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La transition : plus qu’une histoire de calcium

Le dernier tiers de la gestation (qui inclut toute la période de tarissement) provoque une augmentation exponentielle des besoins en énergie et protéine métabolisables de la vache, puisque le veau prendra plus de 50 % de son poids pendant ces dernières semaines.

Cette augmentation des besoins de gestation est immédiatement suivie par le stress et l’inflammation dus au vêlage, ainsi que par l’augmentation des besoins en énergie, protéine et calcium qu’amène le départ en lactation. La vache doit être prête à surfer sur toute cette vague de changements métaboliques pour pouvoir atteindre un pic de lait qui garantisse une lactation profitable, sans compromettre sa santé.

Aux objectifs traditionnels d’un programme de transition réussi – soit la préparation du rumen, le contrôle du bilan énergétique et le contrôle de la calcémie pré et postvêlage – s’ajoute le contrôle des facteurs de stress liés à la gestion, par exemple les changements de groupe ou la surpopulation dans les parcs de transition. Au centre de l’orchestre : le système immunitaire. Voyons pourquoi. 

Toutes les vaches connaîtront une baisse de leur calcium (Ca) sanguin et un stress inflammatoire au vêlage, peu importe les stratégies de gestion et d’alimentation mises en place en transition. L’objectif devient donc de s’assurer que ces deux phénomènes restent transitoires et maîtrisés. Des données récoltées dans deux fermes américaines (deux stratégies de transition différentes : une avec et l’autre sans anions) semblent indiquer que les vaches chez qui le Ca sanguin chutait au vêlage, mais se rétablissait dans les quatre jours suivants (tSCH), produisaient plus de lait que les vaches sans hypocalcémie (NC) ou ayant une hypocalcémie persistante (pSCH) sur quatre jours ou débutant plus tard (dSCH) après le vêlage. C’est ce qu’illustre le graphique 1.

Graphique 1

De cette étude, il ne faudrait pas conclure que l’hypocalcémie est souhaitable pour produire du lait, mais qu’une plus forte production laitière exerce une grande pression sur les besoins en calcium en début de lactation. En matière d’alimentation, il existe plusieurs stratégies qui peuvent préparer la vache à réagir rapidement à cette demande de Ca. Ces stratégies visent à activer, avant le vêlage, les mécanismes hormonaux responsables de la stabilisation du taux de Ca. Une carence alimentaire en Ca (moins de 0,2 % dans la ration), par exemple, déclenchera la sécrétion de l’hormone PTH, qui, elle, transforme la vitamine D en sa forme active, augmentant ainsi l’absorption intestinale et la mobilisation du Ca stocké dans les os. Même principe lorsqu’on ajoute aux rations de préparation des agents liant le Ca alimentaire. On crée artificiellement une carence qui active ces mêmes mécanismes. Enfin, troisième stratégie : l’ajout de sels anioniques à la ration. Ces sels anioniques réduisent le pH sanguin et, par conséquent, le pH urinaire des vaches. Cette acidification améliore la réponse des tissus à la PTH et à la vitamine D. Cette stratégie alimentaire a été bien étudiée et a prouvé son efficacité au cours des 40 dernières années.

Inflammation et transition

Même avec ces stratégies éprouvées, il arrive que les résultats ne soient pas au rendez-vous. Plusieurs équipes de chercheurs ont démontré qu’un autre chef d’orchestre peut venir désorganiser ces mécanismes : le système immunitaire. Tout comme pour l’hypocalcémie, toutes les vaches montrent des signes d’inflammation au vêlage, et c’est souhaitable. Cette stimulation du système immunitaire est essentielle, notamment à l’involution utérine, mais il ne faut pas que cela provoque une cascade inflammatoire non contrôlée. 

