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Planète Trump : le Canada et le Québec à la conquête de nouveaux marchés

Le 3e Sommet de l’exportation agroalimentaire s’est déroulé à Brossard le 17 juin dernier avec près de 200 participants, alors que les exportations agroalimentaires du Canada et du Québec sont destinées respectivement à 60 % et à 72 % vers les États-Unis. Sous la présidence et la guerre tarifaire de Donald Trump, le mot d’ordre est « de ne plus mettre ses œufs dans le même panier ». 

Premier texte de 3.

« Pour les Américains, la gestion de l’offre n’est pas compatible avec l’Accord de libre - échange Canada-États-Unis-Mexique (ACEUM)… et le Canada doit garder en tête qu’il peut produire du lait pour répondre à une demande internationale grandissante », lance en substance Christophe Lafougère, conférencier invité au 3e Sommet de l’exportation agroalimentaire organisé par le Groupe Export Agroalimentaire.

L’intervention de Christophe Lafougère, directeur général, GIRA, une firme de consultants française spécialisée dans la recherche prospective et stratégique des chaînes alimentaires, se produisait le jour même où le projet de loi pour protéger l’intégralité de la gestion de l’offre était adopté par le Sénat canadien1.

La gestion de l’offre a été dans la mire du président D. Trump durant son premier mandat (2017-2021) et également depuis son arrivée à la Maison-Blanche en janvier dernier, pour un mandat de quatre ans, et au cours duquel se joue la renégociation de l’ACEUM prévue officiellement en 2026.

Selon Christophe Lafougère, le tsunami de tarifs imposé à la planète par le président Trump représente des opportunités d’affaires pour les entreprises agroalimentaires québécoises et canadiennes. La première, en substituant les importations américaines par des produits laitiers ou de la viande de porc canadiens, dans les marchés comme la Chine, le Mexique, ou le Japon. La seconde, en tablant sur la quinzaine d’accords commerciaux bilatéraux et multilatéraux du Canada avec de nombreux pays ou bloc de pays, incluant ceux de l’Union européenne, pour ouvrir de nouveaux marchés.

Le Canada, futur champion laitier mondial?

Spécialiste du secteur laitier, Christophe Lafougère estime que la croissance du marché laitier canadien sous gestion de l’offre sera de 1,7 % par an au cours des cinq prochaines années alors que la croissance annuelle du marché des protéines laitières sera de 3 % à 4 % pour la même période.

Selon lui, il y aurait place à substituer les importations chinoises de poudre de lactosérum à faible teneur en protéines, de lactose et de concentrés de protéines américains par des produits canadiens. La Chine importe entre 30 et 70 % de ces produits des États-Unis et même si l’Empire du Milieu vise plus d’autosuffisance, ce n’est pas pour demain. Quant au Mexique, c’est de loin le plus gros importateur de produits laitiers américains et demeure donc une porte entrouverte pour le Canada dans le contexte actuel.

L’expert souligne que la demande de protéines de lait va aussi augmenter au pays même de Donald Trump en raison entre autres de la venue du médicament Ozempic destiné aux personnes diabétiques, « Environ 15 millions d’Américains utilisent aussi en partie ce médicament pour perdre du poids. Ces gens vont consommer moins de beurre ou de crème glacée. Par contre, ils vont consommer des protéines en mangeant des yogourts ». Sans compter le marché de protéines laitières destiné au marché nutritionnel des sportifs en pleine explosion dans plusieurs pays et qui cible autant les millénariaux que les retraités actifs.

Relégué au second plan dans le débat Trumpisme, la lutte aux changements climatiques n’en demeure pas moins présente. « Les normes environnementales font que l’Europe devrait être net-zéro (émissions de carbone) d’ici 2050. Cela pourrait faire perdre plus de 12 milliards de litres de lait dans les cinq prochaines années, parce qu’on va être obligés de diminuer la taille du troupeau en Europe de 2 % par an », ajoute Christophe Lafougère.

Le même sort touche la Nouvelle-Zélande, le plus gros exportateur de produits laitiers au monde, en particulier vers la Chine, et « qui ne peut plus augmenter la taille de son troupeau », a indiqué l’expert en réponse à une question en salle.

« Le Canada a un potentiel énorme. Vous avez beaucoup d’énergie verte, décarbonée, vous avez de la place, vous avez du feed de bonne qualité, vous avez une génétique numéro un, vous avez l’eau (alors que le Nord de la France souffre déjà de sécheresses en ce moment même). Tout est là pour pouvoir produire un lait de très bonne qualité sur les prochaines années. C’est un point qu’il faut bien garder en tête », a-t-il dit.

Graphique sous forme de carte du monde


Pain et chocolat

Selon Christophe Lafougère, les produits de la boulangerie du Québec et du Canada, une industrie fortement intégrée de part et d’autre de la frontière avec les États-Unis, gagnerait à se sevrer du marché américain, notamment dans le lucratif marché japonais. « Le Canada et le Québec ont déjà une très bonne image chez les détaillants japonais grâce à son produit ambassadeur, la viande de porc », dit-il.

Depuis dix ans, au pays du Soleil levant, la demande annuelle est en hausse de 6 % pour des produits gourmets, bios et naturels, des produits fonctionnels avec des allégations santé tout comme les collations à consommer « on the go ». Autre marché potentiel, ce sont les produits avec moins de sucre, moins de calories et les produits végans et de protéines végétales recherchés tant au Royaume-Uni qu’en Europe.

Deuxième exportation agroalimentaire du Québec, le cacao et ses produits dérivés sont à plus de 90 % destinés aux États-Unis. Mais, selon l’expert, il y a matière à développer d’autres marchés, notamment en Allemagne, au Royaume-Uni, dans les Pays-Bas voire au Canada même. « Dans des périodes avec beaucoup d’incertitudes comme c’est le cas, le chocolat, ça rassure. La fève de cacao coûte très cher pour faire du chocolat de haut de gamme, mais la tendance est au chocolat au lait. Qu’on songe au succès du chocolat de Dubai ».

Pour les produits autres que les commodités, soit à valeur ajoutée, les exportateurs agroalimentaires canadiens auraient intérêt à jouer l’image du pays aux vastes ressources naturelles, à raconter l’histoire familiale et territoriale de leurs produits, et à travailler des emballages biodégradables et recyclables « qui vont devenir la norme », conclut-il.

1 https://www.lapresse.ca/actualites/politique/2025-06-17/projet-de-loi-adopte-par-le-senat/la-gestion-de-l-offre-sera-protegee.php
Photo : Gracieuseté du Sommet de l’exportation agroalimentaire

Nicolas Mesly

Nicolas Mesly est journaliste, agronome (agroéconomiste) et photographe. Les associations de presse du Canada ont récompensé son travail journalistique et photographique à plus de 30 reprises. Auteur, conférencier, documentariste, il collabore entre autres au Coopérateur, à l'émission radio Moteur de recherche/SRC et il est correspondant canadien pour le journal La France Agricole.
nicolasmesly@gmail.com
Nicolas Mesly est journaliste, agronome (agroéconomiste) et photographe. Les associations de presse du Canada ont récompensé son travail journalistique et photographique à plus de 30 reprises. Auteur, conférencier, documentariste, il collabore entre autres au Coopérateur, à l'émission radio Moteur de recherche/SRC et il est correspondant canadien pour le journal La France Agricole.