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Mauvaises herbes résistantes : passez à l'attaque

Les mauvaises herbes résistantes aux produits de protection des cultures occupent une place grandissante dans les entreprises agricoles et préoccupent de plus en plus les producteurs. Comment en réduire l’incidence? Entretien avec Stéphanie Mathieu, agronome au ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec (MAPAQ).

Coopérateur : Quel portrait faites-vous de la résistance des mauvaises herbes dans les cultures au Québec?
Stéphanie Mathieu : Il y en a de plus en plus. Chaque année, le laboratoire d’expertise et de diagnostic en phytoprotection (LEDP) du MAPAQ publie un bilan de la résistance des mauvaises herbes. C’est en constante augmentation. Ces mauvaises herbes résistantes sont plus présentes, oui, mais on les diagnostique également mieux qu’avant. Les techniques de diagnostic se sont raffinées et elles sont plus rapides. De leur côté, les conseillers et les producteurs sont de plus en plus au fait qu’ils font face à une résistance accrue.

Quelles sont les mauvaises herbes les plus résistantes?
La bête noire, c’est l’amarante tuberculée. On peut facilement perdre le contrôle et en être infesté en quelques années. En 2017, cette mauvaise herbe a été retrouvée pour la première fois au Québec. Les graines de cette mauvaise herbe auraient été introduites en Montérégie, avec leur bagage de résistance, au moyen d’une moissonneuse-batteuse. Des graines ont été récupérées à l’automne et acheminées à l’Université de Guelph pour être analysées. L’analyse a démontré une résistance aux herbicides des groupes 2 (imazétapyr), 5 (atrazine) et 9 (glyphosate). 

Par la suite, le Centre de recherche sur les grains (CÉROM), via le service de détection de la résistance aux herbicides, a fait d'autres analyses qui ont indiqué que cette population était également résistante aux herbicides du groupe 27, qui comprend notamment le Callisto, largement utilisé dans le maïs-grain et très efficace. L’amarante tuberculée est donc qualifiée de multirésistante. Et, selon les populations, elle peut être résistante à d’autres groupes d’herbicides. C’est cette mauvaise herbe qui a poussé des producteurs à adopter des pratiques préventives pour la contrôler. Le MAPAQ a lancé un plan de lutte pour éviter qu’elle ne se propage partout en province.

Quelles autres mauvaises herbes avez-vous dans votre mire?
La petite herbe à poux nous préoccupe beaucoup. Elle est très présente au Québec. On sait depuis plusieurs années qu’une grande proportion des populations sont résistantes aux herbicides du groupe 2, notamment l’imazéthapyr (PursuitMD). Toutefois, ce qui est inquiétant, c’est que l’on commence à voir des populations qui résistent au glyphosate et d’autres qui se montrent multirésistantes, c’est-à-dire qu’elles résistent à la fois au glyphosate (groupe 9) et aux herbicides des groupes 2 et 14. 

Pour les populations de petite herbe à poux qui n’y sont pas résistantes, les herbicides du groupe 14 (ValteraMC, Reflex®, etc.) se sont montrés efficaces et s’appliquent en prélevée ou en post-levée dans le soya. Dépendamment du profil de résistance de la petite herbe à poux, ce sont d’ailleurs à peu près les seules options qu’il nous reste dans certains cas pour le soya à identité préservée pour s’en débarrasser. La résistance, pour les producteurs, c’est un fardeau sur le plan économique. Il faut augmenter la quantité d’herbicides utilisée ou le nombre de groupes d’herbicides. La possibilité de contrôler les mauvaises herbes s’amincit et la quantité de produits sur le marché rétrécit.

Les résistances se développent à force d’utiliser un produit de façon répétitive.
Exactement. Il faut savoir qu’il y a deux catégories de résistance. La résistance liée au site d’action qui fait en sorte que la molécule de l’herbicide n’arrive plus à se lier à la cible située dans la cellule de la mauvaise herbe pour la faire mourir. Puis, il y a la résistance métabolique. L’amarante tuberculée est une championne en la matière. Elle adapte son métabolisme pour détoxifier les herbicides. 

De plus, notre modèle d’alternance des cultures de maïs et de soya en vient à favoriser des mauvaises herbes qui y sont adaptées. Donc, ne miser que sur les herbicides pour contrôler les mauvaises herbes favorise la résistance. Ça commence par un plant et l’on ne s’en rend pas compte immédiatement. 

Avant l’arrivée des cultures résistantes aux herbicides (OGM) qui ont entraîné un usage accru du glyphosate, par exemple, les producteurs variaient davantage leurs méthodes de lutte. Dans les premières années de l’avènement de ces produits, certains producteurs croyaient même qu’il n’était plus nécessaire de faire du dépistage. Ces produits tuaient tout sauf la culture. Les champs étaient immaculés. La pression de sélection sur les mauvaises herbes a donc été importante au fil du temps dans certains champs. La mauvaise herbe qui a développé une résistance a pu compléter son cycle vital et produire des graines. C’est ce qui crée une population résistante. Les agronomes et technologues en sont bien conscients aujourd’hui et leurs recommandations de stratégies de désherbage en tiennent compte.

Quelles pratiques recommandez-vous aux producteurs d’adopter pour lutter contre la résistance?
Le dépistage est la base d’un programme de lutte sérieux et il faut y revenir. Car ça prend souvent de grandes superficies affectées avant de constater un problème. Ça doit devenir un réflexe de faire de la gestion intégrée des mauvaises herbes en identifiant et en inventoriant bien les plantes de nos champs, les plantes annuelles tout particulièrement, en s’informant sur leur cycle vital et en déterminant, en fonction de ces connaissances, la façon adéquate de les contrôler, car on ne les gérera par toutes de la même façon. Aux États-Unis, on utilise des drones pour faire du dépistage. Des algorithmes vont se développer. Nous sommes rendus là. L’intelligence artificielle nous aidera à trouver des solutions à la résistance.

