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Récolte de fourrages : bien organiser son chantier pour économiser

La saison des récoltes est déjà à nos portes, après un hiver plutôt tumultueux. La pandémie, qui nous a apporté une nouvelle vague en décembre, et la guerre en Ukraine, par la suite, sont deux éléments qui ont en grande partie contribué à la fluctuation, mais surtout à la hausse fulgurante du prix des intrants. 

L’ajustement du prix du lait payé à la ferme est venu mettre un petit baume sur ces mauvaises nouvelles, mais la marge alimentaire à la ferme continue tout de même à s’effriter. Quand le prix des intrants est à la hausse, on a tous le réflexe de chercher des échappatoires. 

Comment compenser ces hausses de coûts? 

En fait, quels que soient les prix des intrants, la réponse à cette question est la même : pour maximiser sa marge alimentaire, le facteur le plus important sur lequel on exerce une influence, c’est la qualité des fourrages. Il est donc primordial de bien se préparer dès le printemps pour pouvoir faire les semis au meilleur moment, bien sûr, et ensuite de bien préparer le chantier de récolte. Un de mes mentors quand il est question de fourrage m’a toujours parlé de la « taxe à l’ensilage ». Qu’est-ce que cette taxe? En fait, il s’agit des pertes incontournables de matière sèche de la récolte à la reprise. Le tableau 1 montre d’où proviennent ces pertes : fermentation, respiration, entreposage et reprise. 

Tableau 1

Il y a donc un minimum de pertes auxquelles il faut s’attendre. Si on fait de l’excellent travail, on peut obtenir moins de 10 % de pertes, mais un travail bâclé peut rapidement entraîner 15 à 20 % de pertes, d’où l’importance d’un chantier efficace et bien préparé!  

Comme on peut le constater, la plus grande partie des pertes vient de l’entreposage et de la reprise. Ces pertes sont principalement causées par une mauvaise compaction. Il est impératif d’avoir les équipements nécessaires pour pouvoir bien compacter le matériel à mesure qu’il arrive au chantier. Trop souvent, on voit un entrepreneur à forfait qui est équipé pour récolter trop rapidement pour ce que le producteur peut recevoir. Résultat : le fourrage est poussé, mais pas assez compacté!  

Voici deux règles de base importantes pour la compaction : des couches de six pouces d’épaisseur à la fois, et le poids combiné des tracteurs qui poussent et compactent le matériel doit être équivalent au poids de matière sèche apporté au chantier à l’heure (une tonne de tracteur par tonne de matière sèche). Par exemple, si le chantier amène 150 tonnes à l’heure d’ensilage de maïs à 35 % de MS, il faut 52 tonnes (35 % de 150) de « compacteur ». La compaction permet d’éliminer le plus d’air possible du matériel. L’air restant sera ensuite transformé en CO2 par la respiration de la plante. Une bonne compaction réduit aussi la respiration lors de la reprise. Le tableau 2 indique les pertes de matière sèche estimées selon le taux de compaction à 90 et 180 jours d’entreposage. 

Tableau 2

Fin du chantier 

Ensuite, à la fin du chantier, il est primordial de bien sceller le matériel (dessus de silo et silo-couloir, enrobage et meule). Pour obtenir les meilleurs résultats, il est essentiel d’utiliser une barrière à l’oxygène, recouverte d’un plastique dans le cas des silos-couloirs et des meules. Les plastiques pour enrobage et sacs d’ensilage contiennent déjà cette portion barrière à l’oxygène.  

Cette opération doit être faite le plus rapidement possible. Selon une recherche*, attendre 24 heures plutôt que de recouvrir immédiatement le matériel entraîne des pertes de matière sèche de l’ordre de 3,5 %. Qu’il s’agisse d’une meule ou d’un silo-tour, il est important d’appliquer le plus rapidement possible les deux couches de plastique (barrière à l’oxygène et plastique) et de bien appliquer du poids sur toute la surface, à l’aide de pneus, matelas (attention aux caoutchoucs avec du fil métallique à l’intérieur, qui pourrait percer le plastique), sacs de gravier, etc. 

D’entrée de jeu, nous avons parlé de coûts et d’économie. Mais quelles valeurs ces pourcentages de pertes ont-ils? Vous aurez compris, lorsque j’ai parlé de la « taxe à l’ensilage », qu’on ne peut aspirer à zéro perte. Toutefois, quelle est notre marge de manœuvre? Je pense qu’on peut facilement dire qu’entre un excellent travail et un bon travail, on peut évaluer la différence de pertes de matière sèche à environ 8 % (soit passer de 16 à 8 % de pertes, par exemple).  

Qu’est-ce que cela représente? Le prix ou coût de production des fourrages a lui aussi grandement augmenté ces dernières années. Selon les estimations  de Guy Beauregard, économiste au MAPAQ, la valeur et/ou coût de production du maïs fourrager (maïs-ensilage) et de l’ensilage de fourrage (mil-luzerne) serait respectivement de 209 $ et 300 $ la tonne de matière sèche!  

Prenons l’exemple d’un producteur qui entrepose 5000 tonnes d’ensilage, soit 3000 tonnes d’ensilage de maïs et 2000 tonnes d’ensilage de foin. Cela correspond à 1050 tonnes de matière sèche d’ensilage de maïs. À 8 % de pertes, cela fait 84 tonnes (8 % de 1050 tonnes). À 209 $ la tonne, la perte se chiffre à 17 556 $. Pour l’ensilage de foin, 2000 tonnes à 38 % de matière sèche donnent 760 tonnes. À 8 % de pertes, on parle ici de 60,8 tonnes, donc 18 240 $ à 300 $ la tonne. 

En résumé, une diminution de 8 % des pertes de matière sèche entraîne une économie de plus de 35 000 $ (17 556 $ + 18 240 $). C’est un pensez-y-bien! Vous me direz que l’évaluation des prix est élevée. Mais si, aux fins de standardisation, on prend les coûts utilisés par les groupes-conseils de gestion (qui, de leur propre aveu, devraient être mis à jour), soient respectivement 175 $ et 215 $ la tonne de matière sèche pour l’ensilage de maïs et de foin, cela représente quand même 27 600 $. 

Dans un article publié récemment, je citais le Pr Rick Grant, qui parlait d’une étude réalisée par des chercheurs de l’Université d’État de Pennsylvanie sur les facteurs déterminants de la marge alimentaire. Le facteur le plus important, loin devant les autres, était celui de la gestion de la qualité et du stock des fourrages. On y parlait de producteurs qui diminuaient leur coût d’alimentation de 9 % par rapport à la moyenne. Voilà qui résume bien le présent article! 

Bonne récolte! 

* Étude réalisée par le Dr K. Kutcher et ses collègues en 2015, à l’Université polytechnique de Californie. 

Photo : Sollio Agriculture

Hugues Ménard

QUI EST HUGUES MÉNARD
Membre de l'Ordre des technologues du Québec, Hugues est expert, stratégie d'affaires agricoles en production laitière chez Sollio Agriculture. Il est également spécialiste de gros troupeaux.

hugues.menard@sollio.ag

QUI EST HUGUES MÉNARD
Membre de l'Ordre des technologues du Québec, Hugues est expert, stratégie d'affaires agricoles en production laitière chez Sollio Agriculture. Il est également spécialiste de gros troupeaux.