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Rustik Bison : De bison et d’air pur

VIVACO groupe coopératif

Une poignée de fermes vivent de l’élevage du bison au Québec et Rustik Bison veut en être une. Portrait d’Anouk Caron, cette femme de la situation qui a découvert le grand ruminant lors d’une visite organisée par le Club de Zootechnie de l’Université Laval.

Ça n’aurait pas pu être les lapins, les pintades ou les wapitis, et encore moins les vaches laitières et même pas le porc et les truies, même si sa maîtrise en sciences animales portait sur ces dernières. Non, quand, en 2015, Anouk Caron a vu ces mastodontes poilus pour la première fois en visite chez Les Bisons Chouinard, une ferme de Saint-Jean-Port-Joli, elle s’est entichée de l’animal. « J’ai dit à mes amis et collègues qu’un jour, j’aurais des bisons », relate-t-elle.

Ce jour est venu en 2023. Mais n’est-il pas risqué de démarrer dans une production marginale qui a connu de meilleurs jours? « J’ai eu quelques sceptiques à convaincre, notamment un assureur qui ne pensait pas qu’une femme pouvait réussir », se désole l’éleveuse. D’autres lui ont dit que démarrer dans une production animale à l’heure du véganisme n’était pas l’idée du siècle, mais c’était avant qu’Anouk ne leur parle des terres marginales à valoriser et de l’excellente qualité nutritionnelle du bison. Ce sera la conclusion de ce texte.

Cette femme communicative originaire de Coaticook et née de parents entrepreneurs n’a pas baigné dans le milieu agricole, mais plusieurs de ses amies avaient des fermes, laitières surtout. Quand elle a fait un stage à la Fromagerie La Station, à Compton, où elle a côtoyé une famille d’entrepreneurs inspirants et investis, elle a eu la piqûre. Un pèlerinage de 40 jours et de 650 km en autonomie sur le Sentier international des Appalaches a aussi permis à l’Estrienne de réfléchir à ses choix de vie, un moment décisif.

Pour se lancer en affaires, Anouk a bénéficié de l’aide de ses parents qui ne se sont pas gênés pour critiquer à fond son plan d’affaires. Après des allers-retours à la planche à dessin, Jean Yves Caron et Sonia Montminy ont fini par garantir le prêt de démarrage, de l’argent du cœur pour acheter 10 hectares à Saint-Herménégilde et les louer à leur fille. « Quand tu rédiges ton plan d’affaires, tu dois avoir un moment de doute où, par exemple, tu doubles le taux d’intérêt pour voir l’impact sur les finances », illustre celle qui a suivi un cours en lancement d’entreprise au Centre de formation professionnelle de Coaticook (CRIFA) pour améliorer son plan, remettre en question son projet et explorer les sources de financement.

Malgré le doute, l’agronome a foncé avec la stratégie qu’un agroéconomiste lui avait suggérée : démarrer petit. Anouk a donc acheté d’une ferme ontarienne 10 femelles non gestantes et un mâle, de même que 10 bisons en croissance âgés de 24 mois qu’elle pourrait revendre six mois plus tard pour commencer à faire des ventes, à faire sa marque, à établir sa réputation de femme de la situation. Pour subvenir aux besoins de sa famille, elle œuvre depuis 2018 en productions végétales pour Sollio & Vivaco Agriculture coopérative, mais espère dans l’avenir acheter une deuxième terre, monter le troupeau à 80 femelles et intégrer son conjoint Patrick Strickler à l’entreprise, enfin un homme de la situation, rigole Anouk.

Verts pâturages

Les bisons ruminent? Ils sont donc exclusivement à l’herbe. Ses 8,5 hectares (21 acres) pâturables, Anouk les a habilement clôturés en sept parcelles reliées par un couloir central d’accès où se trouve l’aire d’abreuvement. La broche amovible pour le pâturage intensif? Les bisons n’en ont que faire. L’agronome change donc le troupeau de paddock aux trois jours, ce qui assure la repousse. Un corral doté d’une cage de contention renforcée de quelques bonnes soudures permet d’y faire passer le troupeau aux deux mois pour la pesée et les traitements vétérinaires.