Outre le dépistage, quelles autres pratiques avez-vous dans votre arsenal de moyens de luttes?
La rotation des cultures et des groupes d’herbicides, le travail réduit du sol et les cultures de couverture. La rotation des cultures, en intégrant une céréale d’automne à la rotation maïs-soya par exemple, brise le cycle vital de certaines mauvaises herbes. En travaillant le sol en surface, on limite l’enfouissement des graines de mauvaises herbes qui favorise leur survie. Lorsqu’elles restent en surface, les insectes les mangent et elles se dégradent naturellement, ce qui diminue la banque de graines de mauvaises herbes du sol. Aussi, connaître les foyers localisés en favorise le contrôle. On peut aussi carrément en faire l’arrachage manuel. On la sort du champ et on en dispose convenablement. Ça évite des problèmes les années subséquentes.

Ces mauvaises herbes résistantes, comment se propagent-elles?
J’ai constaté que l’amarante tuberculée se propage beaucoup par les batteuses qui se déplacent de ferme en ferme.  Ce mode de dispersion est fréquent dans les régions où les machines circulent beaucoup comme la Montérégie. Dans le nord des États-Unis, les services d’extension d’universités (Iowa, Nebraska, Wisconsin et Dakota du Nord) ont mis en place une procédure de nettoyage rapide des batteuses. On a retiré des différents mécanismes des appareils jusqu’à 68 kg (150 lb) de débris tels que des graines de mauvaises herbes, de la terre, de la paille et des bouts d’épis. 

On aimerait implanter ce nettoyage rapide ici. Bref, mettre la biosécurité à l’ordre du jour. Je recommande également aux producteurs de s’en parler entre eux s’ils sont aux prises avec des problèmes de résistance et de dépister le cheminement de leur sous-traitant qui effectue les battages en prenant note de sa trajectoire. L’amarante a tendance à suivre un pattern de batteuse.

Parlez-nous des céréales d’automne et des cultures de couverture.
Les céréales d’automne, par exemple, offrent de multiples avantages. Les implanter à cette période favorise leur départ au printemps. Elles ont alors une longueur d’avance sur les mauvaises herbes. Elles leur font de l’ombrage et les empêcheront de lever. Pour les producteurs aux prises avec l’amarante tuberculée, c’est notre première recommandation. Si la céréale d’automne a bien passé l’hiver, au printemps, on ne verra pas l’amarante tuberculée. Mais il faut rester vigilant, car les graines peuvent être en dormance sept ou huit ans et la mauvaise herbe réapparaît. 

Après la récolte du blé d’automne à la fin de juillet, dans la Montérégie, par exemple, il faut penser à introduire à nouveau une culture de couverture, sinon, l’amarante tuberculée va lever jusqu’en septembre. C’est donc le moment d’appliquer du fumier, de la chaux, si nécessaire, et une culture de couverture agressive qui aura une longueur d’avance sur l’amarante tuberculée. Des mélanges à base d’avoine, de pois et de crucifères comme le radis, entre autres. Il faut mettre le couvercle sur le chaudron! À la longue, l’amarante tuberculée perdra son pouvoir de germination et, comme je le mentionnais, on n’entretient pas la banque de semences. On coupe le cycle vital. On veut éviter que les annuelles produisent des graines, c’est pourquoi il faut en connaître le comportement pour savoir où travailler.

Verra-t-on de nouvelles molécules se développer dans l’avenir?
Aux dires des entreprises qui les fabriquent, c’est très coûteux et exigeant. Il semble que ce soit de plus en plus difficile de trouver de nouvelles molécules efficaces en raison de la présence de résistance métabolique dans certaines mauvaises herbes comme l’amarante tuberculée et l’amarante de Palmer. Ce type de résistance permet à la plante de détoxifier plusieurs groupes d’herbicides à la fois. Alors un nouvel herbicide pourrait ne pas être efficace même si la mauvaise herbe n’a jamais été pulvérisée avec ce produit. 

L’amarante de Palmer est une mauvaise herbe encore plus dommageable que l’amarante tuberculée. Elle produit plus de graines, grosses comme des têtes d’épingle. Elle a commencé à être problématique dans les champs de coton. Elle progresse vers le nord des États-Unis. Elle a été détectée en Ontario l’année dernière, mais n’a pas encore atteint le Québec. Il faut éviter que la gestion des mauvaises herbes ne repose que sur les herbicides. Dépistage, rotation des cultures et des groupes d’herbicides, céréales d’automne, cultures de couverture, contrôle mécanique doivent être intégrés dans les programmes de lutte afin d’éviter que les mauvaises herbes se reproduisent.

Photos : Gracieuseté de Stéphanie Mathieu, MAPAQ

Patrick Dupuis

QUI EST PATRICK DUPUIS
Patrick est rédacteur en chef adjoint au magazine Coopérateur. Agronome diplômé de l’Université McGill, il possède également une formation en publicité et en développement durable. Il travaille au Coopérateur depuis plus de vingt ans.

patrick.dupuis@lacoop.coop

patrick.dupuis@sollio.coop

QUI EST PATRICK DUPUIS
Patrick est rédacteur en chef adjoint au magazine Coopérateur. Agronome diplômé de l’Université McGill, il possède également une formation en publicité et en développement durable. Il travaille au Coopérateur depuis plus de vingt ans.

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