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La traite robotisée à la Ferme Rewill : Plus de lipides, c’est limpide!

Nutrinor coopérative

Un robot de traite, un robot de tri, voilà les outils de Jimmy pour produire un maximum de gras et de protéines. La Ferme Rewill figure parmi les plus performantes au Québec pour les composantes laitières produites au robot.

Boom! Comme s’il fallait prouver que le lait de la ferme est bien gras, le moteur de l’agitateur du réservoir de lait a sauté. Jimmy Harvey a appelé son groupe d’intervention tactique préféré : sa sœur Annie, son père Réjean et son beau-père Michel, père de sa conjointe Marie-Michèle. Il fallait vite remplacer ce moteur qui fonctionne pendant une minute toutes les 15 minutes pour turbiner une mixture lactée à 4,86 % de lipides et à 3,64 % de protéines dont la richesse est à mi-chemin des moyennes nationales pour la Holstein (4,04 % et 3,31 %) et la Jersey (5,14 % et 3,89 %), cette dernière composant 35 % du troupeau de la Ferme Rewill. En 2023, Jimmy a produit quotidiennement 2,52 kg de gras et de protéines par vache.  

En 2019, il a rénové de l’intérieur, passant de la stabulation entravée à la stabulation libre de manière économique. « Le même projet, quatre ans plus tard, aurait coûté au minimum un million de dollars de plus », s’étonne-t-il. L’étable n’a pas la vastitude d’une arène pour hautes productrices, mais elle est organisée pour générer de bons résultats technico-économiques et libérer du temps familial. Chaque pied carré a été réfléchi. Par exemple, les mangeoires, d’une largeur de 50 cm, sont remplies six fois par jour par un convoyeur qui manutentionne la ration dans ces espaces exigus.

Jimmy rêvait d’un robot depuis les années 2000, mais il a préparé le terrain sur deux décennies : choix de taureaux Robot Ready du CIAQ dotés de déviations positives pour le positionnement des trayons et la vitesse de traite, pâturage nocturne estival pour maintenir un bon degré d’exercice et faciliter la transition de la stabulation entravée à libre, louve pour alimenter les veaux et les habituer au confinement de la traite futur et diminution de l’endettement pour faire le grand saut. « Je voulais un robot pour vivre ma paternité, déjeuner et souper en famille », avoue candidement le papa de deux enfants en bas âge.

Avec 103 kg de quota, le Jeannois d’Alma estime qu’il serait capable d’élever la production quotidienne jusqu’à 125-130 kg. On parlerait ici de 72 à 75 vaches en lactation pour un seul automate! Avec actuellement 114,9 kg produits au robot, Jimmy est premier au Québec chez les exploitants de robots DeLaval. « J’ai fait une journée à 130 kg avec 72 vaches en lait, mais c’est difficile de maintenir ce rythme, mentionne Jimmy. Il me faudrait encore quelques années pour épurer le troupeau, réformer les vaches lentes à traire. »

Et la transition à la robotisation? L’éleveur nous étonne par ses propos. « Elle devrait s’étaler sur au moins cinq  ans! La première année, tu es toujours au milieu des vaches à tout vouloir trop contrôler, la deuxième, tu apprends à contrôler l’outil, la troisième, tu fixes tes repères et les quatrième et cinquième années, tu fais les petits ajustements et tu découvres le plaisir de la robotique! »

Traire et trier

Pour atteindre ce niveau de performance, le producteur a installé une barrière de tri qui permet d’augmenter d’environ dix vaches le nombre d’animaux en traite robotisée. « Un robot peut passer deux heures par jour à trier des vaches, analyse-t-il. Ce n’est pas sa fonction première!  » Sa barrière de tri à circulation guidée avec aire d’alimentation précédant le robot prouve son utilité : les vaches y passent en moyenne 10 fois par jour! Conséquemment, les refus de traite sont inexistants. Les traites incomplètes, à moins de 2 %, varient selon l’usure des tétines ou le nombre de trayons mal positionnés. « Je suis très satisfait de mon DeLaval qui trait davantage de ce type d’animaux », estime Jimmy. À l’occasion, en consultant les caméras braquées sur l’aire d’attente, l’éleveur contrôle la trieuse reliée à son téléphone par l’entremise du système Maximus. La manœuvre est particulièrement utile pour empêcher des vaches dominantes de passer devant des dominées.

