
Le stress thermique chez les vaches laitières est un enjeu de plus en plus discuté, et il le sera encore plus dans les années à venir à cause des changements climatiques. Dans le cadre du Symposium des bovins laitiers, organisé par le CRAAQ et tenu le 8 septembre dernier, Véronique Ouellet, Ph. D., et Sébastien Fournel, Ph. D., ont fait l’exposé des dernières méthodes servant à rafraîchir les vaches.
Les deux professeurs de l’Université Laval, l’une travaillant au Département des sciences animales et l’autre au Département des sols et de génie agroalimentaire, ont d’abord rappelé les quatre mécanismes mis en branle pour la gestion de la température des vaches.
- La convection. C’est le contact entre l’air et les vaches. S’il fait plus chaud dans l’étable, la vache aura plus chaud.
- La conduction. Elle se fait par contact direct entre la peau de l’animal et les surfaces, comme le plancher. « Plus la surface de contact est grande, plus il y aura de transfert thermique », précise Sébastien Fournel.
- La radiation. Même sans contact, un échange électromagnétique se fait. On peut penser ici aux rayons du soleil qui irradient leur chaleur et peuvent transférer aux murs et au toit de l’étable d’indésirables degrés supplémentaires.
- L'évaporation de l’eau dans l’air. Ce facteur est grandement affecté par le taux d’humidité dans l’air, une vache ne pouvant suer de manière efficace si le taux est trop élevé.
En situation de stress thermique, ces quatre mécanismes sont mis à rude épreuve et leur efficacité diminue.
L'impact financier du stress thermique estimé dans l'avenir : 575 $/vache/année en perte
Or, qui dit stress thermique dit aussi moins d'énergie allouée aux fonctions non vitales, comme la production de lait et les performances de reproduction.
La diminution de la productivité des vaches touche aussi la quantité de matière grasse qu’elles produiront. Même une seule journée en stress thermique a des conséquences mesurables. Une équipe de l’Université de Guelph aurait chiffré les pertes économiques liées à cet enjeu dans les troupeaux laitiers québécois.
Conclusion? Elles seraient d'environ 56 $ par vache par année. « Ce qu'il faut savoir, c'est que les calculs prennent seulement en considération la vache en lactation et les pertes au niveau de la production de nos animaux, alors que le stress thermique a beaucoup d'autres impacts dans nos troupeaux laitiers », précise Véronique Ouellet. De fait, il affecte les vaches taries et leur production à venir, la production des génisses issues de mères ayant subi un stress et le poids des veaux à la naissance.
Les projections pour le futur sont quant à elles choquantes, pour ne pas dire déprimantes, quand on considère les changements climatiques. Si aucune stratégie d'adaptation n’est entreprise par les fermes pour diminuer l’impact du stress thermique, la chercheuse estime que les pertes annuelles pourraient atteindre jusqu'à 575 $ par vache.
C’est donc le temps de passer à l’action, suggèrent les deux spécialistes. Voici quelques stratégies.
Réduire le stress thermique par l’alimentation
Il faut d’abord s’assurer que l’alimentation proposée à vos vaches est adéquate.
- Compenser la diminution de consommation des vaches : Une vache en situation de stress thermique va avoir moins tendance à consommer volontairement les matières sèches pour diminuer la chaleur qu’elle génère. Pas étonnant, du coup, que sa productivité en pâtisse! Pour pallier ce problème, vous pouvez :
- a. Servir plusieurs repas;
- b. S’assurer de la fraîcheur des aliments;
- c. Porter attention au taux d’humidité de la ration, pour qu’elle ne soit pas trop sèche;
- d. Faire attention aux minéraux qui peuvent avoir un impact sur la consommation de matière sèche (S, K et NaCl);
- e. Opter pour une ration plus digestible.
- Augmenter la densité énergétique des rations : On peut ajuster le ratio entre les fourrages et le concentré, ou encore augmenter le gras. Il faut bien sûr éviter les risques d’acidose, et éviter une trop grosse consommation de gras.
