Une terre de 40 acres, près de 100 sites de cueillettes, 400 km de territoire à couvrir et, surtout, des pommes. Va pour le 40 acres, mais 100 sites? 400 km? Parle-t-on toujours d’un verger? Entretien avec un chasseur des pommes ancestrales, Jean-Philippe Mainville, de la Cidrerie Estran, membre d’Unoria Coopérative.
« Je ramasse des pommes depuis toujours, raconte Jean-Philippe. Notre territoire regorge de pommiers sauvages et de petits vergers familiaux abandonnés. Je fais ça depuis plus que 10 ans, pour m'amuser. »
À l’automne, il parcourt le territoire bas-laurentien. Fut une époque, en effet, où tous les habitants avaient leur petite ferme, incluant souvent un pommier pour faire du cidre, de la gelée, des tartes ou des à-côtés hivernaux sucrés et remplis de vitamines. Ces arbres n’ont pas tous disparu et certains portent aujourd’hui leur centenaire avec fierté, produisant sans intrant ni intervention humaine les fruits aux multiples usages.
Le producteur, investigateur à son heure, est donc parti à leur recherche et a (re)découvert toutes sortes de variétés de pommes, souvent méconnues aujourd’hui, et pourtant parfaites pour créer des saveurs distinctives.
Il ramasse les fruits, lesquels ont encore un immense potentiel de revalorisation. De retour à Trois-Pistoles, Jean-Philippe se dirige à l’Atelier de transformation agroalimentaire des Basques (ATAB), pour transformer ses trouvailles en cidres qui marient les arômes de ces pommes ancestrales.
Les recettes sont-elles identiques d’un lot à l’autre? Improbable! Les arbres, leur unicité, leur nombre, tout joue en faveur de produits chaque fois uniques à leur manière, avec un jus non reproductible, mais toujours de qualité. « Ça fait un jus qui a moins d'azote, qui fermente plus lentement, qui est plus intéressant au niveau aromatique, qui est à l'image du terroir, et d'un terroir historique », explique le producteur.
La résistance par les pommes
On soupçonne qu’il y a aussi dans cette initiative un acte de résistance. Les racines de la cidrerie sont, à leur manière, ancrées dans le territoire depuis des décennies. « C'est un cidre qui se veut très très artisanal », ajoute le cueilleur, et maintenant pomiculteur.
En effet, depuis 2017, Jean-Philippe tente aussi de se lancer dans une production à domicile de ses pommes. Il a fait l’achat d’une terre de 40 acres, dont la moitié est cultivable, à deux pas de la Fromagerie des Basques. Un peu laissée à l’abandon, la terre reprend vie depuis. « Elle a été nivelée, drainée, chaulée et fertilisée, explique Jean-Philippe. Les faussés ont été refaits et il y a de l'irrigation au goutte-à-goutte avec un étang d'irrigation. » Elle accueille maintenant près de 500 jeunes pousses de pommiers qui profitent de la brise marine du fleuve Saint-Laurent.
Cette terre s’est du coup transformée en un bastion agricole qui tient à l’écart la spéculation immobilière et protège le territoire. « Ces terres-là, qui sont très loin des autres terres, sont quasiment dans la ville de Trois-Pistoles, ajoute-t-il. Les autres producteurs qui sont en grandes cultures et en laitier n'iront jamais la cultiver. La remettre en culture et implanter un verger, c'est sûrement une des meilleures manières de contrer l'expansion urbaine pour s'assurer que ça reste de l'agriculture. Ce verger vient protéger ces morceaux de terre qui sont entourés de maisons et du fleuve. »
Survivre aux chevreuils
Les défis sont toutefois bien présents pour l’entreprise encore en démarrage. Les chevreuils ont rapidement découvert ce nouveau festin de jeunes pousses d’arbres et y ont fait des ravages. C’est près de la moitié des pommiers qui ont été étêtés après être passés sous le tordeur des voraces mâchoires des cervidés, pourtant peu nombreux dans le secteur.
Devant l’hécatombe, il fallait agir. La solution la plus simple : clôturer. C’est plus facile à dire qu’à faire! Encore faut-il avoir les moyens financiers pour le faire.
Un programme formateur et un coup de pouce financier
C’est là qu’est tombé, à pic, le Tremplin pour la jeunesse agricole présenté par Desjardins. Le programme est porté par le Fonds coopératif d’aide à la relève agricole, en collaboration avec Sollio Groupe Coopératif et la Fédération de la relève agricole. Les lauréats, dont fait partie Jean-Philippe, ont eu la chance de prendre part à un parcours de formation et de réseautage, en plus de recevoir une bourse de 15 000 $ pour le financement de leur projet. « Le projet que j'avais besoin de financer, explique-t-il, c'était l'implantation d'une clôture. J'avais 1 km de clôture à chevreuils à implanter pour entourer le verger. La bourse tombait vraiment bien. »
L’expérience a toutefois dépassé les attentes financières. « J'ai rencontré des producteurs et des productrices de tout le Québec, dans plein de productions différentes, et des intervenants vraiment pertinents. On a eu de super belles formations et le parcours de formations était pertinent et enrichissant. »