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Peste porcine africaine : lancer une offensive commune

On l’a récemment dépistée en République dominicaine et à Haïti. Quels sont les risques que la peste porcine africaine (PPA) touche le Canada? Quels en seraient les impacts sur l’industrie porcine? Que faire pour s’en prémunir? Quels rôles peuvent jouer les producteurs? Le Coopérateur s’est entretenu avec deux spécialistes : Martin Pelletier, agronome et coordonnateur de l’Équipe québécoise de santé porcine (EQSP), et Nadia Bergeron, vétérinaire chez Olymel.

« La COVID-19 nous a en quelque sorte protégés contre la PPA en raison de l’arrêt forcé des voyages de l’étranger vers le Canada et vice-versa, souligne Martin Pelletier, coordonnateur de l’EQSP. Les produits du porc contaminés rapportés par des voyageurs constituent sans doute le risque le plus important d’entrée de la maladie au pays. »

C’est pourquoi il précise que la distance n’a pas réellement d’importance. « Que la maladie soit présente dans les Antilles ne signifie pas nécessairement qu’elle a plus de chance de se retrouver chez nous, dit-il. Il faut se préoccuper tout autant des voyageurs provenant de l’Asie et de l’Europe. Si elle entre au pays, c’est la catastrophe à grande échelle. Les contrôles aux frontières sont la clé. Les services frontaliers font du bon travail avec l’aide des chiens renifleurs. Les mailles du filet se resserrent. »

Il dit craindre toutefois que la maladie se propage sur le continent, notamment en Amérique centrale, d’où provient le plus grand contingent de travailleurs saisonniers venant s’établir au Québec durant la belle saison. « Ces travailleurs, dont certains pourraient possiblement être porteurs du virus, ne viennent pas tous trouver de l’emploi dans des fermes maraîchères, note l’agronome Martin Pelletier, certains se retrouvent aussi dans des fermes porcines. »

« L’humain est un vecteur important de la propagation de la maladie, indique Nadia Bergeron, vétérinaire et gestionnaire de projets, mesures d’urgence et bien-être animal du secteur porc, chez Olymel. Par exemple, une personne qui, sans le savoir, aurait visité une ferme contaminée dans un autre pays. Ou encore par l’entremise de charcuteries contaminées rapportées de l’étranger et dont des restes auraient été servis à des porcs. »

Les États-Unis ont manifesté beaucoup d’inquiétudes face à ces annonces. Porto Rico et les Îles vierges, des territoires américains, sont situés à proximité de la République dominicaine et d’Haïti. « Toutefois, en raison d’une zone de protection qui a récemment été implantée par le département de l’agriculture [USDA], si un cas de PPA était déclaré dans ces îles, ce n’est pas l’ensemble du territoire américain qui serait alors considéré comme étant positif », souligne la vétérinaire.

« Cela dit, poursuit-elle, une déclaration d’un cas de PPA au Canada aurait des répercussions dévastatrices sur notre filière porcine, notamment par la fermeture de nos marchés d’exportation. Des pertes de 45 milliards $ et la fin de quelque 125 000 emplois. Environ 70 % du porc produit au pays trouvent preneur à l’étranger. Il importe donc de mettre en place des mesures pour minimiser ces impacts. »

Zonage et compartimentation

« L’Organisation mondiale de la santé animale [OIE] considère deux outils importants pour se prémunir contre la peste porcine africaine et protéger le commerce international, indique Nadia Bergeron. Il s’agit du zonage, aussi appelé régionalisation, et de la compartimentation. Les deux outils visent à conserver dans une région le bon statut sanitaire d’une population animale. »  (Voir le schéma ci-dessous.)


Schéma du zonage et de la compartimentation

Zonage : seuls les carrés de couleur bleue peuvent faire du commerce national ou international.
Compartimentation : le compartiment avec les carrés de couleur bleue peut faire du commerce national et international même s’il est dans une zone infectée.

Source : OIE



Le zonage est constitué d’une sous-population animale déterminée sur une base géographique, en utilisant des limites naturelles, artificielles ou légales, explique-t-elle. Le zonage se veut un outil pour circonscrire une éclosion et négocier rapidement la reprise des activités commerciales en dehors de cette zone.

« Le concept du zonage se met en place en situation de crise, lorsque la PPA a été déclarée et que les frontières ont été fermées, ajoute Martin Pelletier. À partir du moment où le gouvernement a identifié les zones, il négocie avec ses partenaires commerciaux afin de pouvoir recommencer à exporter à partir des zones géographiques qui ne sont pas contaminées. »

« Avec la compartimentation, la sous-population animale est déterminée par les pratiques de gestion et d’élevage liées à la biosécurité, précise Nadia Bergeron. Concrètement, un compartiment se définit comme étant un ensemble de sites de production partageant les mêmes normes de biosécurité. Les compartiments doivent être approuvés avant l’éclosion de la PPA par chacun des pays vers lesquels on veut exporter. En comparant ces deux concepts, la meilleure option pour maintenir le commerce international et la moins risquée semble être la compartimentation. »

