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Épicerie Bio Locaux : Les maraîchers bio de proximité et l’âge de la maturité

De fermiers de famille, les maraîchers sont devenus des épiciers de famille avec un emplacement entièrement géré par eux, sans intermédiaire, ouvert à l’année. Avec de Bio Locaux, son premier point de vente fixe, la CAPÉ atteint une nouvelle étape qui témoigne du chemin parcouru depuis ses débuts.

Vers la fin de 2023, la Coopérative pour l’agriculture de proximité biologique (CAPÉ) ouvrait officiellement les portes de son épicerie dans le quartier Rosemont à Montréal. Cet emplacement avec pignon sur rue constitue un jalon marquant pour la vie souvent errante des maraîchers bio et une grande réussite pour la coopérative qui fêtait en 2023 ses dix ans de fondation.

Une réalisation pour la CAPÉ

La boutique est le dénouement de longues démarches. Il faut remonter à 2018 pour la genèse de l’idée qui se trouvait dans le plan stratégique monté à l’époque. « L’objectif est de diversifier les modèles de marchés (des membres de la CAPÉ) », ces derniers fonctionnant par la vente à la ferme, les marchés publics et les paniers de produits, déclare son président Léon Bibeau-Mercier, copropriétaire de la Ferme Bibeau, située à Sherbrooke.

« Le projet remplissait plusieurs objectifs que la coopérative s’était fixés et répondait à de nombreux défis auxquels elle fait face, indique le président de la CAPÉ. L’épicerie Bio Locaux rend maintenant accessible une offre bio, locale et de saison cohérente avec la mission de la CAPÉ », poursuit-il. « Il y avait une occasion dans le marché et la possibilité de le faire d’une manière collaborative. On atteint une certaine spécialisation entre producteurs en offrant différents produits pour donner un panier complet. On profite aussi de notre réseau de distribution à Montréal, dont un entrepôt sur l’île ».

« L’occasion s’est présentée quand on nous a offert un local, et après un été à tester le marché, on a décidé de s’installer », raconte Émilie Viau-Drouin, directrice générale de la CAPÉ.

Un projet à l’image de la coopérative

Pour les personnes derrière le projet, l’épicerie Bio Locaux et son fonctionnement correspondent avant tout aux valeurs véhiculées par la coopérative fondée en 2013. « La boutique permet un prix juste, issu d’un processus de discussion entre les participants. C’est aussi un système qui travaille essentiellement pour les membres, sans distributeurs ni grossistes », explique Léon Bibeau-Mercier.

Comme pour toutes les initiatives de la CAPÉ, l’épicerie a été initiée par les membres. Émilie Viau-Drouin explique que « les projets à la coopérative sont démarrés de manière régionale et testés par appel d’offres pour vérifier s’ils tiennent la route. La coopérative est présente pour mettre en œuvre les projets et soutenir les membres ».

Quant au mode de fonctionnement, un comité d’approvisionnement, où règne la transparence, a été mis en place pour une répartition équitable de l’approvisionnement, poursuit la directrice. Les 12 fermes participantes fournissent chacune à leur manière la boutique qui vend de 20 à 30 fruits et légumes et quelque 50 produits transformés. En tout temps, trois producteurs se partagent l’approvisionnement d’un même produit avec un prix fixé pour la saison et établi par eux. Les discussions ont d’ailleurs lieu en ce moment sur la répartition des produits qui seront offerts l’été prochain, ce qui aidera également à établir les prix et à faciliter la planification financière des entreprises participantes.

En mode coopératif

L’ouverture de la boutique constitue aussi un geste symbolique fort pour la CAPÉ. Il marque la maturité d’un regroupement qui se sent assez solide et structuré pour franchir une nouvelle étape, estime Philippe Benoit de la Ferme La Bourrasque de Saint-Nazaire-d’Acton. « Ça fait trois ans qu’on vend à l’année. On est prêt à développer de nouveaux canaux, à ratisser plus large et à rejoindre une plus grande clientèle. » Le maraîcher voit dans l’épicerie une manière de diversifier les revenus des entreprises membres, mais aussi une occasion de croissance, tout en partageant les risques. Selon lui, le réseau est prêt à cette transition, car il considère que la production maraîchère bio est aujourd’hui plus diversifiée, et ce, partout au Québec.

