En février dernier, lors de la journée Productions végétales organisée par Sollio Agriculture, des experts-conseils du réseau ont eu l’occasion d’assister à une conférence de Sophie Perreault, qui était alors PDG de l’Association québécoise de la distribution de fruits et légumes.
La conférence, des dires mêmes de Sophie Perreault, ne s’est pas du tout passée comme elle l’avait d’abord prévu. Rapidement interrogée par des participants, elle s’est laissé entraîner par sa vision et surtout, sa passion pour les fruits et légumes. Le Coopérateur a suivi la vague.
Dans ce dossier fruits et légumes, nous mettons l’accent sur quelques éléments ayant fait vibrer les participants de la conférence initiale : l’importance des fruits et légumes, la place de l’emballage et la commercialisation, la variété et les innovations. À ceci s’ajoute l’autonomie alimentaire dans un contexte postpandémique. Le tout se fait à travers une entrevue avec Sophie Perreault et un rapide tour d’horizon des cultures maraîchères : de la terre, à la serre, puis au marché.
[Texte paru en octobre 2023]
Entrevue avec une amoureuse des fruits et légumes
Diversifiés, délicieux, ancestraux et innovants, les fruits et légumes font bande à part dans les rayons d’épicerie et dans l’esprit de la communauté scientifique. On n’en mangera jamais trop! Sophie Perreault, ancienne PDG de l’Association québécoise de la distribution de fruits et légumes (AQDFL), en parle avec un enthousiasme si débordant qu’on a envie de se précipiter à la cueillette des premières pommes de l’automne et de faire le plein des récoltes de saison.
Coopérateur : Qu’est-ce qui différencie les fruits et les légumes des autres aliments?
Sophie Perreault : En fait, ce sont les chouchous du Guide alimentaire canadien, mais aussi des nutritionnistes, des médecins et de la communauté scientifique en général. C’est rare qu’il y ait consensus sur une catégorie d’aliments!
Contrairement à plusieurs autres produits, on peut en manger autant qu’on veut, à moins bien sûr qu’on ait certains problèmes de santé. Mais pour la majorité de la population, il n’y a pas de limite. Je trouve aussi qu’on est toujours en train de nous dire : « Ne prends pas trop de vin, fais attention à ceci, ne mange pas trop de ça. » Je préfère adopter une approche positive et proposer de bonifier l’alimentation en ajoutant des fruits et légumes au lieu de se priver de certains aliments! C'est tellement plus encourageant de savoir qu'on peut améliorer la qualité de notre alimentation en ajoutant une portion de fruits et légumes par-ci par-là!
On parle beaucoup d’autonomie alimentaire, de local, mais aussi de produits importés, du coût du transport ou de la concurrence avec le marché d’ici. Comment peut-on réconcilier tout cela?
Je recommande toujours de manger local en saison. Nos prédécesseurs avaient de bonnes habitudes. Ils faisaient des cannages, de la congélation et des marinades pour consommer local le plus longtemps possible. C’est un mode de vie qu’on devrait effectivement privilégier parce que ça encourage la production locale, les emplois d’ici et notre économie.
Mais les consommateurs québécois sont vraiment des épicuriens. On aime la découverte. Il ne faut pas bouder son plaisir d’avoir accès à des produits savoureux qui viennent des quatre coins du monde et qui ne poussent pas ici pour avoir de la variété dans notre assiette et compléter notre menu. C’est vraiment un privilège.
D’ailleurs, en matière de champions pour colorer les assiettes, les fruits et légumes ne donnent pas leur place! Et c'est sans compter leurs valeurs nutritives. En consommer régulièrement, c'est se donner un grand coup de main dans la prévention des maladies chroniques et certains cancers. C’est la meilleure assurance maladie qui soit.
Parlant de variété, on remarque chaque année de nouveaux produits dans les étalages. Qu’est-ce qui fait qu’on en ajoute encore et qu’on n’a pas les mêmes options, disons, que nos grands-parents?
On essaie toujours de trouver des variétés, par exemple, plus performantes, plus résistantes à certaines maladies, qui ont une meilleure durée de vie, qui vont mieux résister dans tel climat ou qui vont avoir plus d’une récolte.
Aussi, selon les générations, on n’a pas les mêmes goûts. Peut-être que les 45 ans et plus aiment plus les pommes McIntosh et Empire. Les plus jeunes aiment beaucoup l’Ambrosia et la Gala. Il faut toujours plaire à notre nouveau public et à nos consommateurs qui se renouvellent.