À partir des logettes où chaque race a ses propres quartiers, les animaux passent par une barrière anti-retour avec doigts pour se rendre à la mangeoire. Après avoir consommé des fourrages, les vaches s’engouffrent dans le couloir de tri : retour aux logettes ou à la salle d’attente pour la traite et le repas de moulée, puis conclusion du parcours par l’accès aux logettes le pis vide et la rumination active. « J’évite des acidoses avec ce principe de trafic guidé "Feed First" », évalue Jimmy, qui apprécie également le robot DeLaval pour sa fragmentation des repas en portions de 50  g lors de la traite, ce qui évite le gaspillage et l’accumulation de moulée dans la mangeoire.

Jimmy a une conception à contre-courant de la traite. Il n’y voit pas une source de revenus, mais plutôt une opération coûteuse. « Quand une vache fréquente le robot, ce doit être un passage payant. Peu importe la quantité de lait, elle monopolise le robot, use des pièces, consomme des désinfectants et de la moulée », rappelle-t-il. Le producteur vise 175  traites par jour et un temps libre de 10 % (six  minutes par heure), nécessaire pour une circulation fluide et une présence humaine minimale. Les 2,55 traites quotidiennes pour 13,9 kg par traite appuient les dires de Jimmy : pas besoin de viser les sacro-saintes trois  traites, pourvu qu’elles soient pesantes, payantes!

Loger et gérer

En 2019, l’éleveur a été parmi les deux  premières fermes au Québec à utiliser le HN100 de DeLaval qui teste la progestérone dans le lait, un investissement annuel de 8000 $ pour l’éleveur. L’analyse des données dans le logiciel de régie DelPro présente les performances et le statut des animaux : chaleur, gestation, avortement, etc. Taux de conception à la première saillie de 49 %, taux de gestation de 38 %, intervalle de vêlage de 381 jours – il était de 415 jours avant le règne des machines. « Les technologies évitent d’interpréter faussement des comportements », selon l’éleveur qui en reste un.

Crise climatique oblige, les canicules préoccupent Jimmy et sa coopérative Nutrinor, venue évaluer la vitesse du vent dans l’étable, l’humidité et le gradient des températures intérieure et extérieure. « Je n’aurais pas un gain énorme à installer des brumisateurs pour combattre le stress thermique, mais ça demeure une option. » La vacherie compte assez de logettes et de carcans pour toutes les vaches, une distanciation physique qui permet la dissipation de la chaleur des bioréacteurs à quatre pattes.

Depuis 2002, des Jersey folâtrent à l’étable. Avec des stalles neuf pouces (22 cm) moins larges pour ses brunes, l’éleveur est arrivé à héberger le nombre optimal d’animaux pour maximiser son robot, sans trop modifier le bâtiment. La cage du robot DeLaval s’adapte d’ailleurs à la taille variable des individus pour mieux connecter les manchons trayeurs. « J’aime les deux  races pour des raisons différentes, explique Jimmy. Avec les Holstein, t’obtiens de grosses performances, mais ne lâche pas le volant! Les Jersey, plus curieuses, convertissent mieux en composantes. C’est la race la plus économique. »

L’agriculteur ne craint pas les sujets tabous comme la santé mentale en agriculture (voir « Rénover, s'oublier, sombrer : un témoignage poignant ») et la rentabilité des exploitations. « C’est encore tabou de parler d’argent au Québec même si, paradoxalement, les producteurs sont payés selon les composantes laitières », se surprend-il. 

Pour en savoir plus sur le bien-être animal en traite robotisée, lisez le billet d'André Roy sur le site de Sollio Agriculture

Étienne Gosselin

QUI EST ÉTIENNE GOSSELIN
Étienne collabore au Coopérateur depuis 2007. Agronome et détenteur d’une maîtrise en économie rurale, il œuvre comme pigiste en communication et dans la presse écrite et électronique. Il habite Stanbridge East, dans les Cantons-de-l’Est, où il cultive le raisin de table commercialement.

etiennegosselin@hotmail.com

QUI EST ÉTIENNE GOSSELIN
Étienne collabore au Coopérateur depuis 2007. Agronome et détenteur d’une maîtrise en économie rurale, il œuvre comme pigiste en communication et dans la presse écrite et électronique. Il habite Stanbridge East, dans les Cantons-de-l’Est, où il cultive le raisin de table commercialement.