
Amélanches, cerises, cassis et pommes se côtoient à Red Deer, en Alberta, à la ferme DNA Gardens : Delidais Estate Winery and Fruit Orchard. Dans ce royaume des petits fruits nordiques, Dave et Arden (D and A, donc DNA) racontent leurs origines à travers leurs cultures et leurs bouteilles.
Propager l’amélanchier : premier métier
L’amélanche est un petit fruit indigène du Canada. S’il est peu connu au Québec, on retrouve souvent dans la carte des desserts de restaurants des Prairies la fameuse saskatoon pie, ou, autrement dit, la tarte à l’amélanche.
En Alberta, pourtant, cette production maraîchère a longtemps été plus que marginale. « La production commerciale de fruits n’a pas toujours existé dans les Prairies. Il y a 40 ans, raconte Arden, un intérêt pour la production d’amélanches en tant que culture s’est manifesté. »
DNA Gardens a été la première ferme à se lancer dans la propagation d’arbres fruitiers par culture tissulaire. « Nous sommes le plus ancien producteur d’amélanches au monde, car l’industrie de l’amélanche s’est développée en Alberta », poursuit Arden. Six variétés d’amélanches sont cultivées pour la production commerciale de la ferme, dont la Honeywood, la Smoky, la Pembina et la Northline. Les fruits récoltés sont utilisés pour confectionner les quelque 3000 tartes à l’amélanche vendues à la ferme, ainsi qu’un vin et un spiritueux.
Les spiritueux : une nouvelle vocation
Parce que, eh oui, Arden et Dave n’ont pas fait que la propagation d’arbres fruitiers. Après plusieurs décennies à répandre les fruits dans les Prairies, l’heure de la retraite a sonné. Ou pas tout à fait? « Nous avons vendu l’entreprise de propagation et nous avons pris une semi-retraite. Mais nous avions toujours notre verger et il produisait beaucoup de fruits. Nous avons connu une sorte de renaissance! » ajoute la productrice en riant.
Les cerisiers se sont révélés tellement productifs que les nouveaux retraités se sont retrouvés soudainement avec près de 22 680 kg (50 000 lb) de cerises! « Nous ne savions pas quoi en faire, admet Arden. C’est ce qui arrive lorsque l’on fait une nouvelle culture. Les cerises et l’amélanche étaient de nouvelles cultures pour les Prairies. »
Comme la nécessité est mère de l’invention, l’ancien laboratoire s’est transformé en cuisine et la serre est devenue une salle de dégustation. Quatre ans après leurs débuts comme vignerons de petits fruits et distillateurs, Arden et Dave produisent maintenant neuf vins et quatre spiritueux.
Mais aucun vin ne se fait ici avec des raisins, qui ne pousseraient pas de toute façon à cette latitude. La mentalité d’Arden, à ce sujet, est plutôt de « think outside the grape », donc de « penser au-delà du raisin ». Les vins et spiritueux de fruits sont plutôt faits de fraises, de rhubarbe, de cassis, d’amélanches, de cerises et de pommes.
Pour la mise en marché, le couple a choisi de raconter son histoire et celle de l’Alberta à travers les étiquettes des produits. Sur les bouteilles, on retrouve des photos de lieux emblématiques de la province ou encore de membres de la famille, comme Eugène, l’arrière-grand-père de Dave, un contrebandier à la carrière fructueuse. Il aurait entre autres réussi à berner la police montée grâce à beaucoup d’audace et à un vilebrequin!
Une entreprise agrotouristique
L’entreprise a plusieurs autres cordes à son arc. On peut y faire des visites en famille ou en groupe, suivre un cours sur la culture d’arbres fruitiers, faire de l’autocueillette, déguster un repas champêtre, s’offrir quelques produits transformés (alcool, confitures et même gelato), faire une dégustation des produits ou encore prendre le thé.
