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Les leçons à tirer… du couvoir à l’abattoir

Tout comme la pandémie de COVID-19 a bouleversé nos vies, l’influenza aviaire H5N1 déstabilise et met à mal les filières avicoles partout dans le monde. Troupeaux reproducteurs, couvoiriers, éleveurs, fabricants d’aliments, abattoirs : aucun maillon n’a été épargné. Qu’en est-il dans le réseau de Sollio Agriculture? Réflexions et enseignements.

L’agronome Éric Dion touche du bois. C’est que ce gestionnaire de l’équipe commerciale pondeuses et dindons chez Sollio Agriculture n’est pas (pas encore, du moins) aux prises avec une rupture d’approvisionnement de pondeuses d’œufs de consommation, rupture que pourrait provoquer, dans la filière qu’il supervise, une explosion de grippe aviaire. Oui, il touche du bois. Sa clientèle n’en souffre pas – « au moment où l’on se parle », précisera-t-il à plusieurs reprises. 

Cette situation pour le moment avantageuse n’est pas celle qu’on connaît à bien des endroits sur le continent nord-américain, tant au Canada qu’aux États‑Unis, où l’on assiste, impuissant, à la destruction de troupeaux reproducteurs. Ces ruptures dans des filières avicoles réglées au quart de tour causent bien des maux de tête et perturbent l’approvisionnement des fermes où l’on élèvera les futures pondeuses d’œufs de consommation, note l’agronome.

« Il n’y a pas, au moment où l’on se parle, de ruptures d’approvisionnement prévues, précise Éric Dion. La raison en est simple : c’est qu’on travaille étroitement, et ce, depuis plusieurs années, avec notre partenaire, le couvoir McKinley Hatchery, à St. Marys, en Ontario, qui possède aussi des oiseaux reproducteurs. Son infrastructure de fermes de reproduction est la même que la nôtre. Si ses fermes sont atteintes par la grippe aviaire et que le cycle de production y est rompu, il pourra compter sur nous pour l’approvisionner, et vice versa. C’est ainsi qu’on a décidé de se structurer. Bref, si ça casse au Québec, l’Ontario va nous "backer". Si ça casse en Ontario, le Québec va "backer" l’Ontario. Il faudrait être vraiment malchanceux pour que les deux réseaux flanchent en même temps. »

Éric Dion ajoute : « Évidemment, c’est une épée de Damoclès qui pend au-dessus de nos têtes. Nos mesures de biosécurité ont donc été hautement renforcées. Nos oiseaux reproducteurs, on en a toujours pris soin comme de la prunelle de nos yeux, mais là, on y fait encore plus attention. On ne fait plus de visites de fermes simplement pour s’assurer que tout va bien. Chacune de nos visites a un but précis. Ou alors, on se rejoint à l’extérieur de l’emplacement de la ferme pour discuter. »

Dans le dindon, une production qu’Éric supervise aussi dans le cadre de ses fonctions, Sollio ne possède pas d’infrastructures de reproduction ou de couvaison. « Mais la situation est prise tout aussi au sérieux, assure-t-il, car les bris dans la chaîne d’approvisionnement sont également possibles. Cela dit, avec Hybrid Turkeys – une division de Hendrix Genetics, la compagnie avec laquelle nous travaillons, qui possède des installations de production partout dans le monde –, on ne prévoit pas de bris dans la chaîne de cette production. » 

Le poulet de chair

La situation est semblable et également bien maîtrisée dans le poulet de chair, note pour sa part Patrick Noël, agronome et gestionnaire commercial en aviculture chez Sollio Agriculture. « Nous n’avons pas encore été confrontés à des cas de H5N1, mais on demeure hautement vigilants. Cela dit, des troupeaux reproducteurs dans le poulet de chair au Manitoba ont été atteints par le H5N1, précise le gestionnaire. Ils ont donc dû les abattre. Ce qui a provoqué des ruptures d’approvisionnements de leur côté. Chez nous, l’incendie d’un de nos poulaillers a fait périr 10 000 oiseaux reproducteurs. Ça n’a évidemment aucun lien avec le H5N1, mais ça met une pression additionnelle sur notre chaîne de production. »

« Les éleveurs qui font affaire avec Sollio Agriculture n’ont pas subi de rupture d’approvisionnement à cause de la grippe aviaire ou en lien avec cette maladie, note Costanza Galeano, experte-conseil en stratégie d’affaires dans le secteur avicole chez Sollio Agriculture. Notre structure solide et bien établie permet de réagir rapidement lorsque les problèmes surviennent. On communique rapidement entre tous les maillons : troupeaux reproducteurs, couvoir, transporteurs, fermes d’élevage, fabrication des moulées. Partout, on met en place les mêmes principes de biosécurité. »

L’experte-conseil rappelle l’épisode de laryngotrachéite infectieuse aviaire qui a frappé de nombreux élevages au Québec il y a quelques années. « Cette maladie à déclaration obligatoire et la façon dont nous avons agi pour en maîtriser la propagation ont été une véritable école, souligne-t-elle. Avec la menace de H5N1, nos protocoles de sécurité et nos cellules de gestion de crise se sont mis en branle rapidement. On travaille avec le MAPAQ, l’ACIA, l’EQCMA. On suit toutes leurs recommandations. On s’assure que tout le personnel de nos sites de production est informé. »

« C’est une filière bien huilée et bien rodée, mais qui reste très fragile, ajoute Patrick Noël. Il suffirait que la grippe aviaire s’introduise dans un troupeau d’oiseaux reproducteurs au Québec, et la chaîne débarque. On ne serait plus capable d’assurer les approvisionnements. Reconstruire un troupeau demande du temps. Quand on détermine les allocations de production de poulets, on se base entre autres sur des prévisions de consommation pour l’année ou les deux années à venir. Il ne faut pas grand-chose pour tout perturber. »

