
Je vais vous avouer quelque chose. Parfois, j’ai un choc! Ça fait 20 ans que je suis entouré de relèves agricoles et vous savez quoi? Elles ont toujours le même âge quand elles arrivent, elles ont toujours le même âge quand elles partent alors que moi, j’ai toujours un an de plus chaque année!
Dire qu’elles ne changent pas serait faux cependant. Je me souviens, à mes débuts, lorsque nous travaillions sur leur projet d’établissement (un plan d’affaire avec une vision pour les cinq prochaines années de leur entreprise), les priorités étaient claires :
- Prendre un rôle décisionnel le plus rapidement possible.
- Augmenter la rentabilité de la ferme pour établir une deuxième famille (eux!).
- Investir pour moderniser et faire tous les changements que les relèves croient que leurs parents auraient dû faire…sans avoir toujours posé les bonnes questions expliquant pourquoi ça n'avait pas été fait.
À la base, qu’une relève considère s’établir dans son entreprise familiale pour en assurer la pérennité, je ne peux qu’applaudir le geste qui est plein de sens et plein de défis. Ces plans d’affaires que les établissements demandent aux étudiants les exposent à une partie de l’entreprise qu’ils n’ont pas la chance de voir aussi souvent. Les actifs agricoles sont normalement difficiles à manquer, on peut les voir, mais prendre connaissance du passif, des niveaux de dépenses et de la complexité des revenus est souvent un moment qui fait réaliser qu’au-delà de ce qu’ils pensaient connaître de leur entreprise se cache une réalité financière et de gestion qui est tout autre. Bref, avoir les moyens de ses ambitions, ce n’est pas aussi simple que dans les livres d’école!
Nous voilà donc en 2025. Une autre cohorte s’apprête à terminer le programme et mes futurs producteurs s’apprêtent à prendre leurs propres décisions. Depuis quelques années, mon constat est que la prise de décision des étudiants et étudiantes pour leur vision d’entreprise nous amène ailleurs.
L’esprit du repreunariat est toujours présent, mais les horizons s’étendent sur le long terme. Les notions d’agriculture durable et d’agriculture régénératrice que nous enseignons commencent à faire leur chemin. Souvent, ces projets ont davantage d’effets à long terme et il faut donc de la patience pour en récolter les bénéfices. La principale raison que l’on me donne est l’importance d’assurer la pérennité de l’entreprise dans un contexte d’adaptation aux changements climatiques.
Aussi, pas question de se débarrasser des cédants. Si les choix font en sorte que l’entreprise ne peut accueillir la relève à temps plein immédiatement, elle est prête à travailler à l’extérieur pour pouvoir tomber en cogestion avec les parents dans l’avenir qui le permettra. Les repreneurs ont toujours soif d’apprendre, mais veulent faire les choses correctement pour que l’entreprise leur offre une qualité de vie, même si cela implique de ne pas y revenir à temps plein immédiatement.
Le Portrait de la relève agricole au Québec (2021) du ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation (MAPAQ) nous indiquait que les relèves établies étaient de mieux en mieux formées avec 86 % d’entre elles qui possèdent un diplôme postsecondaire. Le niveau de connaissance auquel les relèves sont exposées est fort probablement un facteur déterminant dans la vision qu’elles ont de leur entreprise.
Fait intéressant, bien que 20 % des relèves aient un diplôme d’études universitaires, ce diplôme est de nature agricole dans seulement 37 % des cas!
Autre fait intéressant, ce même portrait de la relève nous indiquait que les entreprises ayant une relève avaient des revenus plus élevés. Alors que 34 % des entreprises déclaraient des revenus supérieurs à 250 000 $, elles représentaient 57 % des entreprises ayant une relève. Il faut tout de même faire attention, les chances qu’elles aient la capacité financière d’avoir une relève sont certainement plus élevées.
À une époque où nous assistons à une consolidation des entreprises agricoles, savoir que la nouvelle génération a la capacité de prendre du recul, désire travailler en équipe et sait avoir une vision à long terme est un signe d’espoir qu’il ne faut pas négliger. Nous nous devons de lui donner la capacité de s’épanouir dans cet environnement en pleine mutation. J’ai bien hâte de voir la prochaine mouture de la politique bioalimentaire et la place qu’elle réserve au développement des compétences de nos relèves.
Les propos exprimés dans cette chronique n’engagent que son auteur.
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