Dans la cuisine des nutritionnistes avicoles
L’agronome Alexandre Lebel, nutritionniste en production avicole chez Sollio Agriculture, a présenté comment on produit des aliments de qualité.
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L’agronome Alexandre Lebel, nutritionniste en production avicole chez Sollio Agriculture, a invité l’auditoire du 20e Rendez-vous avicole de l’AQINAC à l’accompagner dans « sa cuisine », là où un savant dosage d’ingrédients et de nutriments permet de concocter des aliments de haute technologie qui assureront la performance optimale des oiseaux d’élevage.
« Je suis le dernier rempart entre vous et votre repas, a-t-il lancé d’entrée de jeu en amorçant la dernière conférence de l’avant-midi. Le timing est parfait. Pourquoi? Parce qu'on va passer les 30 prochaines minutes dans une cuisine. » Le ton est donné, la table est dressée, les convives sont à l’écoute. Alexandre se lance avec la verve et l’assurance qui le caractérisent.
Étape par étape, ce professionnel de l’aviculture a décortiqué et vulgarisé le processus de fabrication des moulées avicoles et les exigences sur lesquelles l’industrie se base pour formuler des aliments de qualité. Bref, comment mieux comprendre la recette du succès.
La moulée : un produit de haute technologie méconnu
Les producteurs et productrices avicoles connaissent généralement sur le bout des doigts ce qui se passe dans leurs entreprises: ventilation, éclairage, eau, gestion, santé globale des oiseaux, notamment. Ce sont là de nombreux facteurs qui entrent en ligne de compte dans le succès d’un lot. Mais savent-ils véritablement ce que leurs oiseaux consomment? « Là, on est moins sûr », lance Alexandre Lebel qui précise du même souffle que l’aliment représente 50 % du coût de production d’un lot.
Comment s’y prend-on pour formuler un aliment de qualité qui répond en tous points aux besoins alimentaires des oiseaux et aux exigences des personnes qui les élèvent? Car, oui, la rentabilité doit assurément être prise en compte. « Le meilleur aliment du monde, à 900 $ la tonne, ne trouvera jamais preneur, lance Alexandre Lebel. Il faut bien choisir les ingrédients et les mélanger dans les bonnes proportions. »
Ricardo des plumes
Énergie, fibres, protéines, acides aminés, enzymes, vitamines et minéraux... Alexandre Lebel a exposé que le ou la Ricardo des plumes doit d’abord faire l’inventaire du contenu des ingrédients du garde-manger auquel il ou elle a accès avant de se lancer dans la formulation des aliments pour volailles.
« Quand on fait un programme alimentaire, ce qu’on vise, ce n’est pas un profil d’ingrédients, on recherche avant tout un profil de nutriments, précise l’agronome. L’oiseau n’a pas besoin de maïs ou de tourteau de soya, mais de ce que ces ingrédients contiennent. Il y a une différence entre le tourteau de soya – l’ingrédient – et la protéine qu’il contient – le nutriment. Bref, les ingrédients, ce sont les véhicules des nutriments. »
Les grains, tourteaux, sous-produits et suppléments de minéraux et vitamines fourniront tout ce dont vos oiseaux requièrent pour être en santé et performer. « On parle ici de nutrition de précision, avance Alexandre Lebel. Chaque poignée de moulée contient au bas mot une trentaine d’ingrédients. Une moulée avicole, en 2025, ça n’a rien de banal. Tout est pesé et mesuré avec minutie. »
L’énergie
« L’énergie, c’est le premier nutriment que l’on calcule, fait savoir l’expert en alimentation avicole. L'énergie, c'est quoi? C'est le carburant. L'oiseau utilise l'énergie en premier lieu pour se maintenir en vie. S’il fait face à un stress, ou à une maladie, l’oiseau utilisera l’énergie qu’il tire des aliments pour soutenir son système immunitaire afin de lutter contre cette maladie, et ce, au détriment du gain. L'efficacité de l'énergie est donc dépendante de l'environnement dans lequel les oiseaux vont se trouver. »
Les protéines
« L’énergie, ce sont les travailleurs, les protéines et ce qui les constitue – les acides aminés –, ce sont les matériaux avec lesquels on bâti les muscles, les plumes, le collagène et les autres tissus des oiseaux, image Alexandre Lebel. Il y a des acides aminés que l’oiseau fabrique lui-même et ceux que l’on qualifie d’essentiels, c’est-à-dire que l’oiseau ne peut pas synthétiser lui-même, ils doivent être ajoutés dans son alimentation. Leur apport dans l’aliment doit être bien équilibré. » Les enzymes, qui sont aussi des protéines, jouent un rôle de catalyseurs de réactions chimiques qui facilitent la digestion, la respiration, le fonctionnement musculaire et nerveux, entre autres. Ce sont comme des ouvre-boîtes d’aliments qui permettent d’aller en extraire les nutriments qui ont été servis.
