Lundi, 15 juillet 2024. On sort d’une (autre) canicule, mais il est déjà temps de réunir le jury du concours Jeunes agriculteurs d’élite (JAÉ), section Québec.
On m’a demandé d’officier aux côtés du technologue Nicolas Marquis (Sollio Agriculture), de l’agronome Vincent Cloutier (Banque nationale) et des producteurs laitiers Étienne et Guillaume Lessard (Ferme Holdream). À titre d’ancien gagnant avec sa conjointe, Lorraine Lemay, Carl Marquis (Ferme Lorka) supervise le jury et s’implique bénévolement dans le concours depuis 23 ans. Le concours est tenu à bout de bras par de valeureux anciens et de nombreux commanditaires, dont Sollio Agriculture.
Lundi, 13 janvier 2025. Nous y sommes! Après lecture et relectures des dossiers, j’ai rempli religieusement ma grille de pointage. Pas facile de départager les trois fermes candidates! À l’enjeu : une place pour représenter le Québec au concours canadien. Fondé aux États-Unis en 1954, cette compétition amicale a franchi la frontière en 1979 en Alberta. Son but : améliorer les relations entre les urbains et les ruraux – il semble que ce soit encore pertinent en 2025 avec l’émission à laquelle je collabore comme recherchiste, Arrive en campagne (TVA)!
Après 20 ans de métier comme communicateur pour le Coopérateur notamment, j’ai eu la chance d’écrire et de filmer bon nombre d’anciens gagnants ou participants aux concours québécois ou canadien. J’ai même, parmi mes amis, Johanne Cameron et Martin Brodeur qui sont pour moi la quintessence de l’âme du concours, deux véritables « ambassadeurs agricoles ». Cette année, ce sont les frères Lessard de Saint-Honoré-de-Shenley qui, comme gagnants nationaux, siègent sur le jury – des Beaucerons qui m’impressionnent tout autant!
Contrairement à d’autres concours, on n’attire pas les candidatures au concours JAÉ avec de juteuses bourses. Une formation entrepreneuriale d’une valeur de 7500 $ est offerte aux gagnants et un prix de 300 $ est octroyé aux autres finalistes. Il s’agit bien davantage de concourir en proposant son modèle positif et inspirant aux autres générations et aux autres provinces. Là où opère également le charme du concours, c’est la possibilité d’entrer dans une « fraternité secrète », a écrit un juge invité en 2022 (Martin Ménard, La Terre de Chez Nous), un club sélect qui fait se rencontrer les anciens une fois par année pour le plaisir d’échanger avec les meilleurs.
Avant de rencontrer les candidats, Carl Marquis dispense ses directives. « La taille de l’entreprise n’est pas importante, ne compte que l’évolution », spécifie-t-il, avant d’ajouter que la réputation ou la notoriété de l’entreprise ne devrait pas non plus teinter notre jugement, qui devra être unanime. À la fin, on couronnera un gagnant, mais ce producteur laitier de Lotbinière mentionne que les fermes repartent grandies de l’expérience d’avoir cogité sur leur cheminement et de l’avoir exposé fièrement au jury et aux quelques centaines de personnes du centre de congrès de St-Hyacinthe.
Avant cette présentation devant public, les aspirants défilent deux fois devant nous pour vendre leur salade : une séance brise-glace ad lib de 20 minutes suivie, le lendemain, d’une présentation avec questions-réponses. Déjà, les juges et moi peaufinons nos questions pour éclaircir des sujets – et déstabiliser nos agriculteurs! Comment ont-ils négocié les événements ordinaires et extraordinaires de la vie? Sont-ils sensibilisés à l’équilibre vie-travail? La gestion des risques financiers est-elle optimale? Les entrepreneurs sont-ils prêts à faire face à la menace climatique? Et à la menace trumpiste?
J’ai certainement le plus grand respect pour ces entrepreneurs de moins de 40 ans qui colligent leur histoire pour ensuite se mettre sous les projecteurs. Eux ont été inspirés par d’autres, eux veulent en inspirer d’autres à leur tour dans un « donnez au suivant » qui fleure bon la saine émulation.
Devenir entrepreneur
Les gagnants de l'édition 2025 : Pierre-Luc Barré et Virginie Bourque
Ferme Yves Barré | St-Damase | membre d'Agiska Coopérative
Nait-on entrepreneur ou le devient-on? Oui, Pierre-Luc travaillait à la ferme maraichère plus jeune, mais à des tâches manuelles qui ne l’enthousiasmaient guère. De serveur à aide-mécanicien, il a aussi pensé devenir policier, mais est revenu gérer des projets à la ferme ce qui allumé en lui la flamme de l’entrepreneuriat. En 2012, il a commencé avec 30 acres de pommes de terre pour la frite et 100 000 dollars d’investissement pour amener à la ferme de troisième génération la culture du tubercule – en loam sableux et loam argileux, une rareté en Amérique du Nord mais pas en Europe – qui remplacerait les oignons et les piments forts. Adieu travail manuel!
