise par 5000 gallons, ça ferait 31 voyages de moins dans la fosse par année.

De ce que je comprends finalement, économiser l'eau, c'est économique, autant en termes de temps, d'employés, donc éventuellement de salaires, mais aussi pour tout ce qui a rapport au lisier, puis éventuellement même pour pour les animaux, parce que s'ils ont toujours accès à l'eau de la manière la plus optimale possible, même les petits porcelets, c'est gagnant.

Tout est gagnant là-dedans, sans aucun doute.

Je vous remets donc un instant votre chapeau d'administrateur chez Sollio, dans le réseau, dans la production porcine et d'après ce qu'on peut lire dans le dossier de Nicolas Mesly, dans le Coopérateur, c'est Olymel qui est le qui est le plus confronté à la gestion de l'eau. Qu'est-ce qu'ils font?

Dans le fond, je sais qu'ils récupèrent beaucoup d'eau et la traitent. Je pense qu'ils appellent ça de l'osmose inversée pour vraiment purifier l'eau, puis la réutiliser dans leurs usines. Parce qu'eux autres, ils ont beaucoup de frais par rapport à l'eau, par rapport aux municipalités dans lesquelles leurs usines sont. Donc, pour eux autres, c'est vraiment rentable de faire une gestion de l'eau appropriée. Ce sont des quantités gigantesques qui prennent dans une année justement pour abattre les porcs et les poulets et tout ça. Le traitement des eaux usées est très important pour eux autres aussi pour en rejeter le moins possible. Puis aussi, ils ont des frais par rapport à ça, par rapport aux municipalités. Puis par rapport à la responsabilité de l'entreprise, eux autres sont comme obligés d'aller vers là puisque leurs acheteurs le demandent de plus en plus. Donc, il faut vraiment qu'ils déposent leur rapport annuellement, vraiment étoffé, pour réussir à continuer de garder leur marché.

Aujourd'hui, si on a une action à poser comme producteur porcin, par quoi est-ce qu'on devrait commencer par rapport à la gestion de l'eau?

C’est de faire tout ce qu'on tout ce qu'on est capable de faire pour minimiser l'eau. C'est beau, réduire nos coûts, mais l'eau n’est pas éternelle, comme on dit. Les nappes phréatiques, même si on est dans des régions qui ont vraiment beaucoup d'eau, à un moment donné, ça va s'épuiser. Avec les changements climatiques, on va avoir de plus en plus besoin d'eau. On le voit dans certaines municipalités, il y a certaines municipalités qui manquent déjà d'eau. Ils sont obligés de charrier l'eau aux citernes d'une municipalité à l'autre dans des périodes vraiment de canicule. Donc, on voit qu'on est toujours... on n'est pas à l'abri d'un manque d'eau. Et en production porcine, il faut vraiment faire tout ce qu'on peut pour la garder accessible.

Merci Jean-François pour la discussion et d'avoir démystifier avec nous l'avenir de la production porcine par rapport à la gestion de l'eau.

Merci à vous.

C'est ce qui conclut ce dernier épisode de notre première saison en compagnie de Jean-François Roy, producteur porcin, administrateur chez Sollio Groupe Coopératif et président de la Filière porcine coopérative. Pour ne pas manquer le début de notre prochaine saison, suivez-nous sur votre plateforme préférée Balado Québec, Spotify, Apple Podcast et YouTube. Si vous avez aimé l'épisode, vous savez quoi faire : un cœur, un pouce en l'air. Bref, laissez-nous un avis. C'était Stéphanie McDuff et je vous dis à la prochaine!