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Un accord de libre-échange Canada-Chine : pas pour demain

Deuxième partenaire commercial après les États-Unis, la Chine est un marché incontournable pour les producteurs agricoles québécois et canadiens. Mais nourrir le dragon chinois représente un défi colossal, tant sur le plan de l’approvisionnement que sur le plan géopolitique. 

Même si le milieu des affaires canadien le souhaite ardemment, un accord de libre-échange entre le Canada et la Chine ne sera pas conclu avant 5 ou 10 ans, voire plus. « Un tel accord a demandé 10 ans à l’Australie, et nous avons pris un énorme retard », dit Jean-François Lépine, directeur des représentations du Québec en Chine de 2015 à 2021. 

Le premier ministre canadien, Justin Trudeau, est revenu bredouille de son voyage à Pékin, en 2017, pour signer cet accord avec le deuxième partenaire commercial du Canada après les États-Unis. Ce sont les demandes canadiennes sur le respect des droits de la personne, de l’environnement, des travailleurs et des genres qui ont plombé les relations, selon l’analyste Jean-François Lépine.

Par la suite, avec la saga des arrestations de la dirigeante de Huawei et des deux Michael, et aujourd’hui l’indécision d’Ottawa au regard de l’adoption de la technologie chinoise des télécommunications 5G, les relations entre les deux pays se sont refroidies jusqu’au point de congélation. Mais malgré l’absence de représentants canadiens à la cérémonie d’ouverture des Jeux de Pékin, il est possible qu’elles s’améliorent à l’avenir.

Non seulement la Chine va bientôt surpasser les États-Unis au titre de première économie du monde, mais elle abrite une classe moyenne deux fois plus nombreuse que celle du pays de l’Oncle Sam. « Les Chinois accordent une énorme importance à leur alimentation et ils ne font pas confiance à leurs producteurs », dit Jean-François Lépine. 

Le traumatisme lié au scandale de la mélamine, en 2008, est toujours bien ancré dans la population de 1,4 milliard d’habitants. Des transformateurs chinois avaient utilisé ce produit toxique pour augmenter le taux de protéines du lait. Ce lait frelaté, écoulé sur le marché, avait empoisonné des milliers de poupons – causant la mort de certains – et ébranlé les assises du Parti communiste. 

Quelque 400 millions de consommateurs forment aujourd’hui la classe moyenne chinoise. Avant la pandémie, 200 millions d’entre eux voyageaient aux quatre coins du monde, « ce qui contribue à la découverte de nouveaux goûts et à un appétit pour de nouveaux produits », souligne le Pr Zhan Su, sinologue de l’Université Laval.

En ce sens, « la Nouvelle-Écosse a fait des bonds de géants en Chine, indique Jean-François Lépine. Les exportateurs ont installé un vivier géant à l’aéroport de Halifax. Les homards vivants arrivent par avion en Chine et se vendent entre 100 et 200 $ pièce dans les restaurants et les épiceries de Shanghai. »

Les exportations québécoises en Chine sont composées à plus de 80 % de produits de base, de viande et d’abats de porc, et de soya destiné en grande majorité à l’alimentation animale. « En 2021, les consommateurs chinois ont dépensé plus de 200 milliards $ US en boissons et nourriture », dit Charles Lavoie, vice-président au marketing et aux technologies chez WPIC, et spécialiste du marché chinois. N’y aurait-il pas de place pour les petits fruits (comme la canneberge), le sirop d’érable, voire les petits biscuits Leclerc? 

« La Chine est dans notre mire, mais les États-Unis restent le marché prioritaire pour les produits transformés, en raison de la langue, de la proximité et du rendement des investissements pour nos transformateurs », explique en substance Martin Lavoie, président-directeur général du Groupe Export agroalimentaire Québec-Canada. Selon le site Web de cette association, une soixantaine d’entreprises membres seraient intéressées par le marché chinois.

Notre demande d’entrevue avec un représentant en développement de marché au MAPAQ est restée lettre morte. Mais Yohan Dallaire Boily, relationniste de presse du ministère, a indiqué par courriel que celui-ci a une stratégie pour développer ce gigantesque marché, dont la participation à quatre foires alimentaires en 2022, notamment le SIAL Shanghai (Groupe Export, mai 2022) et la China Fisheries & Seafood Expo (octobre 2022). 
Pour « attaquer » le marché chinois, « il faut savoir ce que l’on a à offrir et quelle est notre capacité de production, parce que si vous ne livrez pas la marchandise, vous êtes barré pendant des années », souligne Jean François Lépine. 

Avec ou sans accord de libre-échange, l’ex-diplomate croit que, pour accéder au podium alimentaire chinois, le Québec et le Canada devraient avoir une approche commune, comme l’équipe féminine de hockey, qui a remporté la médaille d’or aux Jeux olympiques de Pékin. Il cite l’exemple du Danemark, petit pays européen, mais grande puissance agroalimentaire, où les rouages entre la production, la transformation, les exportations et les chambres de commerce sont extrêmement bien huilés. 

(Ce texte fait partie du dossier Comment nourrir le dragon chinois paru dans le numéro d'avril 2022 du Coopérateur.)

Illustration : Amélie Tourangeau

Nicolas Mesly

QUI EST NICOLAS MESLY
Nicolas Mesly est reporter, photographe et agronome (agroéconomiste). Les associations de presse du Canada ont récompensé son travail journalistique et photographique à plus de vingt reprises. Il est chroniqueur économique, entre autres à la radio de la Société Radio-Canada.

nicolas@nicolasmesly.com

QUI EST NICOLAS MESLY
Nicolas Mesly est reporter, photographe et agronome (agroéconomiste). Les associations de presse du Canada ont récompensé son travail journalistique et photographique à plus de vingt reprises. Il est chroniqueur économique, entre autres à la radio de la Société Radio-Canada.