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Un transfert durable à la Ferme D. & E. Chamberland

Unoria Coopérative

« Mon père ne voulait pas que je prenne la relève, relate Éric Chamberland, actionnaire de la Ferme D. & E. Chamberland. Le métier est trop dur! » me disait-il. Les avertissements de son père, Denis, n’auront finalement pas eu raison de sa volonté de poursuivre le travail amorcé des générations plus tôt.

Bien qu’il aimait son métier d’infirmier à l’hôpital de Matane, Éric envisage un retour à la terre lors de son congé parental, à la suite de la naissance de son deuxième enfant. Spécialisée dans la production, l’emballage et la livraison de pommes de terre, l’entreprise familiale de Baie-des-Sables, dans le Bas-Saint-Laurent, est aujourd’hui gérée par Mathieu Chamberland et ses parents, Éric Chamberland et Diane Lavoie. Une histoire de cinq générations!

Sur les traces d’Antonio et de Denis

Reconnu pour son aisance dans le commerce, Antonio Chamberland, grand-père d’Éric, flaire le potentiel du marché florissant de la pomme de terre et décide de développer cette production par l’achat de terres qui s’ajouteront à celle acquise par son père, Joseph, en 1948.

Dans les années soixante, la ferme amorce une spécialisation. Aux élevages porcins et bovins s’ajouteront 14 ha (35 acres) de production de pommes de terre devenue mécanisée, des semis jusqu’aux récoltes. Son fils Denis, père d’Éric, travaille avec lui depuis l’âge de 15 ans. « Lorsqu’il prenait la route avec son camion bien chargé de patates et de petits porcelets, se souvient Denis, mon père partait pour plusieurs jours. C’est moi qui gérais les travaux de la ferme et les employés embauchés pour faire l’ouvrage. »

Le 16 mai 1980, Antonio, alors âgé de 58 ans, meurt d’un accident de la route à Mont-Joli au retour d’une série de livraisons. « Une mauvaise mort, souligne Denis Chamberland. Mais, ça fait partie de la vie, on s’est retroussé les manches, un de mes frères est venu travailler avec moi et nous avons continué à faire rouler l’entreprise. » Le défi des dix années qui ont suivi le décès d’Antonio était d’améliorer la santé des 80 ha (200 acres) de superficie productive avec des engrais verts et des rotations de cultures. On délaisse les élevages, un nouvel entrepôt sera construit. « Mon père était plus habile dans le commerce que sur la terre, sourit Denis. Lorsque j’ai moi-même repris la route pour aller vendre nos produits, j’ai été à même de constater les bonnes relations d’affaires qu’il avait créées et qui se poursuivent grâce à Éric qui a hérité du talent de son grand-père! »

Aujourd’hui, la production de pommes de terre de la Ferme D. & E. Chamberland s’étend sur une superficie totale de 38 ha (95 acres), dont 12 ha (30 acres) grâce à un échange de terre avec la ferme voisine. Les rotations de céréales et de foin complètent la superficie restante de 55 ha (135 acres). Chaque année, la ferme entrepose, ensache et livre 1,25 million kg (2,75 millions lb) de pommes de terre. « On est tous très contents de ce que la ferme est devenue, précise Éric. Ce qui est drôle dans l’histoire, c’est que ni moi ni Mathieu n’avions le désir d’en faire une profession et d’en vivre. »

Autour de la table avec Antonine

Pour l’établissement légal d’Éric, finalisé en 2002, et celui de Mathieu, en 2019, ou encore pour aider à la réflexion stratégique de l’entreprise en 2012, Antonine Rodrigue, conseillère en transfert et en gestion organisationnelle au Centre régional d’établissement en agriculture (CRÉA) Est-du-Québec, a été une ressource importante.

Impliqué pendant six ans à titre de membre administrateur au CA du Carrefour agricole du Bas-Saint-Laurent, devenu aujourd’hui le CRÉA Est-du-Québec, Éric propose à ses parents de faire appel aux services de l’organisme pour les accompagner dans le transfert d’entreprise qu’ils sont en train de vivre. « Je suis très différent de mon père, souligne Éric. Je le sentais de plus en plus inquiet du secteur agricole dans son ensemble et, de mon côté, j’étais plutôt confiant malgré les défis qui se présentaient à nous. Disons que les communications n’ont pas toujours été faciles. L’aide et le soutien d’Antonine ont été très précieux dans notre cheminement d’équipe et dans tout le processus de transformation légale de l’entreprise. Mes parents ont fait preuve d’ouverture d’esprit et je leur en suis reconnaissant. Depuis sa première intervention en 1998, Antonine nous a accompagnés pour nous aider à réfléchir, à prendre un recul sur le développement futur de la ferme et à prendre le temps de discuter des ajustements nécessaires qui s’imposent lors d’un changement de gouvernance. »

À plusieurs reprises, Éric insiste sur une des valeurs importantes de l’entreprise : le bien-être des gens avant tout! « Que ce soit pour mes parents qui viennent à l’occasion nous donner un coup de main, pour Diane qui gère le poste d’emballage, pour Pierre-Luc notre employé, pour Mathieu tout comme pour moi, énumère Éric, on veut un environnement de travail qui est plaisant pour tout le monde. Oui, il y a le défi des rendements et de l’efficacité, et on travaille fort. Toutefois, c’est avec une bonne ambiance et de bonnes relations entre nous tous que cela doit se vivre au quotidien. »

