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Virage pâturage, carbone à la tonne 

En 2012, Jean Lambert, de la Ferme Bovicole, a pris une décision cruciale qu’il n’a jamais regrettée : faire pâturer des bouvillons en semi-finition, aujourd’hui remplacés par des vaches et leurs veaux. Pas de demi-mesures pour la pâture!

La ferme des Lambert est, c’est le moins qu’on puisse dire, diversifiée. D’abord, quelque 117 000 poulets à griller sont produits annuellement, ce qui justifie le nom binaire « bovine-avicole ». Ensuite, depuis 2019, on élève une cinquantaine de vaches, dont les chaleurs et les vêlages sont synchronisés en deux groupes pour répartir les inséminations, le travail du taureau qui effectue les saillies des non-gestantes et les naissances printanières. Si, de 1979 à 1995, on a fait de la finition en parcs, poussant le nombre total de têtes jusqu’à 300, on s’est ensuite essayé à la semi-finition au pâturage, de 2012 à 2018. Aujourd’hui, on élève encore à forfait 60 bouvillons en parcs et 10 autres qu’on commercialise en partenariat avec une boucherie locale ayant pignon sur rue, la Boucherie Débitage Desrochers, propriété d’un éleveur bovin. Jean Lambert applique à sa stratégie de commercialisation la même philosophie de diversification : pas tous les bouvillons dans le même panier!

La Ferme Bovicole est donc une entreprise bien équilibrée, apte à affronter des baisses du prix des extrants ou des flambées du prix des intrants. L’équilibre se montre jusque dans les ressources humaines : tous les après-midis, Jean compte sur sa successeure, sa fille Marie-Christine, qui, diplôme en mécanique agricole en poche, travaille les avant-midis pour un concessionnaire de machinerie.

Parcours bovin

Jusqu’en 1977, la ferme familiale de Lévis (secteur de Saint-Nicolas) se consacre au lait, au poulet et à la dinde. Deux ans plus tard, pensant ne pas avoir de successeur parmi ses neuf enfants, Lucien Lambert remplace la production laitière par la production bovine, après un essai de semi-finition de 25 bouvillons aux fourrages à la suite d’une année fourragère faste. On poursuit ensuite avec la construction d’un parc d’engraissement, qu’on doublera déjà en 1981. Puis le benjamin de la famille, Jean, qui n’a alors que 19 ans, manifeste son intérêt pour l’agriculture. « En gros, j’ai dit à ma mère, Madeleine, que ça me tentait de reprendre la ferme, et elle l’a dit à mon père! » rigole-t-il.

En 2009, le décès de Normand, frère de Jean, provoque des remises en question. En plus de son emploi, Normand était associé dans la ferme et donnait un coup de main apprécié pour les besognes, plus nombreuses en parc d’engraissement qu’en pâturage. Par ailleurs, le prix élevé des grains, contributeur direct à la rentabilité de la finition, fait tirer des conclusions qui s’imposent d’elles-mêmes : on ne fera désormais exclusivement que de la semi-finition avec des fourrages, une pratique inusitée.

Aujourd’hui, la superficie totale est de 86 ha. La moitié se compose de pâturages, tout d’un bloc, parsemés de tuyauterie permanente qui affleure le sol pour distribuer l’eau d’abreuvement. L’autre moitié s’organise en prairies drainées dans une rotation de cinq ans, dont une année de maïs fourrager, année d’établissement des prairies.

Le parti pris de Jean Lambert pour les pâturages n’est donc pas récent. En 2012, une journée sur la paissance en bande, pratique passablement nouvelle à l’époque, a même lieu à la ferme, qui est alors conseillée par l’agronome Bruno Langlois, très enthousiaste à l’égard de la production bovine. Il avait comme stagiaire celle qui conseille maintenant Bovicole, l’agronome Jessica Guay-Jolicœur, qui confesse son faible pour la pâture. « Je m’endormirais le soir en écoutant le son des vaches qui broutent! » révèle l’experte-conseil. Hasard du temps, lors de la visite du Coopérateur, c’était maintenant Jessica qui préparait une nouvelle journée champêtre chez Jean Lambert, assistée elle aussi d’une stagiaire, Alycia Boucher, étudiante en agronomie à l’Université Laval.

