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Le Pacte vert européen : Entre urgence climatique et réalité politique

En Europe, le Pacte vert, un ensemble de législations proposé par l’Union européenne (UE) pour réduire les émissions de gaz à effet de serre et transformer certains secteurs d’activités, dont l’agriculture, vient de frapper un mur politique.

La mobilisation des agriculteurs, en pleine saison électorale du parlement européen, a eu raison d’une importante mesure inscrite dans le Pacte vert pour atteindre la neutralité carbone en 2050. 

« Les dirigeants européens sont en recul parce qu’il est difficile de gérer la colère quand elle s’exprime de cette façon-là ; la profession dispose de moyens de blocage importants devant lesquels l’État se retrouve démuni », souligne Patrick Mundler, professeur à la Faculté des sciences de l’agriculture et de l’alimentation à l’Université Laval.

Le recul a été annoncé par la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, qui propose d’abandonner le projet de loi qui prévoyait de réduire de moitié d’ici 2030 l’utilisation des pesticides et les risques liés à leur usage dans les 27 États membres de l’Union européenne. 

« Nos agriculteurs et agricultrices méritent d’être écoutés, déclare la présidente. Je sais qu’ils s’inquiètent pour l’avenir du secteur agricole et pour leur avenir en tant qu’agriculteurs. Ils savent aussi que l’agriculture doit s’orienter vers un modèle de production plus durable. Nous voulons faire en sorte qu’ils restent aux commandes du processus. »

Pour la Copa-Cogeca, l’organisation regroupant les syndicats agricoles majoritaires au niveau européen, l’UE reconnaît enfin que son « approche n’était pas la bonne ». Ces syndicats, faisant échos aux manifestants, avaient dénoncé cette proposition émanant du sommet comme étant « mal conçue, mal évaluée, mal financée » et offrant peu d’alternatives aux agriculteurs. 

L’échec de cette politique environnementale était annoncé, selon l’expert en matière de droits économiques et sociaux et ancien rapporteur spécial des Nations unies sur le droit à l’alimentation, Olivier de Schutter : « Il n’y a aucune cohérence entre la transformation écologique interne à l’Union européenne, où on veut aller vers davantage d’agriculture biologique, réduire l’usage de pesticides et d’engrais et, d’autre part, les accords de libre-échange qui conduisent l’Union européenne à importer des produits agricoles de pays qui n’ont pas du tout les mêmes exigences environnementales. »

C’est toute la notion de souveraineté alimentaire qui est soulevée ici, rappelle le professeur Mundler. « Dans un contexte de libéralisation de l’agriculture, les décideurs cherchent à déterminer un certain nombre de règles à l’interne alors que les producteurs soumis à ces règles se retrouvent concurrencés de fait par des producteurs à l’étranger qui ne sont pas soumis aux mêmes règles et ça, c’est un problème. »

Une mobilisation qui porte ses fruits

Des Pays-Bas jusqu’à la Pologne en passant par l’Italie et la France, les agriculteurs convergeant vers les capitales européennes au volant de leurs tracteurs, ont donc été entendus. Les leaders européens réajustent le tir comme le confirme le dernier discours de la présidente de la Commission européenne.

« Il nous faut analyser ensemble la situation, partager des idées et élaborer des scénarios pour l’avenir. Il nous faut aller au-delà d’un débat polarisé et instaurer la confiance. La confiance est une base essentielle pour des solutions viables. »

Ainsi, l’UE constate que l’accord du milieu agricole, déjà aux prises avec l’inflation et les conséquences de la guerre en Ukraine, est essentiel pour faire face à l’urgence climatique.

« Aujourd’hui, de 60 % à 70 % des sols en Europe sont en mauvais état, rappelle Ursula von der Leyen. Nous pouvons inverser cette tendance. Et c’est précisément ce que font de nombreux agriculteurs. Mais nous devons faire davantage encore. Les agriculteurs ont besoin de raisons économiques de prendre des mesures de protection de la nature — peut-être ne leur avons-nous pas exposé ces raisons de manière convaincante. »

Le parlement européen en saison électorale

À quelques mois des élections parlementaires européennes, prévues du 6 au 9 juin, les acteurs politiques auront à se positionner face la transition agroécologique qui est au cœur du Pacte vert.

Rappelons que le Parlement européen est composé de 705 eurodéputés qui sont élus au suffrage universel direct tous les cinq ans. Ils sont répartis en sept groupes politiques organisés non pas par nationalité, mais en fonction de leurs affinités politiques.

Le Parti populaire européen (PPE), situé à droite de l’échiquier politique, dénonce « les objectifs inatteignables » du Plan vert ; estimant que « ce n’est pas le moment de mettre en danger la sécurité alimentaire en Europe ».

Encore plus à droite, une poignée d’eurodéputés du Rassemblement national (membre du Parti Identité et démocratie au niveau européen) annonce leur volonté de signer une résolution pour « abolir » le Pacte vert estimant que ses « stratégies sous-jacentes affectent négativement le fonctionnement quotidien et les perspectives du secteur agricole européen ».

Les observateurs s’attendent à ce qu’une version moins ambitieuse du Plan vert, notamment en matière de pesticides, fasse l’objet de discussions après les élections du parlement européen.

« Le sujet (des pesticides) reste d’actualité et pour avancer, davantage de dialogue et une approche différente sont nécessaires, reconnaît la présidente Ursula von der Leyen. Sur cette base, la Commission pourrait faire une nouvelle proposition beaucoup plus mûre, avec la participation des parties prenantes. Notre secteur agroalimentaire — à commencer par les exploitations agricoles — a besoin de perspectives à long terme et d’une volonté de s’écouter mutuellement et de rechercher des solutions communes. »

Photo : iStock.com | idealistock