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Transformation de l’agriculture : entre consolidation, diversité et urgence climatique

Aux États-Unis, le département de l’agriculture (USDA) vient de publier son tout dernier recensement agricole confirmant que l’agriculture américaine continue sa marche vers la consolidation.

En l’espace de 100 ans, le nombre de fermes aux États-Unis est passé de 6,8 millions en 1930 à 1,9 million en 2022. Aujourd’hui, cette puissance agricole affiche le plus petit nombre de fermes depuis 1850.

Trois autres grandes tendances sont confirmées dans ce recensement :
  1. L’industrie se modernise, « affichant des taux plus élevés d’adoption de la technologie, de production d’énergie renouvelable, d’utilisation de solutions de vente directe et de pratiques agricoles durables ».
  2. La productivité est en hausse grâce à la mécanisation, les semences hybrides, les engrais et les pesticides synthétiques.
  3. Et, finalement, le vieillissement des exploitants s’intensifie alors qu’un agriculteur sur 10 avait plus de 65 ans en 2022.


Pendant ce temps au Canada

Au Canada, les dernières données du recensement de l’agriculture publiées en 2021 révélaient les mêmes tendances : entre 2016 et 2021, le nombre d’exploitations a reculé de 1,9 % passant de 193 492 exploitations à 189 874. 

Même si la baisse du nombre d’exploitations agricoles a été la plus faible en 25 ans, les statistiques indiquent que ce sont surtout les petites et les moyennes exploitations agricoles qui sont en déclin au Canada. 

Le vieillissement des exploitants agricoles est aussi une réalité chez nous alors que 6 exploitants agricoles sur 10 avaient plus de 55 ans en 2021.

Finalement, l’industrie a été « caractérisée par l’émergence de créneaux, comme en témoigne l’augmentation de la superficie totale déclarée pour la culture en serre ».

Le Québec entre deux agricultures parallèles

Évidemment, le Québec n’échappe pas à ces grandes tendances nord-américaines. Mais grâce aux recherches menées par le professeur Patrick Mundler et ses collègues de l’Université Laval, nous avons un portrait beaucoup plus intime de l’évolution de l’agriculture au Québec : un portrait qui se redéfinit lentement, sans transformation brutale.

Pour Patrick Mundler, les dernières statistiques concernant le Québec illustrent, entre autres, « un agrandissement des grandes fermes, une relative stabilisation des toutes petites fermes dont un certain nombre se tourne vers la mise en marché de proximité et une disparition ou un affaiblissement de ce qu’on appelle la ferme moyenne ».

Ainsi, le nombre total de fermes au Québec est passé de 28 919 en 2016 à 29 380 en 2021 ; une augmentation de 461 fermes. De plus, la proportion de fermes déclarant utiliser la vente directe est passée de 18,9 % à 20,9 % pendant cette période.

Place aux cultures nichées

Mais attention, dit Patrick Mundler, Statistique Canada a modifié la façon de compter les fermes en les identifiant non plus par rapport à leur revenu, mais en les définissant comme toutes les personnes qui ont l’intention de vendre des produits agricoles. 

« Il est donc possible qu’une partie de l’augmentation vienne d’une intégration de fermes qui étaient déjà là, mais qu’on n’avait pas encore comptées, dit-il. Est-ce un sursaut temporaire ou une tendance? Il faudra attendre de voir le recensement de 2026 pour qualifier cette évolution. »

Par ailleurs, Patrick Mundler note qu’entre le recensement de 2016 et celui de 2021, il y a eu une augmentation du nombre de fermes en circuit court : 672 fermes de plus déclaraient utiliser la vente directe aux consommateurs.

Les cultures nichées sont toutes celles qui font affaire directement avec les consommateurs, rappelle le professeur Mundler. Ces fermes de petites tailles misent sur leur compétitivité et sur un produit de qualité vendu en circuit court.

Entre consolidation et culture nichée, l’agriculture québécoise d’aujourd’hui évolue donc sous le signe de la diversité. 

« Elle s’étend sur un continuum allant du gros potager à la firme financière. Entre spécialisation et diversification, entre concentration et dispersion, entre industrie et artisanat, entre marchés globaux et marchés locaux, les agriculteurs québécois empruntent des chemins variés, » constate Patrick Mundler dans un texte publié dans la revue Organisations & Territoires.

Faire face aux changements climatiques 

Tant au Canada qu’aux États-Unis, les statistiques indiquent que les pratiques durables caractérisent de plus en plus le secteur agricole. Des adaptations nécessaires, car les changements climatiques représentent un défi pour l'industrie dans les années à venir.

En Europe, c’est justement l’urgence climatique qui dicte les nouvelles normes qui sont en train de transformer l’industrie agricole. Et la transition est beaucoup plus brutale pour les 27 états membres de l’Union européenne qui se sont engagés à atteindre la neutralité climatique d’ici 2050. Ces obligations juridiques forcent les pays de l’UE à instaurer des mesures qui ont un impact sur la production agroalimentaire. Tout cela dans un contexte inflationniste qui affecte directement les revenus des agriculteurs et leur compétitivité.

En 2023, cette course pour freiner les changements climatiques s’est traduite par des propositions et des politiques environnementales qui ont été dénoncées par les syndicats agricoles comme étant « mal conçues, mal évaluées, mal financées » et offrant peu d’alternatives aux agriculteurs. Les agriculteurs et les éleveurs ont manifesté leur colère et demandé à leur gouvernement respectif plus de flexibilité pour faire face aux défis climatiques et économiques. Ils ont été entendus.

Mais l’urgence environnementale demeure un enjeu central. L’industrie agricole, confrontée à une baisse de biodiversité, aux problèmes d'érosion et de perte de santé des sols, à la disponibilité de l’eau et à l’arrivée de nouveaux ravageurs, va devoir changer ses pratiques. 

« Aujourd’hui, de 60 % à 70 % des sols en Europe sont en mauvais état, rappelait récemment la présidente de l’Union européenne, Ursula von der Leyen. Nous pouvons inverser cette tendance. Les agriculteurs ont besoin de raisons économiques de prendre des mesures de protection de la nature — peut-être ne leur avons-nous pas exposé ces raisons de manière convaincante. »

Pour le professeur Mundler, face aux changements climatiques, qu’une ferme soit petite ou grosse a peu d’importance; c'est une question de pratiques. « Il va falloir penser à des façons de rendre nos sols plus résilients et nos cultures moins gourmandes. »

Photo : iStock.com | IMNATURE