Aujourd’hui, la ferme compile des quintaux à l’acre qui battent le modèle de production. L’implication syndicale de Pierre-Luc au poste de vice-président de sa fédération spécialisée l’amène à visiter des salons de l’innovation nord-américains et à demeurer à l’affut des marchés. L’entreprise a réalisé des investissements importants pour satisfaire la qualité attendue par ses acheteurs et être plus efficace au champ ou dans la cour : récolteuse automotrice, trieur optique pour épurer la récolte, entrepôts à atmosphère contrôlée d’une capacité de 102 000 quintaux en vrac. Cultiver des patates dans l’argile sans besoin d’irriguer la culture comporte des défis quand il faut intervenir au champ. Habiles, Pierre-Luc Barré et Virginie contournent la texture inusitée de leurs sols par des cultures de couverture variées, un suréquipement pour le sarclage et le renchaussage pour travailler dans des fenêtres réduites de beau temps et l’utilisation de deux drones pour pulvériser contre les ennemis des culture sans compacter le sol. Le plus grand défi de Ferme Yves Barré? La disponibilité des terres pour atteindre une superficie de 500 acres en pommes de terre. Pour cette entreprise située dans le grenier du Québec, la location est souvent plus avantageuse financièrement à court terme.
CroÎtre efficacement
Joachim Gagnon et Émilie Benoît
Darnoc Holstein | L’Isle-Verte | membre d'Unoria Coopérative
Émilie et Joachim ont de riche implications et reconnaissances qu’il serait trop long à détailler ici. Ces complices complémentaires pour leur personnalité se sont rencontrés à l’ITAQ en 2003. Deux ans plus tard, une épreuve secoue leur union, un grave accident qui laisse Joachim sur la touche pendant deux ans. Une autre épreuve met Darnoc à l’épreuve quand une vingtaine de vaches laitières décèdent de mammites à Klebsiella. Pour générer de meilleurs revenus, on instaure les trois traites par jour, ce qui réveille le côté entrepreneurial d’Émilie, la gestionnaire du troupeau. Pour mesurer ses performances, l’entreprise s’astreint aux analyses comparatives. Elle marque des points en ayant très peu de machineries, soit 1,6 million de $ d’actifs de moins qu’une ferme comparable, cela en raison de sa participation active dans la CUMA du Côteau. Bon coopérateur, Joachim agit aussi comme administrateur chez Unoria coopérative, anciennement Agriscar.
Les meilleurs entrepreneurs sont à l’affut des opportunités : quand une ferme laitière voisine vient à vendre, le couple saisit l’occasion. Au fil des ans, le fonds de terre sera multiplié par trois, le quota par huit. On trouve le moyen de réaménager l’étable entravée pour libérer les vaches, installer deux robots de traite et automatiser l’alimentation. Les animaux qui s’adaptent mal à la traite robotisée poursuivent leur carrière en traite manuelle au second site. Dans les deux cas, chaque pied carré est réfléchi dans une optique d’efficacité et de rentabilité. Le passage d’une optique de gestion individuelle à une gestion de troupeau – de la conformation vers la production – s’est fait graduellement pour ces férus de génétique laitière qui rêvent néanmoins d’une vache inscrite à la Royal Agricultural Winter Fair de Toronto et d’un titre de maître-éleveur.
Apprendre le métier
Véronique Pinsonneault et Marc-André Léger
Ferme DuSmith | St-Anicet | membre d'Uniag Coopérative
Quand deux coactionnaires ont décidé de quitter l’entreprise laitière anciennement nommée Ferme Légermau en 2021, Véronique et Marc-André ont plongé dans cette situation déstabilisante malgré une bonne convention entre actionnaires. Le couple gérait davantage les opérations végétales de l’entreprise, mais besognait à l’étable. Pour Véronique, passer d’ouvrière à gestionnaire a constitué un défi entrepreneurial stimulant, elle qui voulait tant devenir vétérinaire plus jeune. La courbe d’apprentissage a été bien maîtrisée en s’entourant d’une équipe d’intervenantes et de travailleurs étrangers qui ont mené la ferme à de hautes performances. La pratique des trois traites quotidiennes a libéré des stalles pour croitre, au même titre qu’on veut, en 2025, sortir les vaches taries pour dégager encore plus de logettes pour poursuivre la croissance. Objectif : 200 kilos de quota!
Au champ, la ferme cultive déjà 960 acres en deux blocs. Du maïs, du soya, du blé de printemps et de la luzerne dont les méthodes d’implantation ont fait la une du Bulletin des agriculteurs. Des superficies en luzerne ont d’ailleurs été remplacées par plus de maïs fourrager pour libérer des acréages précieux dans la région ayant le plus d’unités thermiques au Québec. Ni la surenchère sur le prix de la terre, ni les incertitudes sur la gestion de l’offre n’inquiètent le couple, qui travaille à s’améliorer dans son rayon d’action. La ferme compte un centre de grains avec une balance à camion, équipement utile pour commercer de la semence. Marc-André utilise au mieux les technologies de l’agriculture de précision et s’assure de couvrir 100 % de ses sols pour l’hiver. La renaturalisation d’une ancienne sablière devenue un oasis de biodiversité – hirondelles des rivage, sauvagine, castors et amphibiens y foisonnent – n’est pas étrangère à leur reconnaissance comme Ferme agrEAU environnementale. Autrement, Véronique et Marc-André ont deux enfants qui mordent dans le mode de vie agricole sur une ferme qui reste un lieu de rassemblement – pour y travailler et avoir du plaisir avec enfants et belles-familles.
Pour tout connaître de l'événement et du conconurs, vous pouvez également consulter la page Concours Jeunes agriculteurs d'Élite section Québec.
Photos : gracieusetés du Concours des Jeunes Agriculteurs d'élite du Canada Section Québec