« La compartimentation, poursuit Martin Pelletier, c’est quelque chose que l’on met en place dès à présent afin d’être prêt lorsque la crise survient. Le gouvernement définit des normes qu’un réseau de production ou un groupe de producteurs vont devoir mettre en place pour obtenir la reconnaissance d’un compartiment. Autrement dit, c’est comme s’il faut que tu isoles tout ton fonctionnement du reste de l’industrie, pour que, si un jour il y a une éclosion de PPA chez ton voisin, tu sois capable de dire : je ne suis pas atteint parce que ma biosécurité, tests à l’appui, est au niveau platine dans toutes mes fermes. Et si tes partenaires commerciaux ont reconnu ton compartiment avec ta façon de fonctionner, tu vas pouvoir continuer à exporter même s’il y a des cas dans différents endroits dans la province. »

La norme nationale pour la compartimentation de la PPA s’appuie sur trois piliers : la surveillance pour la détection précoce de la maladie, les mesures de biosécurité spécifiques au compartiment et la traçabilité de tous les mouvements. « Pour avoir la reconnaissance à l’international de ce modèle, la filière porcine canadienne, en collaboration avec l’Agence canadienne d’inspection des aliments (ACIA), est en processus pour élaborer une norme nationale pour le compartiment, souligne Nadia Bergeron, en plus de développer le cadre pour soutenir sa vérification et sa mise en œuvre. » 

À titre d’exemple, les groupes F. Ménard et OlySky, propriétés d’Olymel, pourraient constituer des compartiments « étanches » à la maladie, illustre Nadia Bergeron. Et les abattoirs d’Ange-Gardien et de Red Deer [en Alberta], inclus dans les compartiments, seraient autorisés à poursuivre leurs exportations advenant le cas où le Canada déclare un cas positif de PPA, et cela, incluant des éclosions dans la faune sauvage. Il faut préciser que d’autres compartiments pourraient aussi être créés dans le réseau d’approvisionnement d’Olymel. 

L’ultime objectif par la mise en place d’un éventuel compartiment au niveau d’un groupe de fermes, poursuit la vétérinaire, est de garder la peste porcine africaine à l’extérieur des sites de production grâce à des mesures de biosécurité et de surveillance précoce de la maladie, et ce, afin de maintenir les exportations.

Ne pas baisser la garde

La biosécurité est le nerf de la guerre. « Il faut contrôler tout ce qui entre sur son site de production, équipements, personnel, c’est ce que le producteur peut faire de mieux, recommande Martin Pelletier. Le moyen par lequel un pathogène peut entrer, ce n’est pas nécessairement ce qu’on pense être le plus élevé. La responsabilité est à plusieurs niveaux. Pour protéger le Canada de l’introduction de la PPA, il faut miser sur une offensive partagée entre tous les maillons de la chaîne : l’Agence canadienne d’inspection des aliments, les entreprises de transformation, les producteurs, les citoyens! »


QUESTIONS EN RAFALE

Entretien avec Nadia Bergeron, vétérinaire et gestionnaire de projets, mesures d'urgence et bien-être animal du secteur porc, chez Olymel

Comment une fermeture de nos frontières affecterait-elle notre filière?
Il faudrait cesser de faire des saillies, réduire notre production, éliminer des porcelets et sans doute pratiquer l’abattage humanitaire.

Les porcs atteints peuvent-ils guérir de la PPA?
Non, il n’y a aucune guérison possible. Il n’y a ni traitement ni encore aucun vaccin. Un animal porteur doit être abattu le plus rapidement possible, tout comme le reste du troupeau.

Le virus de la PPA peut-il avoir plusieurs variants ?
Oui, mais c’est la même souche qui circule dans la nouvelle vague de la propagation de la maladie qui a débuté en 2007.

Est-ce possible de s’en sortir, de l’éradiquer?
Oui. La Belgique a été chanceuse dans sa malchance, seuls des sangliers sauvages ont été atteints. Le pays est exempt de PPA après environ deux ans de lutte contre cette maladie et a retrouvé son statut indemne à la fin de 2020. La République tchèque est aussi indemne après quelques années d’effort. Il y a eu des cas en République dominicaine au tournant des années 1980. À Cuba et ailleurs dans les Caraïbes. En Europe également. Tout avait été éradiqué, sauf en Sardaigne. En Afrique, elle est endémique. C’est possible de l’éradiquer, mais ça dépend de son ampleur et ça peut prendre plusieurs années.

Et ça ne veut pas dire que ça ne reviendra pas…
Non. Parce que cela faisait 40 ans qu’elle n’avait pas été observée en République dominicaine.

Une ferme atteinte pourra-t-elle être repeuplée?
Oui, mais il y aura toute une série de normes à respecter pour éliminer les animaux, laver et désinfecter les bâtiments avant de pouvoir le faire. Ça peut être long.

Ne lâchons pas les mesures de biosécurité à la ferme…
Non. La première brèche dans la biosécurité, c’est peut-être par-là que la PPA s’introduira.


Photo : iStock

Patrick Dupuis

QUI EST PATRICK DUPUIS
Patrick est rédacteur en chef adjoint au magazine Coopérateur. Agronome diplômé de l’Université McGill, il possède également une formation en publicité et en développement durable. Il travaille au Coopérateur depuis plus de vingt ans.

patrick.dupuis@lacoop.coop

patrick.dupuis@sollio.coop

QUI EST PATRICK DUPUIS
Patrick est rédacteur en chef adjoint au magazine Coopérateur. Agronome diplômé de l’Université McGill, il possède également une formation en publicité et en développement durable. Il travaille au Coopérateur depuis plus de vingt ans.

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