Les minéraux et les vitamines
Le calcium et le phosphore sont les principaux minéraux qui constituent le squelette et la coquille des œufs, poursuit Alexandre Lebel. D’autres oligo-éléments ont aussi une haute importance bien que nécessaire en plus petites quantités : cuivre, fer, zinc, manganèse, iode, sélénium. Ces minéraux jouent des rôles clés dans de nombreuses fonctions métaboliques, le transport de l’oxygène par l’hémoglobine, qui contient du fer, l’équilibre acide-base de l’organisme et l’intégrité de la microflore intestinale en favorisant le développement des bactéries bénéfiques.
Les vitamines, elles, aident à transformer les nutriments (protéines, lipides, glucides) et sont des cofacteurs essentiels pour de nombreuses enzymes. On les retrouve dans deux grandes catégories, les vitamines hydrosolubles (solubles dans l’eau) et les vitamines liposolubles (solubles dans les graisses). Les vitamines hydrosolubles, les vitamines C et du complexe B notamment, ne peuvent pas être stockées dans l’organisme. Leur surplus est excrété. En revanche, si on cesse d’en donner, des problèmes de carence nous guettent. Les vitamines liposolubles, les vitamines A, D, E, K, peuvent être stockées dans les tissus. En cas de légères carences, les oiseux peuvent aller y puiser ce qui leur manque.
Dans une tonne de moulées, les minéraux et vitamines sont ajoutés, sous forme de microprémix, à raison de 1,5 kilo. Certains ingrédients ne sont ajoutés qu’à raison de quelques grammes par tonne. « Le microprémix est un ingrédient de la recette qui, malgré sa faible proportion par rapport au maïs et au blé (sources d’énergie et de fibres) et soya micronisé, trituré ou torréfié (sources de protéines et d’énergie), joue un rôle clé. »
Les autres ingrédients
Dans un souci de favoriser une économie circulaire, les sous-produits peuvent aussi servir à fabriquer des moulées avicoles. « L'alimentation avicole fait partie des mécanismes de revalorisation de ces types de produits, comme les sous-produits de boulangerie, indique le nutritionniste. Ces produits permettent également de diminuer les coûts de production des moulées.
La graine de lin, source d’oméga 3, peut aussi être utilisée, en plus petite quantité, toutefois, note Alexandre Lebel, car elle coûte cher. Donc, à utiliser avec parcimonie, dit-il. Une tasse de farine de blé de trop ne changera pas beaucoup le goût du gâteau, mais trois cuillerées à table d’essence de vanille au lieu de quelques gouttes feront une grande différence dans le goût, compare l’agronome.
Les médicaments font aussi partie de la recette, souligne Alexandre Lebel. Il existe aussi d’autres solutions pour ces produits : des épices, des levures, des acides organiques, des antioxydants. « Ces produits ne sont pas des aliments, mais apportent une fonctionnalité bien précise, comme l’amélioration de la santé intestinale. »
Pour déterminer le contenu en nutriments d'un ingrédient, on peut utiliser des équipements de laboratoire comme des spectromètres pour des analyses précises, ou des méthodes de calcul basées sur des logiciels et des bases de données nutritionnelles. « Je consulte notamment Feedipedia », partage Alexandre Lebel.
Dans les cuisines du monde
« La prochaine étape, une fois tous les ingrédients rassemblés et les nutriments calculés, c’est de sortir les chaudrons et de concocter la recette, lance le nutritionniste en production avicole. Ce n’est pas chose simple, car il faut alors savoir qui on aura à nourrir au restaurant: poulet « végétal », sans antibiotiques, poulet de 2,4 kilos en 32 jours, ponte jusqu’à 72 ou 80 semaines... Je dois donc écrire le livre de recettes. »
Alexandre s’inspire de multiples sources : collègues du Québec, du Canada et d’ailleurs dans le monde, études universitaires, centres de recherche internationaux. « On visite les cuisines d’autres nutritionnistes, dit-il. On essaie d’aller chercher la connaissance et la science, on lance des projets de recherche pour savoir comment mieux satisfaire les besoins de notre clientèle. On fonctionne par essais et erreurs. »
Puis, on mélange le tout, dit-il. On envoie ça dans le mélangeur. On fait des essais sur le terrain, on récolte les commentaires, les suggestions des personnes qui testent les produits dans leurs entreprises et de nos spécialistes et, si nécessaire, on retourne à la cuisine, à la recette, aux chaudrons. « Il ne faut pas seulement que ça fonctionne, ajoute Alexandre Lebel, il faut que ce soit payant et commercialement viable pour les entreprises. »
Il est essentiel de demeurer à l’affût, conseille-t-il, et de fonctionner en mode amélioration continue. « Ce n’est pas parce que ça va bien que ça ne peut pas aller mieux. Être dans une cuisine de nutritionniste en production avicole, ça prend une bonne dose de dynamisme, d'innovation et d'agilité. »
« Ce que j’aimerais que vous gardiez en tête, conclut Alexandre Lebel, c'est que derrière les aliments que vous recevez, il y a énormément de gens qui travaillent. Il y a beaucoup de temps, d'énergie, de connaissances, d'argent qui est investi. Quand vous prenez une poignée de moulée complète, ce n’est pas qu’un paquet d'ingrédients mélangés, mais c'est un produit de haute technologie. Et il y a de quoi être fier de ce qu’on fait au Québec. »