Tranquille, sauvage, imposant et à la mine renfrognée, le bison impressionne, mais c’est sa rusticité qui a convaincu Anouk d’élever ce grand ruminant. « C’est un animal capable de vivre dans le très chaud et le très froid et de valoriser des fourrages fibreux de moins bonne qualité dosant 15 % de protéine. » À ce titre, l’éleveuse achète son foin d’un fournisseur, ce qui la met à la merci de l’offre et de la demande. En revanche, elle n’a ni à s’équiper pour la fenaison ni à stresser pour la météo. Les dactyle, festulolium, fétuque des prés, brome des prés, fléole des prés, trèfle blanc et lotier sont offerts en pâture jusqu’à la fin novembre, après quoi l’éleveuse confine les animaux dans une parcelle sacrifiée, rénovée au printemps pour cause de fort piétinement.

La principale dépense de la ferme a été la pose de poteaux, dont 2,43 m (huit pi) dépassent du sol et du grillage, avec une tarière. Pour cela, Anouk a obtenu une subvention équivalente à 75 % de ses coûts du Fonds d’action à la ferme pour le climat d’Agriculture et Agroalimentaire Canada qui favorise le pâturage intensif.

Vers l’abattage

Rendre un bison au poids de 450 kg prend 30 mois. L’impact sur les liquidités se fait donc ressentir. De plus, Anouk établit ses prix, mais ne peut pas ne pas jeter un œil au prix du bœuf à l’herbe pour demeurer concurrentielle. Malgré tout, avec ses investissements, Rustik Bison ne génère pas encore un salaire à son actionnaire. Une avenue serait de valoriser les peaux, les crânes et même les tendons pour l’art autochtone, mais un règlement lui interdit de sortir ces découpes de l’abattoir, car elles sont considérées comme des viandes non comestibles.

Ce qui est coûteux en temps n’est pas relié aux animaux, nourris deux fois par semaine durant l’hiver, mais davantage à la viande : manutention, étiquetage, promotion, etc. Pour alléger la vente au kiosque de la ferme, l’éleveuse ouvre un samedi sur deux. « C’est un besoin des gens de venir nous rencontrer malgré l’éloignement », mentionne Anouk. Autrement, un astucieux système sur la boutique Shopify liée au site Web de la ferme permet de générer automatiquement des codes pour déverrouiller la porte d’entrée du kiosque et permettre aux clients de ramasser facilement les commandes passées en ligne.

Un ensemble bien rodé de fournisseurs permet d’abattre les bêtes (Abattoir Régional de Coaticook) et de découper (Boucherie Face de Bœuf) et de transformer (Charcuterie Scotstown) les carcasses vieillies 10 jours. À la manière de l’emballage du bacon, les découpes de bison sont mises en évidence dans un emballage thermoformé.

Anouk est fière de créer un agrosystème riche en oiseaux champêtres et en biodiversité. « Je n’aurais pas le même sentiment si la terre était en grandes cultures », image-t-elle, soulignant qu’un milieu humide et la Forêt communautaire Hereford bordent la ferme. D’ailleurs, l’éleveuse a réfléchi à sa philosophie d’élevage, rapportée sur son site Web. Son agriculture se veut régénérative, holistique et générationnelle. « Mon cours en lancement d’entreprise m’a appris à me démarquer. Pourquoi les gens achèteraient-ils mon bison plutôt que du bœuf ou du poulet? » Hormis les méthodes naturelles de production et le goût unique de la viande, la valeur nutritionnelle d’une viande produite à l’herbe est vite devenue un attrait évident. Moins grasse et calorique, plus protéinée et plus riche en fer et en vitamines que les autres viandes, la viande de bison se distingue aussi par sa richesse équivalente à celle du saumon en acides gras oméga-3, de quoi constituer une conclusion saine et nutritive!

Lisez également ce second texte avec Anouk Caron, « 3 conseils pour vos vidéos à la ferme », dans lequel, comme son nom l'indique, la productrice de bisons nous présente ses astuces pour se faire remarquer sur les réseaux sociaux.

Photo par Étienne Gosselin

Étienne Gosselin

QUI EST ÉTIENNE GOSSELIN
Étienne collabore au Coopérateur depuis 2007. Agronome et détenteur d’une maîtrise en économie rurale, il œuvre comme pigiste en communication et dans la presse écrite et électronique. Il habite Stanbridge East, dans les Cantons-de-l’Est, où il cultive le raisin de table commercialement.

etiennegosselin@hotmail.com

QUI EST ÉTIENNE GOSSELIN
Étienne collabore au Coopérateur depuis 2007. Agronome et détenteur d’une maîtrise en économie rurale, il œuvre comme pigiste en communication et dans la presse écrite et électronique. Il habite Stanbridge East, dans les Cantons-de-l’Est, où il cultive le raisin de table commercialement.