Certaines pratiques agricoles de la ferme sont aussi mises de l’avant auprès des visiteurs, qui peuvent faire une marche thématique avec panneaux informatifs sur les chauves-souris. Ces infatigables chasseurs de ravageurs sont plus qu’appréciés chez DNA Gardens, qui a aussi placé plus d’une centaine de nichoirs sur ses terres pour attirer les volatiles désirables. « Les chauves-souris ont le quart de travail de nuit. Elles mangent beaucoup d’insectes. Et les oiseaux ont le quart de jour! précise Arden, sourire en coin. Certains protègent les cultures contre d’autres oiseaux nuisibles qui mangent les baies, et ils mangent aussi beaucoup d’insectes. »
Entre les buissons fruitiers, on retrouve des cultures de couverture, dont le fétuque. Après plusieurs années infructueuses, Arden se félicite d’avoir enfin réussi, en 2024, à faire prendre la culture de trèfles, intéressante pour son apport en nitrogène et son attraction des insectes pollinisateurs. Elle aimerait la propager sur une bien plus grande surface, mais le manque d’eau est un véritable enjeu qui freine cette progression.
Un avenir irrigué
Parce qu’au-delà des réussites de DNA Gardens, n’en demeure pas moins que produire des fruits dans les Prairies demeure tout un exploit. « Les gens qui viennent à la ferme sont étonnés que nous puissions cultiver de si beaux fruits ici », ajoute Arden.
La faible pluviométrie est l’un des plus grands défis auxquels la ferme a fait face tout au long de son existence. Annuellement, elle reçoit environ 22 à 25 cm d’eau. En 2024, les producteurs ont donc ajouté un bassin d’irrigation. « Pendant 50 ans, nous avons combattu la sécheresse et l’eau de mauvaise qualité, explique Arden. Nous espérons que le bassin d’irrigation améliorera la situation pour notre culture. » L’espoir est qu’à la fonte des neiges et par temps de pluie, l’eau s’accumule dans la fosse et facilite la culture des fruits.
Bref, si les taux d’alcool oscillent entre 11 et 17 % dans les bouteilles, c’est plutôt la note de 100 % qu’on donne à DNA Gardens : Delidais Estate Winery and Fruit Orchard pour son innovation et sa persévérance à travers les ans. Et si vous passez par l’Alberta et que vous apercevez le Back Breaker, le Farm Boy ou encore le Sassy Black sur une tablette, trinquez en l’honneur des petits fruits!
Les autres cultures fruitières
Rhubarbe
La rhubarbe est une grande favorite d’Arden, la plante étant d’une robustesse redoutable qui ne craint pas le gel. Elle est récoltée en juin et à la fin de l’automne. Si la récolte printanière peut servir aux tartes, celle de l’automne est réservée aux produits alcoolisés.
Camerises
Les camerises trouvent aussi leur place chez DNA Gardens. Il faudra encore cinq ans avant la première récolte, car les premiers plants à avoir été semés ont subi un coup de froid hivernal fatal malgré leur grande rusticité.
Cerises
Les cerises des variétés romantiques – la Romeo, la Juliet, la Cupid, la Valentine, la Crimson, la Passion et la Carmine Jewel – de l’Université de Saskatoon sont des buissons plantés en rangées plutôt que des arbres, ce qui permet d’utiliser une récolteuse de fruits over-the-row. D’après Arden, elles sont bien meilleures que les cerises du Michigan. « La qualité des fruits est supérieure, avec une chair très foncée et des valeurs nutritives plus élevées », affirme-t-elle.
Cultiver l’amélanche
Les amélanchiers commencent à produire des fruits après trois années. Ils sont plantés à un an lorsqu’ils sont encore en dormance. La récolte doit être rapide, soit en 12 jours. Pour accélérer la cueillette, les producteurs utilisent une récolteuse de petits fruits et proposent de l’autocueillette. Côté rendement, on peut s’attendre à 3363 à 4483 kg par hectare (3000 à 4000 lb par acre).
Photo : Stéphanie McDuff