Une Bourse… coopérative?

Tout le monde le sait : l’accès au capital est, pour les coopératives, un enjeu de taille. Essentiellement financées par leurs membres, celles qui veulent développer des affaires doivent combler leurs besoins financiers additionnels auprès des institutions financières. Leurs compétiteurs, généralement des entreprises à capital-actions, ont un levier de plus : ils peuvent faire un appel public à l’épargne en offrant des actions à des investisseurs. Il s’agit d’une option avantageuse, qui permet d’apporter, à faible coût, du capital à l’entreprise. Mais c’est un type de financement qui ne cadre pas avec les principes coopératifs.
C’est donc pour répondre à cet enjeu crucial d’accès au capital que le Régime d’investissement coopératif (RIC) a été mis sur pied, au Québec, en 1985. Il permet aux membres et aux employés d’investir des fonds sous forme d’actions privilégiées de leur coopérative, moyennant dividendes préétablis et avantage fiscal. Mais le RIC reste anecdotique : nulle part ailleurs on n’a déployé pareil programme. L’enjeu d’accès au capital touche donc le mouvement coopératif dans son ensemble.
Par ailleurs, on sait qu’il y a beaucoup de petits épargnants qui n’investissent pas en Bourse, parce qu’ils n’ont pas les sommes minimales requises pour réaliser ce genre de placement. « Il faut de l’argent pour faire de l’argent », n’est-ce pas ce qu’on dit? Donc, d’un côté, on a des entreprises qui peinent à accéder aux capitaux, et de l’autre, on a beaucoup de petites économies qui dorment, trop petites pour valoir la peine d’engager les procédures administratives nécessaires à l’investissement classique. Pourrait-on diriger efficacement toute cette petite épargne vers les coopératives? Avec les plateformes numériques disponibles aujourd’hui, c’est le pari que fait Stephen Gill.
Ancien employé de coopérative, Gill assume aujourd’hui la direction d’une entreprise qui fournit des logiciels aux commerçants de détail – une entreprise, soit dit en passant, qu’il songe à convertir en coopérative de travailleurs. Coopérateur convaincu, il propose donc une application mobile, Coop Exchange, qui ferait office de Bourse virtuelle où n’importe qui au monde pourrait facilement investir dans une coopérative, ne serait-ce que quelques sous.
En droite ligne avec l’esprit coopératif, beaucoup d’investisseurs aux liquidités plutôt modestes pourraient alors constituer des fonds substantiels à la disposition des coopératives.
Lubie? En tout cas, dame Pauline Green, ancienne présidente de l’Alliance coopérative internationale (ACI), y croit. « C’est une approche numérique moderne, intelligente et innovante, qui permet à une coopérative de rester la propriété de ses membres, tout en lui donnant accès à du capital pour le développement des affaires », déclarait-elle dans un entretien avec Rebecca Harvey, de Co-operative News. Le conseil d’administration de l’ACI a d’ailleurs été saisi de la proposition en juin dernier, et un comité de travail se penche sur le projet. On fera rapport cet automne, au moment où vous lirez ces lignes, pendant l’assemblée générale de l’ACI à Kigali, au Rwanda.
Alors, aura-t-on bientôt une Bourse coopérative? Il reste plusieurs questions sans réponse. Tout d’abord, il y a les considérations légales et règlementaires à prendre en compte. Et bien sûr, il y a les risques à évaluer. Nous avons tous souvenir de joyaux coopératifs mis à mal par une aventure boursière – on n’a qu’à penser aux groupes céréaliers (pools) de l’Ouest, près de chez nous. La coopération et les indices boursiers semblent inconciliables. Nous nous sommes d’ailleurs toujours félicités de ne pas devoir présenter des résultats trimestriels aux investisseurs, dont l’humeur imprévisible peut tout faire basculer en quelques heures.
Mais il y a peut-être un autre type d’investisseur qui émerge aujourd’hui : l’investisseur aux petits moyens, plus préoccupé par les enjeux planétaires et humains que l’investisseur fortuné (qui s’imagine que l’argent le sauvera toujours!). Or, ce petit investisseur pourrait fort bien trouver son compte dans des rendements plus stables et à plus long terme, provenant de placements dans des coopératives, parce qu’il y verrait un geste politique et éthique honorable, voire valorisant. C’est un dossier à suivre, assurément.