- Opter pour de plus petits repas, au bon moment : On mentionnait plus haut qu’on peut servir plusieurs repas. La conséquence corolaire serait d’opter pour de moins gros repas, servis aux moments les plus frais de la journée, comme la nuit et le matin.
- S’adapter aux besoins en eau : Quand on a plus chaud, on a plus soif. Il faut donc s’assurer que le débit de vos abreuvoirs est bon. En tube, on vise 18 L/min; en abreuvoirs collectifs, on passe à 40 L/min.
- Utiliser des additifs alimentaires : À l’heure actuelle, aucun additif ne compense toutes les conséquences du stress thermique. Cette méthode doit donc être utilisée en adéquation à d’autres stratégies.
Les options de refroidissement
Vos vaches mangent exactement tout ce qu’il faut? C’est le temps de penser à ce qui les entoure. Pour modifier leur environnement, une panoplie d’outils existe, comme :
- Des sources d’ombrages dans les pâturages.
- Des barrières (portes, panneaux, etc.) qui coupent la lumière directe du soleil.
- Des panneaux isolants. Ils se glisseront sous la toiture pour limiter le transfert de chaleur, et qui peuvent réduire de 5 °C la température intérieure.
- Des panneaux d’évaporation. Il s'agit d’un tapis cartonné, ondulé et humide placé devant les entrées d’air des tunnels d’aération. L’air se rafraîchit, mais l’humidité augmente. Cette stratégie est plus commune aux États-Unis où le risque de gel est faible (et donc les panneaux ne figeront pas en plein hiver)
- La brumisation. Très efficace, cette technique peut réduire de 9 °C la température. Elle viendra toutefois augmenter l’humidité dans l’air.
- L’aspersion. Elle mouille le pelage de l’animal qui est rafraîchit ensuite avec la ventilation ambiante. Là encore, l’humidité est un enjeu auquel il faut réfléchir.
- Le refroidissement par conduction. Les vaches étant longtemps couchées, leur offrir des litières plus fraîches, voire des matelas d’eau, pourrait les aider.
- Une ventilation adéquate. Pour atteindre un niveau optimal, Sébastien Fournel signale qu’il faudrait 4 à 8 changements d’air par heure en hiver dans toute l’étable. L’été, le chiffre monterait même entre 40 et 60 changements par heure. « Ce que ça veut dire, précise-t-il, c'est qu'à chaque minute, vous devez avoir changé l'entièreté du volume de votre étable pour être capable de maintenir des conditions ambiantes qui sont assez fraîches. Par vache, ça équivaut à environ 1500 pieds cube par minute, ou CFM. » Les méthodes pour y arriver vont varier d’une étable à l’autre, qu’on parle de ventilation naturelle, de ventilation tunnel ou encore de ventilation par recirculation.
Est-ce que mes vaches respirent trop vite?
Au final, Véronique Oulette et Sébastien Fournel posent la question : quand faut-il agir? Au-delà de la prévention, certains indices peuvent indiquer qu’il est temps de modifier ses stratégies.
- Le taux de respiration des vaches. À plus de 60 respirations par minute, une vache pourrait être en situation de stress thermique. Les études à ce sujet ont toutefois été faites à d’autres latitudes, donc la température du Québec pourrait changer la donnée exacte. Il n’en demeure pas moins que la technique, économique, mériterait d’être testée.
- L'indice de température et d’humidité (ITH). Cet indice, calculé à partir de la température et de l’humidité, révèle l'effet de l’humidité sur le stress thermique. En dessous de 68 ITH, les études démontrent une baisse de la quantité de lait produit. Les composants du lait sont également impactés, mais à un ITH encore plus bas, soit entre 58 et 68. Par conséquent, il faut faire attention aux méthodes de rafraîchissement qui impliquent de l’eau, cette dernière pouvant énormément affecter l’ITH dans l’étable.
Finalement, les professeurs concluent : éviter les pertes financières provoquées par le stress thermique et maintenir les performances des animaux pendant les journées chaudes ou humides, est-ce possible? Fort probablement. Mais c’est un gros défi.
Photo par Stéphanie McDuff