Outre le vêlage, plusieurs facteurs peuvent provoquer une inflammation en transition : un stress thermique via une paroi intestinale dysfonctionnelle laissera passer des lipopolysaccharides (LPS) de la microflore capables de stimuler le système immunitaire. Citons également une métrite, une mobilisation accrue des réserves, une mammite contractée au tarissement, une acidose ruminale survenant à la suite de changements trop brusques de ration, un stress lié à des changements de parc, de groupe, etc. Les causes potentielles sont nombreuses. Qui plus est, dans certains cas, on observe une augmentation des marqueurs d’inflammation dans les semaines précédant le vêlage, avant même que la vache présente des problèmes métaboliques.

Un lien entre inflammation et calcium sanguin?

Comme le système immunitaire, une fois activé, carbure au glucose, on risque de déclencher une mobilisation des réserves et une production de corps cétoniques avant que la production de lait commence et fasse culminer les besoins en énergie de la vache. De plus, comme chez plusieurs espèces, une inflammation provoque une chute du calcium sanguin, ainsi que le montre le graphique 2. Les chercheurs ont observé le calcium sanguin des vaches à la suite d’une injection de lipopolysaccharides, donc après le déclenchement volontaire d’une inflammation.

Graphique 2

Changement de paradigme 

Un spécialiste de l’inflammation en période de transition propose donc un changement de paradigme. Se pourrait-il que des stress infectieux ou liés à la gestion pendant le tarissement provoquent un stress inflammatoire débutant avant le vêlage, et qui serait responsable, du moins en partie, de l’hypocalcémie et des problèmes métaboliques, comme illustré dans le diagramme?

Des travaux de l’Université Purdue soulignent également qu’un stress oxydatif (lequel peut provoquer une inflammation) peut réduire l’efficacité de conversion de la vitamine D en sa forme active, requise pour jouer son rôle dans la mobilisation du calcium. Toutes les pièces du puzzle se mettent en place (voir le diagramme 1).

Cela pourrait également expliquer pourquoi, parfois, malgré toute la précision que nous mettons dans la formulation de rations spécifiques pour réduire l’hypocalcémie, les résultats ne sont pas au rendez-vous. Un stress en tarissement peut venir dérégler le processus.

Compliqué, tout cela, c’est vrai. Mais si on résume, afin qu’un programme alimentaire bien ficelé pour aider la vache à gérer la demande en énergie et en calcium puisse être performant, la gestion doit également être bien réglée.

Diagramme 1

En tarissement, réduire les facteurs de stress

En cette fin de saison estivale, certains auront remarqué que, même si elles ne donnent pas de lait, les vaches taries sont sujettes au stress thermique. Un taux de respiration plus rapide est un excellent indicateur et un paramètre facile à observer. Ce stress de chaleur a un impact majeur sur l’intégrité du système digestif et les risques d’inflammation. De plus, les répercussions de ce stress subi au tarissement se feront sentir pendant quelques mois, tant sur la production que sur les génisses qui naîtront. En tarissement, il faut éviter les changements de groupe inutiles. Il faut aussi s’assurer que les vaches ont une aire de couche confortable, propre et assez grande; un espace mangeoire ne favorisant pas la compétition; ainsi que de l’eau à volonté et facile d’accès. Enfin, il faut faire des changements alimentaires graduels, de façon à préparer le rumen aux rations plus amidonnées, sans en compromettre le pH.

En résumé, il faut faire en sorte que le mot « transition » prenne tout son sens, en y allant graduellement.

Photo par Étienne Gosselin

Annick Delaquis

QUI EST ANNICK DELAQUIS
Agronome et détentrice d'un doctorat en alimentation animale, Annick est nutritionniste en production laitière chez Sollio Agriculture.

annick.delaquis@sollio.ag

annick.delaquis@sollio.ag

QUI EST ANNICK DELAQUIS
Agronome et détentrice d'un doctorat en alimentation animale, Annick est nutritionniste en production laitière chez Sollio Agriculture.

annick.delaquis@sollio.ag