
UNE famille unique. DEUX sites de production. TROIS traites par jour. Bientôt QUATRE actionnaires. La prochaine étape de la Ferme Juar? Une étable… CINQ étoiles!
Écoutez l'épisode du Coopérateur audio avec ses productrices laitières.
Il ventait à écorner les bœufs, mais Kaïla Boivin et sa cousine Sabrina ont fait une marche dans la neige jusqu’à l’endroit qui les fait rêver. De l’autre côté du chemin Ladd’s Mills, là où on a déjà positionné les silos-couloirs, on érigera une étable qui marquera un renouveau, un jalon comme le sont toujours les nouvelles constructions dans la vie rurale. « Ç’a été moins facile qu’on pense, de choisir le site », souffle Sabrina. Les coteaux pentus des Cantons-de-l’Est ont poussé la Ferme Juar à consulter une firme d’ingénierie, question d’éviter d’avoir à déplacer des montagnes ou à remplir des abysses!
De retour à l’étable qui date de 1974. Un laminé d’un article paru en 2000 dans le journal Le Progrès de Coaticook montre un Serge Boivin et une Annie Lévesque, les parents de Sabrina, jeunes et pimpants. Le texte souligne leur implication dans de nombreux organismes ou coopératives et conclut sur leur audace, leur courage et leur vision. Avec Réjean Boivin, père de Kaïla, présent à la ferme au quotidien, et Gérald Boivin, à la fois oncle des cousines et expert-conseil chez Sollio & Vivaco Agriculture coopérative, sans oublier de bons employés, nés ici ou ailleurs, la toile humaine est tissée.
Mais le futur de la Ferme Juar se conjugue au féminin pluriel. Elles ont 25 et 26 ans. Kaïla est sortie, diplôme en poche, du programme de gestion et technologies d’entreprise agricole du Cégep de Sherbrooke en 2023, après deux diplômes professionnels : un en aménagement paysager et l’autre en production animale. Dans le cas de Sabrina, dont l’histoire d’amour avec sa camionneuse Mélanie Riopel a marqué le petit écran lors de la saison 2024 de L’amour est dans le pré, le chemin n’a pas été rectiligne. Après un passage en restauration et des études en arts visuels, elle s’est recentrée sur l’agriculture en terminant ses études collégiales, en juin 2024, au campus du Centre de formation professionnelle de Coaticook (CRIFA).
Assez les curriculums! C’est l’heure de la traite du midi. Depuis une dizaine d’années, on sort les trayeuses trois fois par jour. Il fut même un temps où les vaches 0-15 jours post-vêlage étaient traites une quatrième fois, au début et à la fin du train qui dure deux heures et demie. « Traire plus souvent stimule tout le cycle de lactation », rappelle Gérald. Les performances quotidiennes par vache lui donnent raison : les trois derniers mois, la Ferme Juar a produit un combiné de 2,95 kg de gras et de protéines avec 155 vaches en lactation. Mieux encore, pour l’indice de performance du troupeau (IPT) en 2024, la ferme figure au 99e rang percentile au Canada et se classe au 9e rang au Québec.
Mais enchaîner les vaches, les traire manuellement, gratter, épandre, repousser sont des activités qu’on pourra bientôt conjuguer au passé! Dans trois à cinq ans, le temps – qui sait? – de faire des bébés, les deux cousines espèrent être installées dans une étable moderne munie de quatre robots de traite. L’étable actuelle a été rallongée aux deux bouts. Une forte pente rendrait coûteux un nouvel agrandissement. « Le moment est propice dans les années à venir, car Serge et Annie ont encore la cinquantaine et sont encore actifs à la ferme, soutient Kaïla. L’embauche d’un troisième Guatémaltèque nous permettrait de prendre des congés de maternité. »
Déjà, on amorce la transition. Échafauder des scénarios de production laitière pour établir des capacités de remboursement a été facilité par des discussions avec René Boisvert, conseiller stratégique secteur ruminant chez Sollio & Vivaco. Ce spécialiste en robotique a permis de jauger les performances du troupeau en traite robotisée. « Comme la ferme est déjà à trois traites, on ne peut pas nécessairement compter sur une hausse de 15 % du lait produit », précise Gérald. Il s’agit alors de trouver les meilleures stratégies pour maintenir les performances. On sélectionne déjà les animaux pour la vitesse de traite, le positionnement des trayons et de bons pieds et membres.