Le projet tombe aussi plutôt bien en raison du contexte actuel en agriculture. La mise en commun rompt avec le modèle de production en culture maraîchère où les gens sont isolés et se font concurrence pour la clientèle, ce que Léon Bibeau-Mercier considère comme un frein au développement de leur secteur. « On estime que si on travaille de manière solidaire, ça va nous aider. L’autre n’est pas l’ennemi à abattre, et ça change complètement la dynamique. La solitude et la détresse existent aussi chez nous et un projet comme celui-ci joue un rôle très important pour contrer cette dynamique », exprime le président de la coopérative.

Un modèle concurrentiel

Pour la CAPÉ, le projet d’épicerie et son modèle sont concurrentiels et se démarqueront dans l’environnement du marché au détail avec des prix équivalents ou inférieurs à ce qu’on peut trouver en ce moment ailleurs. Cependant, il comporte aussi son lot de risques et de défis, admet le président de la CAPÉ. Contrairement aux habitudes des maraîchers bio qui régulent leur volume de vente par les paniers, c’est l’achalandage à l’épicerie qui dicte les quantités qui sont écoulées.

Pour les sceptiques, le modèle a pourtant fait ses preuves ailleurs, dont en France, où les magasins Biocoop, des boutiques de produits bio gérées par les producteurs, ont pignon sur rue depuis 50 ans. « La force d’un projet est le temps qu’on y met. Beaucoup d’heures comptent pour beaucoup », indique Léon Bibeau-Mercier. Philippe Benoit ajoute qu’il ne s’agit pas de la première expérience de mise en marché collective de la coopérative, qui a créé les paniers Bio Locaux.

La réponse de la clientèle fin décembre est encourageante. « Les gens reviennent, ça augure bien », indique Émilie Viau-Drouin.

La CAPÉ tournée vers l’avenir

La boutique pourrait bien faire des petits. Un kiosque au Grand Marché de Québec tâte le terrain dans la région, indique le président de la CAPÉ, ce qui pourrait augurer une ouverture permanente au printemps 2024. Des paniers d’hiver sont distribués partout en Estrie depuis novembre 2023 grâce à un entrepôt et à une chaîne de conditionnement collective des légumes basés à Sherbrooke, ce qui permet la distribution des paniers de Granby jusqu’à Lac-Mégantic en passant par Drummondville. Léon Bibeau-Mercier affirme d’ailleurs que l’objectif serait d’avoir partout au Québec des épiceries Bio Locaux coexistant avec d’autres modèles de mise en marché. L’enthousiasme au sein de la coopérative est palpable puisque plusieurs producteurs se sont inscrits sur une liste d’attente pour adhérer à l’épicerie de Montréal.

Épicerie Bio locaux

Photos : gracieuseté Bio Locaux

Céline Normandin

QUI EST CÉLINE NORMANDIN
Détentrice d’une maîtrise en science politique, Céline est journaliste-pigiste auprès du Coopérateur. Et ce n’est pas par hasard si elle se retrouve aujourd’hui à couvrir le secteur agroalimentaire puisqu’elle a grandi sur une ferme laitière. Sa famille est d’ailleurs toujours active en agriculture. 

celine.normandin@videotron.ca

QUI EST CÉLINE NORMANDIN
Détentrice d’une maîtrise en science politique, Céline est journaliste-pigiste auprès du Coopérateur. Et ce n’est pas par hasard si elle se retrouve aujourd’hui à couvrir le secteur agroalimentaire puisqu’elle a grandi sur une ferme laitière. Sa famille est d’ailleurs toujours active en agriculture.