Un autre élément, c’est qu’on voyage beaucoup plus qu’avant, donc, on a accès à tout un monde de saveurs. En plus, il y a les communautés ethniques qui, elles, cuisinent ici avec ces produits de façon régulière et nous avons beaucoup encore à apprendre de leur gastronomie.
Comment s’insère la serriculture dans cet univers d’autonomie alimentaire et de découverte de nouveaux produits?
Avec l'impact des changements climatiques, il faut trouver un moyen réduire notre dépendance à l’approvisionnement extérieur. La serriculture nous permet d'allonger nos saisons de production, d'avoir une production locale de plus grand volume et avec plus de variétés. Nous ne sommes plus limités aux tomates, aux concombres et aux poivrons. Il faut continuer sur cette lancée.
Je pense aussi qu’on avait un retard à rattraper par rapport à l’Ontario et à la Colombie-Britannique, et on est en concurrence avec les États-Unis et le Mexique qui, eux aussi, investissent dans des serres. Si on ne prend pas notre place, la concurrence, elle, va la prendre.
Revenons à l’épicerie et à une critique récurrente, surtout en contexte inflationniste. Les légumes, ils sont chers ou pas chers?
Ah non, ils ne sont pas chers! J'adore dire que les fruits et légumes, c'est le meilleur rapport qualité-prix en magasin. Ils sont tellement importants pour la santé! En optant pour un sac de pommes à 5 $, on peut garnir les boîtes à lunch de ses enfants toute la semaine et même cuisiner une bonne croustade.
Chers ou pas, ça dépend du point de vue. Il faut savoir que le prix des fruits et légumes est influencé par plusieurs facteurs comme la météo, la saisonnalité ou le contexte économique. Les consommateurs peuvent aussi être gagnants à développer des stratégies d'achats fûtées : repérer les meilleurs rabais, acheter des grands formats ou suivre la saisonnalité.
Notre Mouvement J'aime les fruits et légumes offre d'ailleurs plein d'outils à ce sujet. Vous les retrouverez sur www.jaimefruitsetlegumes.ca.
Pourtant, les gens grincent souvent des dents en voyant les prix. Pourquoi?
C’est drôle, mais lorsqu’on achète à 7$ un café à l'extérieur de la maison, puis qu’on répète ce geste-là parfois plusieurs matins par semaine, on n’a pas de petit pincement de cœur. Mais on arrive devant un fruit ou un poivron qui, oui, peut monter à 3 ou 4 $ l’unité, et certaines personnes sont choquées par le prix. Pour le café, le geste revient une fois dans la journée tandis que pour l’alimentation, en général, c’est au moins trois fois par jour, plus les collations. Nous pensons plus souvent aux prix des aliments.
Les critiques fusent également sur l’emballage ou le suremballage. Dans quelle mesure sont-elles justifiées, selon vous?
C'est l'autre paradoxe incroyable. C'est sur l'industrie des fruits et légumes, souvent, qu'on jette le blâme du suremballage. Pourtant, les emballages plastiques utilisés par l’industrie des fruits et légumes représentent seulement 2 % de l’ensemble des plastiques utilisés, toutes industries confondues.
Ça ne veut pas dire qu’il ne faut pas se conscientiser. L’industrie n’a pas attendu les réglementations pour aller de l’avant et trouver des emballages recyclables et compostables.
On ne met pas des emballages pour le plaisir, mais parce qu'il y a un bénéfice anti-gaspillage, qu’ils contribuent à la santé et la sécurité des consommateurs, et qu’ils ont une fonction importante pour faciliter le transport des produits.
C’est souvent le concombre qui est pointé du doigt, alors que le fait d’être emballé peut allonger sa durée de vie de plus de 14 jours. La banane ne respire pas comme l’orange, la lime, la pêche ou les fèves germées. Chaque produit a sa spécificité. Il faut trouver des emballages performants, les plus écoresponsables possibles. Ça prend de l’innovation et des tests. Il faut nous laisser le temps.
Quel est votre fruit préféré?
J’adore la cerise de terre. J’adore le petit goût acidulé ou parfois plus sucré. Ma mère et ma grand-mère l’appelaient l’amour en cachette. Je trouve qu’il y a un côté romantique ou spécial, du fait que c’est protégé par une petite enveloppe transparente. Je trouve ça spécial, unique.
Photo par Philippe Ruel : Julie DesGroseilliers, nutritionniste et porte-parole du Mouvement J'aime les fruits et légumes, et Sophie Perreault, alors PDG de l'Association québécoise de la distribution des fruits et légumes.
TEXTES DU DOSSIER : De la terre, à la serre, au marché