À fond sur le pâturage

« Avec Jean, il y a rarement de demi-mesures, atteste Jessica. C’est un producteur de la catégorie des innovateurs. » Tandis que nous sommes tous assis autour de la table de la terrasse, Jean Lambert ne fait pas mentir sa conseillère et profite de la présence des deux femmes pour chiffrer une nouvelle idée : ne plus cultiver de maïs-ensilage, mais l’acheter simplement, pour atteindre une couverture perpétuelle de ses sols et éviter des coûts d’implantation : semences, carburant, gaz à effet de serre – une externalité dont se préoccupe Jean. À fond sur les herbages! Assurément, on sent qu’il y a là matière à réflexion pour un futur compte-rendu de stage agronomique!

Le succès au pâturage relève de la rigueur : deux fois par jour, Jean Lambert change les animaux de place en déplaçant les fils avant et arrière, sur le principe des pâturages dits « couloirs ». Ainsi, il dispose de 96 miniparcelles d’un acre (90 pi sur 500) à faire brouter. « En 2012, je l’ai échappé, déclare l’éleveur : les graminées ont eu le temps d’épier. Autrement, c’est surtout la surpaissance qu’il faut éviter. » En effet, l’éleveur laisse les bovins brouter le tiers des pousses. Les deux tiers restants servent à propulser la photosynthèse pour un bon regain. À propos de gain, Jean Lambert a déjà mesuré des performances de deux livres par jour par animal avec seulement de l’herbe fraîche!

En homme réfléchi, l’agriculteur est tout aussi sensible à ses performances qu’à l’empreinte environnementale de son entreprise. Même à 60 ans, on le sent motivé par l’amélioration des pratiques agricoles. « C’est lorsqu’elle a plus de souvenirs que de projets qu’une personne devient vieille », analyse-t-il sagement. Ainsi, le cowboy qui a cofondé le Club fertilisation Chutes-Chaudière, en 1998, en plus d’y siéger comme président de 2002 jusqu’à sa fusion avec la Coop de fertilisation organique Fertior, en 2014, n’a pas hésité à accueillir l’équipe d’Agriclimat. Cette initiative du Conseil pour le développement de l’agriculture du Québec travaille activement à l’adaptation des entreprises agricoles aux changements climatiques, à la diminution des émissions de gaz à effet de serre et à l’augmentation de la séquestration du carbone. Chez Bovicole, c’est Dominique Fiset, agronome de Fertior, qui accompagne la ferme vers des pratiques encore plus vertes.

Bilan carbone de sa ferme en main – lequel montre une carboneutralité des champs, mais pas encore des animaux d’élevage –, Jean Lambert ne sait pas précisément ce qu’il entreprendra pour produire plus efficacement et pour lutter contre la crise climatique. Ses prairies et ses pâturages renferment en moyenne 4 % de matière organique, un taux fort acceptable. La dynamique du carbone dans les sols est de mieux en mieux comprise. On sait qu’ils peuvent séquestrer le gaz carbonique, devenir des puits de carbone intéressants, pourvu qu’ils soient productifs et ne soient pas travaillés mécaniquement – ce qui est le propre des pâturages de Bovicole!

Photo par Étienne Gosselin, agr.

Étienne Gosselin

QUI EST ÉTIENNE GOSSELIN
Étienne collabore au Coopérateur depuis 2007. Agronome et détenteur d’une maîtrise en économie rurale, il œuvre comme pigiste en communication et dans la presse écrite et électronique. Il habite Stanbridge East, dans les Cantons-de-l’Est, où il cultive le raisin de table commercialement.

etiennegosselin@hotmail.com

QUI EST ÉTIENNE GOSSELIN
Étienne collabore au Coopérateur depuis 2007. Agronome et détenteur d’une maîtrise en économie rurale, il œuvre comme pigiste en communication et dans la presse écrite et électronique. Il habite Stanbridge East, dans les Cantons-de-l’Est, où il cultive le raisin de table commercialement.