« Olymel s’en est bien tirée, étant donné qu’aucun cas d’influenza aviaire entraînant des dépopulations massives n’a touché directement ses fournisseurs, affirme de son côté le vétérinaire Eloualid Benabid, directeur corporatif de l’assurance qualité volaille fraîche et des services vétérinaires. Donc, pas de manque de poulets ou dindons dans nos abattoirs. La principale conséquence concerne les restrictions imposées par les pays vers lesquels nous exportons des produits de volaille. Nous sommes bloqués par certains pays, et d’autres ont des restrictions partielles. Nous avons réorganisé nos opérations en conséquence afin de faire la ségrégation et ainsi minimiser les impacts. La levée des restrictions pourra prendre encore un certain temps. »

Une préoccupation nationale et internationale

« Il est difficile de visualiser l’impact de la grippe aviaire jusqu’au moment où l’on se trouve à risque, déclare Costanza Galeano. On essaie alors d’évaluer ce qui pourrait arriver si la maladie se déclarait dans un de nos troupeaux. Et c’est encore plus préoccupant dans les zones à haute concentration d’oiseaux, comme à Saint-Félix-de-Valois ou à Saint-Alphonse-de-Granby. Il y a des endroits où il n’y a que des poulaillers. Et ça ne toucherait pas que Sollio : c’est une préoccupation pour toute l’industrie. Nous avons lancé des protocoles de haute biosécurité, mais en même temps, on n’a pas encore vécu la maladie. Sera-t-on prêts si elle se déclare? Il se peut qu’on ne le soit pas. »

Le cas échéant, le marché pourrait littéralement manquer d’oiseaux, avertit Patrick Noël. « Il se pourrait qu’on doive dépeupler un secteur à forte concentration de production, dit-il. Et il y aurait moins de poulets pour le consommateur, effectivement. »

« Ça pourrait faire boule de neige, soutient Costanza Galeano. Un seul troupeau d’oiseaux reproducteurs positif à la grippe aviaire peut avoir un gros impact sur l’industrie. La quantité de kilos de viande produite est énorme. Tous nos experts-conseils sont en mode alerte et sensibilisent les producteurs aux mesures de biosécurité les plus sévères. Avec la souche hautement pathogène, il n’y a aucun traitement possible. »

Entre le début de la propagation et août, plusieurs cas ont été recensés au Québec chez des oiseaux sauvages et des petits élevages. En qui concerne les élevages commerciaux, au printemps dernier, une filière d’élevage d’oiseaux de spécialité a vécu une situation catastrophique en raison de cette maladie. Au cours des dernières semaines, dans la zone de Saint-Gabriel-de-Valcartier, quatre productions commerciales de dindons ont été confirmées positives par l'ÉQCMA. « La zone de contrôle demeure encore active et il faudra du temps pour bien comprendre l'incidence que ces cas déclarés auront sur la production de dindes à l’échelle provinciale. La concentration de la production avicole dans la zone est importante et nous suivons la situation de près », assure Costanza Galeano.

Il ne s’agit pas d’un enjeu de santé publique, tiennent par ailleurs à souligner l'experte-conseil et Patrick Noël. « La grippe aviaire est une maladie complexe qui compte plusieurs sérotypes et variants, précise l’experte-conseil. Le variant qui nous occupe n’affecte que les oiseaux. En Chine, des décès humains ont été provoqués par une tout autre souche de la maladie [H3N8] que celle à laquelle nous devons faire face. Les consommateurs d’ici ne risquent rien à consommer de la viande de volaille ou des œufs. »

Tout comme ses collègues, l’agronome Denis Caron, directeur technique et des élevages avicoles chez Sollio Agriculture, sait pertinemment que nulle exploitation avicole n’est à l’abri d’une contamination. « On l’oublie parfois, mais il faut constamment se le rappeler. Il faut resserrer les multiples filtres de biosécurité et de prévention que l’on a mis en place tout le long de la chaîne de production », insiste-t-il.

Au moment où nous écrivons ces lignes, les migrations d’oiseaux sont pratiquement terminées, dit l’agronome. Les risques d’être aux prises avec un épisode de grippe aviaire diminuent. « Mais n’oublions pas que lorsque les migrations d’automne reprendront et que les oiseaux de multiples provenances seront en contact, les risques de contamination se multiplieront partout sur le continent. Il faudra à nouveau rehausser les niveaux d’alerte, avertit-il. On sait aussi que certains oiseaux migrateurs restent ici et peuvent potentiellement représenter des réservoirs de contamination. »

Denis Caron note qu’il « est tentant de lâcher quand la situation apparaît maîtrisée. Mais c’est la dernière chose à faire. Il ne faut rien prendre à la légère, car la fois où l’on a décidé de passer outre à certaines mesures de biosécurité est peut-être celle qui a ouvert la voie à la contamination. Personne ne veut être le premier cas… »

Patrick Dupuis

QUI EST PATRICK DUPUIS
Patrick est rédacteur en chef adjoint au magazine Coopérateur. Agronome diplômé de l’Université McGill, il possède également une formation en publicité et en développement durable. Il travaille au Coopérateur depuis plus de vingt ans.

patrick.dupuis@lacoop.coop

patrick.dupuis@sollio.coop

QUI EST PATRICK DUPUIS
Patrick est rédacteur en chef adjoint au magazine Coopérateur. Agronome diplômé de l’Université McGill, il possède également une formation en publicité et en développement durable. Il travaille au Coopérateur depuis plus de vingt ans.

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