
Des pâturages verts et fournis, des prairies productives et nutritives : c’est ce qu’on souhaite aux producteurs cet été, mais comment y parvenir?
La dernière Tournée des plantes fourragères, organisée par le Conseil québécois des plantes fourragères (CQPF), a permis une incursion à la Ferme Phyllum, à la Ferme Bovicole et à la Ferme Faucher et Fils, toutes trois propriétés de producteurs du réseau coopératif et pour qui l’innovation s’est faite sans compromis.
La recette fourragère qui dure une décennie
À cinq minutes de Saint-Nicolas, un secteur de la Ville de Lévis, la Ferme Phyllum a su valoriser sa production laitière : une fromagerie qui transforme 65 % des volumes de lait et jusqu’à 90 % de la production totale en été. « On doit fournir notre restaurant en cheddar frais. On est malheureusement populaire durant l’été », plaisante le copropriétaire et administrateur chez Sollio Groupe Coopératif, Patrick Soucy.
Les affaires roulent à la Ferme Phyllum, mais il faut des plantes fourragères de qualité pour répondre aux besoins des vaches pour la transformation laitière. Ces critères exigent 22 % de protéines et du foin sec qui a entre 80 % et 85 % de matière sèche.
Sur les 101 ha (250 acres) en culture, les plantes fourragères sont ensemencées pour les neuf prochaines années et dans la rotation de la 10e année, c’est du maïs ensilage en semis direct qui est cultivé. Le sol n’est donc plus retourné. « Il y a encore de la luzerne et ça fait dix ans », s’étonne Annie Classens, copropriétaire de la Ferme Phyllum et chercheure en génétique des plantes pérennes chez Agriculture et Agroalimentaire Canada. « Je suis tentée d’apporter ces plants de luzerne au laboratoire pour évaluer la persistance! » ajoute-t-elle.
La recette qui perdure : luzerne, trèfle rouge, fléoles des prés (mil), raygrass et brome. Un sursemis constitué d’un mélange de 25 % de trèfle rouge et 75 % de fléoles des prés, à un taux de semis de 6 kg/ha, est réalisé à chaque début de saison, mais seulement dans les zones dénudées. Un second sursemis de raygrass annuel, à 3 kg / ha, s’ajoute pour les parcelles destinées au foin vert. La technique semble efficace, les champs ne sont pas trop infestés par les mauvaises herbes.
La Ferme Phyllum pratique le « zero grazing », qui se traduit par l’affouragement en vert. Cette pratique consiste à récolter l’herbe directement après la fauche pour la servir subséquemment aux vaches. Patrick Soucy utilise de la grosse machinerie : une faucheuse frontale puis une presse à balles rondes attelée derrière le tracteur. Le poids de la balle verte est substantiel : il faut un bon tracteur pour soulever cette charge, lance-t-il consciemment.
La silphie perfoliée : une substitution pérenne du maïs ensilage
En Beauce, à la Ferme Faucher et Fils, les propriétaires Camil et Karl Faucher cultivent une plante plutôt intrigante : la silphie perfoliée.
Voici ses caractéristiques :
- indigène d’Amérique du Nord;
- atteint 3,5 mètres de hauteur;
- plante fourragère pérenne pour une quinzaine d’années;
- propriétés nutritives comparables au maïs ensilage;
- peut tolérer de faibles doses d’herbicides;
- plante mellifère;
- potentiel de biométhanisation.
Sur les deux parcelles de 9 ha (23 acres) de la Ferme Faucher et Fils, on teste deux méthodes d’implantation en combinaison avec du trèfle hollandais comme plante abris : à la volée et au planteur à maïs. « Elles ont leurs avantages et leurs inconvénients », souligne Camil Faucher. Il a cependant été plus facile de récolter le champ aux rangs définis, tranche le patriarche de la famille Faucher.
Les rendements comptabilisés en 2024 s’élèvent à 75 balles rondes de 800 kg à 30 % de matière sèche. Les experts-conseils n’ont observé aucune mortalité à l’hiver avec un bon ratio de densité de 8 plants/m2 en moyenne.
Difficile d’ignorer les nombreuses vertus de la silphie : productive, pérenne, nutritive. Pourquoi donc est-elle si peu répandue? D’abord, c’est un défi de la mettre en terre : la semence est légère, mince et aplatie. Puisqu’il n’y a pas de semenciers au Canada, l’approvisionnement dépend d’importations d’origine allemande explique Olivier Tremblay, l’un des représentants de Silphie Canada qui participait à la Tournée des plantes fourragère en Chaudière-Appalaches. Enfin, les coûts d’implantation sont faramineux, soit quelque 3500 $ par hectare, selon les producteurs.
Avis de disparition : la charrue
Les quelque 80 ha (200 acres) en pâturage et en prairies que cultive Jean Lambert, le propriétaire de la Ferme Bovicole, ne voient plus de charrue depuis 2012. Toutes les parcelles sont implantées en cultures fourragères et sont permanentes. C’est la diversité qui prime dans les pâturages : la fétuque des prés, la fléole des prés, le dactyle, le brome des prés, le lotier, le trèfle blanc et la vesce velue. « Comme ça, on est sûr qu'il y a quelque chose de bon qui pousse », lance candidement Jean.
La Ferme Bovicole est reconnue par l’Association canadienne pour les plantes fourragères (ACPF) pour l’efficacité de sa gestion avant-gardiste au pâturage. Selon la saison, le troupeau de 55 vaches et leur veau change de parcelles de deux à trois fois par jour, en rotation sur 96 parcelles d’environ 0,4 ha (un acre).
Au début de chaque printemps, Jean commence avec un sursemis de 8 ha (20 acres), ce qui permet un réensemencement complet de tous les pâturages (41 ha) au bout de cinq années. Les vêlages, eux, ont tous lieu à la fin du mois de mai grâce à la synchronisation des chaleurs et à l’insémination artificielle. Cette approche a limité le chevauchement des activités durant cette période occupée de l’année, ce qui a permis au golfeur amateur de profiter d’une fin de semaine de répit.
Cette stratégie de gestion des cultures a ouvert une réflexion à propos de l’utilisation d’herbicides et d’insecticides. Jean a éliminé ces types d’intrants et il s’applique plutôt à fertiliser en azote en plus d’épandre le fumier des bovins et du poulailler qu’il exploite parallèlement.
Pour améliorer vos parcelles fourragères, vérifier votre éligibilité auprès de l’ACPF pour soumettre une demande de subvention au Fonds d’action à la ferme pour le climat (FAFC).
Photos : Camille Lalancette