Investir par passion ou par raison

Renaud Péloquin de la Ferme de Ste-Victoire tente d'incorporer la raison dans son entreprise gérée par passion.

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Illustration d'un homme touchant mon cerveau et son coeur

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Renaud Péloquin

Renaud Péloquin

Producteur et administrateur chez Agiska Coopérative

Mon passage à l’Université Laval m’a permis de rencontrer une foule de personnes inspirantes. Parmi elles, ma belle cohorte d’agroéconomistes de 2006 à 2010. Depuis plus de 15 ans, nous réussissons encore à nous rassembler un peu partout au Québec. Plusieurs sont devenus agriculteurs comme moi, d’autres sont agronomes et quelques-uns ont quitté le milieu agricole. Mais une chose n’a pas changé : ce goût d’apprendre et de discuter des grands enjeux qui nous touchent.

Ces échanges sont toujours très enrichissants et ils nous amènent à nous questionner, autant sur nous-mêmes que sur nos entreprises. Une question revient souvent : comment peut-on encore investir en agriculture?

Ce n’est pas un scoop : tout le monde du milieu le sait. La majorité des actifs agricoles n’arrivent plus à générer assez de revenus pour en vivre décemment. C’est le « vieux gagné » qui permet de continuer. Et malgré tout, on poursuit nos investissements. J’en suis le premier coupable, surtout lorsqu’une terre voisine est mise en vente. Les rêves commencent, l’imagination s’emballe à toute vitesse, et je deviens presque incontrôlable. Le fameux « j’ai déjà raté l’occasion d’acheter une terre et je le regrette depuis » nous hante et nous pousse à foncer.

À cela s’ajoute la pression de la consolidation agricole. Comme le mentionnait Pascal Thériault dans sa chronique de mai, ce mouvement est inévitable au Québec. Lors d’un événement de la relève Sollio, une question nous a même été posée : « Seriez-vous prêt à faire entrer un actionnaire financier dans votre entreprise pour agrandir vos installations ou vous diversifier? »

Comme je suis la huitième génération à la ferme avec ma sœur et son mari, notre premier réflexe, en tant que copropriétaires, est de dire non. Pourquoi? Parce que nous avons vécu un transfert d’entreprise bien planifié avec nos parents, comme je l’expliquais dans ma dernière chronique. Mais aussi parce que nous cherchons à maintenir un équilibre entre les investissements passionnels (moi, qui voudrais acheter le village au complet!) et les investissements rationnels (ma sœur, comptable agréée, qui a besoin de chiffres solides avant de bouger).

C’est un défi quotidien : trouver ce juste milieu. On a beau vouloir être rationnels, l’émotion prend parfois le dessus. Nous ne sommes pas parfaits, et il nous arrive de prendre des décisions d’investissement qui ne font pas l’unanimité.

Mais quand on pense à la relève, une réalité s’impose : la valeur des terres suit une inflation de haut niveau alors que les revenus progressent plus lentement. Par exemple, une terre agricole qui se vendait 12 350 $/ha (5000 $/acre) en 2010 peut aujourd’hui valoir plus de 49 400 $/ha (20 000 $/acre). Or, les revenus des grains n’ont pas quadruplé depuis. Même des protections d’assurance-vie souscrites tôt couvrent de moins en moins bien les capitaux propres accumulés. Trouver l’équilibre entre passion et raison devient donc essentiel pour préparer un transfert viable.

Au final, la question posée à la relève Sollio nous déstabilise et nous doutons de notre réponse. Donc, on se met à faire des recherches et des analyses, puis des pistes de solution apparaissent.

L’une consiste à envisager, au besoin, la vente ciblée d’un actif pour réduire l’endettement et faciliter le transfert. C’est une décision très difficile en agriculture : vendre 40 ha (100 acres) peut sembler impensable sur le plan émotif, mais cela peut alléger de plusieurs centaines de milliers de dollars le bilan financier et offrir une marge de manœuvre intéressante.

Une autre avenue est la diversification vers des actifs non agricoles. L’immobilier, par exemple, demeure une option à considérer pour répartir les risques et donner des options aux héritiers sans affecter les finances de la ferme pour ceux qui désirent l’exploiter. Même si le contexte a changé, l’immobilier a un rendement à l’actif plus intéressant qu’une terre agricole.

Finalement, investir en agriculture, c’est constamment marcher sur un fil entre passion et raison. C’est accepter que la terre nous appelle autant qu’elle nous met au défi. Et si la rentabilité n’est pas toujours au rendez-vous, la résilience, elle, reste notre plus grand actif.

Cet article est paru dans le Coopérateur de novembre-décembre 2025.

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