En 2021, Lactanet a publié une étude menée auprès de 2143 troupeaux laitiers et financée conjointement par Les Producteurs de lait du Québec et les gouvernements. Pour les troupeaux, la stabulation entravée est encore le fait de 79 % des vaches en lactation, de 60 % des vaches au vêlage et de 54 % des vaches taries. Les taures et les génisses sont encore gardées entravées dans des proportions de 40 et de 30 % respectivement. À la Ferme Juar, les vaches taries et en préparation au vêlage sont logées en liberté, depuis 2013, sur litière profonde dans une deuxième étable, à un kilomètre du site principal.
On découvre d’autres pépites (de Louis) d’or dans ce rapport : si les matelas et tapis constituent la surface de couchage la plus courante dans les stabulations entravées pour les vaches en lait (90 %), ces équipements sont moins présents (63 %) dans les stabulations libres, car la litière profonde et d’autres types de litières sont présentes dans 32 % des fermes. Surfaces des allées de circulation (béton lisse ou rainuré, caoutchouc, lattes), ventilation (naturelle, tunnel, conventionnelle, transversale), systèmes de rafraîchissement (gros ventilateurs, système par aspersion d’eau), luminosité, surfaces des mangeoires, accès extérieur, systèmes de traite : de nombreuses composantes des étables sont étudiées et rapportées par taille de troupeau dans le Portrait des fermes laitières québécoises en matière de logement et de gestion des animaux. Voilà du bon grain à moudre pour alimenter les réflexions!
Avec le climat d’incertitude sur la gestion de l’offre, les taux d’intérêt et l’inflation, construire un palace pour quadrupèdes inquiète-t-il les cousines? « Ce seront de gros investissements, mais ça ne nous fait pas peur, lance Sabrina. J’ai toujours vu mes parents être endettés, mais pour de beaux projets rentables. Ils ont travaillé fort pour diminuer l’endettement tout en investissant dans le quota qui rend notre projet possible. »
Laboratoire vivant – Racines d’avenir
À l’été 2024, la Ferme Juar a participé avec 16 autres fermes aux activités d’échantillonnage des fosses à lisier du Laboratoire Vivant – Racines d’avenir (2023-2028) de l’Union des producteurs agricoles, initiative financée par Agriculture et Agroalimentaire Canada. Analyses biomoléculaires pour traquer les bactéries archées méthanogènes, dosage des acides gras volatils à courtes chaînes (acétate, propionate, butyrate) précurseurs du méthane, modélisation des émissions selon la température – le réchauffement climatique stimulera les émissions –, le lisier est soumis à des batteries de tests au Centre de recherche et de développement de Sherbrooke.
On espère que cette caractérisation permettra de mieux gérer les fosses pour diminuer les émissions de gaz à effet de serre (GES). Retarder la première vidange au printemps quand le lisier est froid et que son activité microbiologique est au ralenti diminuera-t-il les émissions? Augmenter la fréquence de vidange pour ne pas laisser le lisier en conditions anaérobique et réductrices (réaction d’oxydoréduction) générera-t-il moins de GES? Acidifier le lisier avec, par exemple, de l’acide sulfurique nuira-t-il au pH optimal des méthanogènes? La quantité et la composition de la litière influencent-elles les émissions? Les questions abondent et la ferme a délégué Kaïla pour apporter des réponses au sein du laboratoire.
Photo : Étienne Gosselin