L’arrivée de Mathieu

La baisse des revenus causée par l’année de sécheresse de 2010 et les nouveaux investissements exigés pour la mise aux normes de salubrité de CanadaGAP® pour la chaîne d’emballage en 2013 imposent une réflexion sur le futur de l’entreprise. Denis ne se sent pas capable de gérer toute cette paperasse et songe à se retirer. « On a fait venir Antonine pour nous aider à discuter et à réfléchir ensemble », précise Éric. Le retour à son premier métier d’infirmier a même été envisagé. Témoin de ces échanges et discussions, Mathieu cheminera de son côté. L’aîné de la fratrie de quatre enfants aime l’histoire et désire poursuivre des études universitaires dans cette discipline. « Les débouchés étaient minces, dit-il. J’ai pour la première fois envisagé l’option de travailler à la ferme et je me suis senti bien avec cette possibilité. » Après avoir obtenu un DEC en sciences humaines, il s’inscrit au DEP en mécanique agricole, effectue son stage et travaille pendant un an dans un garage avant de venir travailler à temps plein à la ferme à partir de 2015. Tout comme son père et son grand-père, Mathieu consulte des experts, s’informe et participe à des formations tout en se rendant disponible pour siéger à des conseils d’administration, dont celui du réseau Agriconseils de sa région et du CRÉA Est-du-Québec.

Se former et bien s’entourer

Dans une conférence présentée au colloque provincial portant sur l’agriculture durable en 2022, Éric et Mathieu ont montré les étapes clés réalisées pour redonner de l’élan et du souffle à l’entreprise familiale. « Le diagnostic d’entreprise nous a éclairés sur les points de régie à améliorer ainsi que sur la marge de manœuvre financière dont on disposait pour investir », explique Mathieu. Candidement et avec fierté, Éric reconnaît la curiosité de Mathieu et son intérêt à vouloir optimiser les rendements de la pomme de terre avec des pratiques agricoles innovatrices et adaptées à la taille de l’entreprise. « Il a le doigté et les compétences avec la science agronomique, insiste Éric. Diane et moi, on lui fait pleinement confiance pour tout ce qui touche la régie de la production, l’amélioration des sols et les récoltes. »

Échange de parcelles

La ferme voisine, Les Élevages JMS, œuvre en production bovine. Ses terres sont sablonneuses et propices à la culture de la pomme de terre. Depuis 2020, cette ferme cultive des céréales et du foin et fait des apports en fumier sur des parcelles de terre des Chamberland. À l’inverse, des pommes de terre sont cultivées sur les terres de la ferme voisine. Cette année, la superficie totale s’élève à 12 ha (30 acres). « C’est une pratique peu connue, mais qui se fait au sein de quelques fermes de la région », précise Mathieu. « C’est moins coûteux que d’acheter de nouvelles terres », renchérit Éric. « L’objectif est de pouvoir instaurer des rotations longues de trois à quatre ans sur nos terres pour ainsi réduire les maladies, augmenter les rendements et, surtout, pérenniser la santé des sols. Nous avons également implanté des cultures intercalaires, pas seulement dans la pomme de terre, mais aussi dans des champs de céréales », précise Mathieu. De bonnes pratiques qui ont un impact positif sur les rendements. Depuis 2019, une augmentation de la production de plus de 35 % a été observée, passant de 17 tonnes à l’hectare (250 quintaux à l’acre) à 23 tonnes à l’hectare (340 quintaux à l’acre).

Une fierté partagée

Les patates blanches, rouges et jaunes de la Ferme D. & E. Chamberland sont livrées dans une quinzaine de points de vente, notamment des épiceries situées à l’intérieur d’un rayon de 100 km de la ferme. « J’assure un suivi serré dans tous les magasins, précise Éric, ça me permet d’entretenir de bonnes relations avec les gérants qui, d’une rencontre à l’autre, expriment leur fierté d’encourager les fermes locales. Cette fierté, elle se dégage aussi de tous les membres de l’équipe à la gouverne de la ferme et des grands-parents qui viennent donner un coup de main à l’occasion. Les défis ne manquent pas, on les prend un à la fois en valorisant l’accompagnement des experts qui nous entourent et en n’oubliant pas d’entretenir une bonne ambiance de travail. »

À la fin de l’entrevue, Denis exprime son plus grand souhait : que l’histoire se poursuive avec une sixième génération!



Une agriculture dynamique à Baie-des-Sables!

Le paysage agricole de Baie-des-Sables, dans le Bas-Saint-Laurent, donne le goût de s’y établir. Cela explique peut-être le dynamisme des fermes enracinées sur ces terres. Selon l’information recueillie auprès de la Fédération de l’UPA du Bas-Saint-Laurent, sur les 11 entreprises agricoles, huit ont vu s’établir de la relève, intra ou extrafamiliale, au cours des dernières années. Les trois autres, même s’il n’y a pas de relève ciblée, espèrent bien en recruter! Avis aux intéressés!

Photo : Isabelle Éthier

Isabelle Éthier

QUI EST ISABELLE ÉTHIER
Isabelle est conseillère en gestion organisationnelle et relations humaines en milieu agricole.

isa.ethier4@gmail.com

QUI EST ISABELLE ÉTHIER
Isabelle est conseillère en gestion organisationnelle et relations humaines en milieu agricole.