Aller au contenu principal

Entretien avec Yanick Gervais, nouveau président-directeur général d’Olymel

Yanick Gervais enfilait les entrevues les unes après les autres le 11 novembre dernier, jour de l’annonce de sa nomination officielle à l’un des plus prestigieux postes de l’industrie agroalimentaire canadienne, président-directeur général d’Olymel. Le trifluvien de 42 ans prend en charge une division de Sollio Groupe Coopératif qui cumule un chiffre d’affaires de 4,5 milliards $. Le Coopérateur s’est entretenu avec lui.

Coopérateur : Brièvement, parlez-nous de vous? Famille, études, travail…
Yanick Gervais : Je suis père de trois filles de 11, 13 et 15 ans. Je suis avec ma conjointe depuis 29 ans. On s’est connu à l’école secondaire. Je suis originaire de Trois-Rivières où nous habitons toujours. Je suis comptable agréé. J’ai une maîtrise en fiscalité de l’Université de Sherbrooke ainsi qu’un diplôme d’études supérieures et un baccalauréat en sciences comptables de l’Université du Québec à Trois-Rivières. Après avoir travaillé quelques années dans un cabinet d’experts-comptables, je suis retourné dans l’entreprise familiale, La Fernandière, en 2005, et j'ai racheté les actions d’un de mes oncles. J’en suis alors devenu copropriétaire et directeur général. Depuis 2018, j’occupais chez Olymel le poste de vice-président principal Opérations. Je m’occupais notamment de la logistique, de l’ingénierie et des achats pour l’ensemble des usines de l’entreprise au Canada.

Quand La Fernandière a-t-elle commencé ses activités et comment s’est-elle développée?
Tout a commencé avec mon arrière-grand-père qui était agriculteur à Bécancour. Il élevait des porcs et quelques bovins qu’il vendait au marché public de Trois-Rivières. Les surplus qu’il ne vendait pas, son fils les utilisait pour en faire de la charcuterie, des cretons et des saucisses. C’est ainsi que mon grand-père, Fernand Colbert, et son associé d’alors, Fernand Pratte, d’où le nom Fernandière, ont fondé leur entreprise, en 1948. Son associé est décédé assez rapidement. C’est donc mon grand-père qui en a poursuivi le développement. Il a entre autres construit une première véritable usine en 1968. L’entreprise a beaucoup progressé au fil des ans, si bien qu’en 2012, avec mon associé de l’époque, on a érigé une nouvelle usine qui nous a permis de pousser encore plus en avant la croissance de l’entreprise. Quand La Fernandière a été vendue à Olymel en 2016, nous étions les plus importants producteurs de saucisses au Québec et l’un des plus importants au Canada. La totalité de la production de saucisses fraîches de l’usine d’Olymel à Saint-Henri a été transférée à celle de La Fernandière.

Quels sont les principaux enjeux que vous aimeriez voir se régler (rapidement) pour Olymel et les producteurs de porc et de volaille?
Le premier, et nous ne sommes pas les seuls à en faire la demande, c’est la main-d’œuvre. On fait beaucoup de démarches auprès du gouvernement pour faire bouger les choses dans le dossier des travailleurs étrangers temporaires. Nous avons reçu de bonnes nouvelles. Le taux qui nous est octroyé est passé de 10 à 20 %. Le gouvernement se doit d’être un bon partenaire à ce chapitre, mais nous mettons aussi tout en œuvre pour améliorer les conditions de travail et la rétention du personnel avec une rémunération compétitive, des postes de travail ergonomiques, de la formation, des services de transport. On est proactifs et près d’eux. On fait des sondages autant auprès de ceux que l’on embauche qu’auprès de ceux qui quittent l’entreprise. On veut savoir pourquoi ces derniers ont pris cette décision. La main-d’œuvre est notre plus grand défi. Ce n’est pas de gaieté de cœur que nous avons dû faire des annonces cet automne [réduction des achats de porcs] dans certaines usines. C’est une décision réfléchie et essentielle à la pérennité et à la survie de l’entreprise. On comprend que si nous étions à pleine capacité de main-d’œuvre pour bien valoriser ce que l’on abat, nous n’aurions pas eu à prendre ces décisions.

L’autre défi que nous avons, c’est l’intelligence d’affaires. Comment, grâce aux nouvelles technologies, avoir un accès plus efficace et rapide à des données qui nous permettront de prendre de meilleures décisions. Olymel commercialise chaque année plus d’un milliard de kilos de viande. Chaque décision qui est prise plus rapidement et qui offre la possibilité d’aller chercher une rentabilité de quelques sous de plus a son importance.

On travaille également sur un vaste projet d’optimisation dans l’ensemble de l’entreprise. Comment mieux produire, mieux répondre aux demandes de nos clients et des consommateurs, comment être plus efficace et valoriser encore plus nos pièces de viande afin d’en augmenter la consommation au Québec et au Canada? Pour y arriver, je serai à l’écoute de nos employés qui sont indispensables à notre réussite.

La robotisation fait-elle aussi partie de vos défis?
Oui, assurément. Cela dit, ce n’est pas la planche de salut. Il est faux de prétendre que la robotisation va solutionner le problème de la main-d’œuvre. Oui, il faut en faire. Oui, il y a des postes qui s’y prêtent davantage, notamment ceux à forte manutention, plus difficiles physiquement. On en a fait énormément au niveau de la mise en boîte. Dans la volaille, l’automatisation est très avancée. Dans le porc, les défis sont plus grands. Automatiser les processus avec des bêtes de 130 kilos, c’est plus complexe. Pré-Covid, nous avions prévu des visites dans d’autres pays afin de voir si des technologies nous auraient permis d’atténuer la pression de la main-d’œuvre. Ç’a été mis sur pause, mais on maintient une vigie technologique.

Olymel a vécu et vit des situations difficiles : grèves, pandémie, pénurie de main-d’œuvre, etc. Comment retrouvera-t-elle le chemin de la rentabilité qu’elle avait l’habitude de connaître?
Comme je l’ai mentionné, les annonces faites à l’automne vont en ce sens. Il faut savoir aussi, et c’est vrai pour la majorité des entreprises de transformation de viande, qu’il y a des cycles, et parfois de très forts hauts et de très forts bas. On sait que la situation dans le porc est difficile, mais je tiens à souligner que dans la transformation de la volaille, nous connaissons des années records chez Olymel. On travaille sans relâche à améliorer les attributs de nos produits. On veut faire la même chose dans le porc. Plus de diversité, plus de valeur ajoutée. La rentabilité est là, mais pas au niveau que l’on a déjà connu. Selon nous, la situation est conjoncturelle. Nous avons vécu des grèves, mais pour certaines, nous n’avions aucune emprise, celle dans le port de Montréal, entre autres. Il y a eu des blocus, la COVID-19, des mesures politiques internationales, avec la Chine, par exemple. Puis le taux de change nous a été défavorable. On veut donc se bâtir des modèles de prévisibilité afin que même si des conjonctures semblables se répétaient, nous serions en mesure de conserver un niveau intéressant de rentabilité, et réaliser des projets de croissance et d’acquisitions. 

La Chine demeure un enjeu. Avez-vous espoir d’y exporter à nouveau dans un avenir rapproché?
Avec la libération des deux Michaels, les relations politiques semblent s’améliorer un peu, mais ça reste très imprévisible. Seules deux de nos usines (Ange-Gardien et Yamachiche) ont pour le moment l’approbation d’exporter vers la Chine. Pour nous, c’est un marché qui est très intéressant et rentable pour certaines pièces de viande spécifiques. On va bien sûr s’en réjouir lorsqu’il rouvrira. Nous avons encore de bonnes relations d’affaires avec des courtiers là-bas. En revanche, cela fait plus de deux ans que l’on ne peut exporter à partir de notre usine de Red Deer, en Alberta. L’industrie porcine, et celle du bœuf aussi à certaines occasions, font les frais de guerres commerciales. Nous n’avons pas d’influence sur la résolution de ces conflits.

La peste porcine africaine vous inquiète-t-elle?
Oui. C’est encore plus préoccupant depuis qu’elle a été déclarée en République dominicaine et en Haïti. Avec la pandémie, les déplacements étaient moins fréquents, mais il y a quand même beaucoup de va-et-vient de gens de ces régions qui ont de la famille à New York ou ailleurs sur la côte Est américaine. Olymel est un leader au niveau du déploiement de programmes pour contrer la peste porcine africaine. Je pense aux notions de zones et de compartimentation du pays. S’il y avait un cas déclaré dans les maritimes ou au Québec, est-ce que l’ensemble du pays serait interdit d’exportation ou alors est-ce que certaines régions seraient autorisées à continuer leurs activités? Ça reste à voir. Mais comme je le mentionnais pour la Chine, on ne contrôle pas l’ensemble du dossier. On peut effectuer des contrôles aux frontières et mettre en place des mesures de biosécurité, mais il n’y a aucune façon de se protéger à 100 % contre ce fléau.

Comment entrevoyez-vous prendre la place de Réjean Nadeau, décédé subitement le 14 octobre dernier?
Réjean est une des principales raisons pour lesquelles j’ai décidé de vendre La Fernandière à Olymel. On partageait des valeurs très similaires avec Sollio Groupe Coopératif et Olymel. Des valeurs de respect envers nos gens. Nous avons accès aux mêmes technologies et on travaille avec les mêmes marchés, les mêmes partenaires commerciaux. Ce qui va nous différencier, ce qui fera en sorte qu’on va surmonter les crises, et dépasser certains de nos concurrents, ce sont les gens. C’est un grand ami, et il a été un mentor. Lorsqu’il nous a fait ses adieux par écrit, il a précisé que c’était à nous d’amener l’entreprise plus loin. J’aurai le devoir d’en préserver l’héritage. Et ça, c’est vrai pour n’importe quelle transition. On a la chance, quand on reprend quelque chose, de bénéficier de tout ce que notre prédécesseur a fait et on a les coudées franches pour la prochaine étape. Réjean nous a fait un beau legs, mais ce sont de gros souliers à chausser, on ne se fera pas de cachettes.

Patrick Dupuis

QUI EST PATRICK DUPUIS
Patrick est rédacteur en chef adjoint au magazine Coopérateur. Agronome diplômé de l’Université McGill, il possède également une formation en publicité et en développement durable. Il travaille au Coopérateur depuis plus de vingt ans.

patrick.dupuis@lacoop.coop

patrick.dupuis@sollio.coop

QUI EST PATRICK DUPUIS
Patrick est rédacteur en chef adjoint au magazine Coopérateur. Agronome diplômé de l’Université McGill, il possède également une formation en publicité et en développement durable. Il travaille au Coopérateur depuis plus de vingt ans.

patrick.dupuis@lacoop.coop