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Adrien Pitre : Vivre et laisser vivre

Unoria Coopérative

Le respect de l’autre dans toutes ses facettes et couleurs est le fondement de la philosophie de vie d’Adrien Pitre.

L’homme de 66 ans a pris la mesure du chemin parcouru et n’a aucune envie de se retirer de l’agriculture ou de l’administration de coopératives. Il travaille au bois, et ses cultures de céréales et de fourrages rythment les saisons qu’il vit chaque fois avec exaltation.

Au conseil d’administration de Sollio Groupe Coopératif, auquel il siège depuis 2016, Adrien Pitre a la conviction de collaborer à l’essor d’un mouvement aux valeurs et aux principes porteurs de sens que l’on doit plus que jamais faire connaître.

Itinéraire

« Je représente la troisième génération dans l’entreprise agricole familiale, dit ce grand homme de six pieds deux pouces au physique athlétique. Mon père avait acheté la ferme de son père dans les années 1950. » Mais Adrien n’a pas toujours eu le feu sacré pour l’agriculture.

Après le secondaire, il s’inscrit au Cégep de Rimouski en mécanique du bâtiment. Il s’en lasse et abandonne les études. Il quitte la campagne pour la ville et besogne quelques années dans la construction. Il sera entre autres foreman dans des shops de truss. « Puis j’ai eu l’appel intérieur de la région, dit-il. Je suis revenu à la ferme au printemps 1980. En embarquant sur le tracteur, dès les premières minutes, en allant herser, la senteur de la terre a déclenché en moi une véritable illumination. Je savais que j’étais à ma place. J’avais 22 ans. Ça n’a jamais été remis en question depuis. » La flamme ne s’était pas éteinte. Il complétera plus tard le programme Gestion des entreprises agricoles au Cégep de Matane (de 1988 à 1989). Adrien est le seul des cinq enfants de sa famille à embrasser la vocation d’agriculteur.

Il rencontre Solange Lavoie un Vendredi saint. C’est le coup de foudre. Ils ne se sont plus quittés depuis. Native d’Amqui, où sa famille avait une entreprise agricole, Solange mènera sa carrière d’infirmière auxiliaire pendant 35 ans et militera 25 ans dans le syndicat pour la défense des travailleurs de la Résidence Marie-Anne-Ouellet de Lac-au-Saumon. « On s’est mariés en 1983. On s’est construit une maison. J’ai travaillé avec mon père jusqu’à ce que j’achète l’entreprise le 1er janvier 1986. On avait une dizaine de kilos de quota. »

Vingt-quatre ans plus tard, en 2010, il délaisse la production laitière, le cœur serré. Un troupeau de qualité. Une production respectable. Une trentaine de Holstein de bonne génétique et autant de quotas. « Mon père avait commencé l’insémination artificielle en 1964 », dit-il.

L’entreprise comptait dans ses rangs quelques Très bonnes. Deux d’entre elles iront concourir à l’exposition d’Amqui. Il lui a fallu faire un choix, car leurs trois garçons (Marc-Antoine, Guillaume et Pierre-Luc) ont choisi des carrières hors de l’agriculture. Deux ont opté pour l’enseignement et le troisième, pour le secteur pharmaceutique. La rupture avec la production laitière a été difficile. Il faudra à Adrien deux années avant d’accepter de se défaire de l’équipement de traite. « J’ai pas été capable. J’adorais les vaches, la production laitière. C’est la partie de mon métier que j’aimais le plus. Ça ne m’a jamais pesé sur le dos. » « Tout d’un coup que j’ai le goût de repartir… », se disait-il alors, hésitant. Il en ressent même un brin de culpabilité face aux générations qui l’ont précédé.

« On n’a jamais fait de pression aux enfants, précise-t-il. On leur a ouvert les horizons. » Le sport (le volley-ball qu’il a lui-même pratiqué avec passion) et de multiples activités de plein air et culturelles ont meublé leur enfance heureuse.

Le plus jeune des trois, professeur d’éducation physique, s’est établi dans leur résidence bigénérationnelle. « J’aime mieux les voir heureux dans ce qu’ils font que malheureux dans ce que j’aurais voulu qu’ils fassent. » Vivre et laisser vivre, lance-t-il!

Ferme PITASO

L’entreprise agricole d’Albertville, une petite municipalité nichée dans la vallée de la Matapédia, a concentré ses activités dans la production de fourrages pour les chevaux (65 ha), de céréales (50 ha) et dans l’exploitation forestière (200 ha).

D’immenses étendues de terres boisées de la Matapédia, ravagées par l’épidémie de tordeuse des années 1970, ont été coupées à blanc puis graduellement replantées d’essences d’épinette. Les belles grandes forêts de la famille d’Adrien, qui n’avaient pas échappé à ce fléau, sont gérées de façon durable. Des coupes sélectives protègent la ressource. Chaque année, de 200 à 300 cordes sont transformées en bois d’œuvre à la scierie de Causapscal.

Les changements climatiques affectent durement ses cultures. Des sécheresses plus fréquentes, plus longues et plus intenses. Des orages de force disproportionnée. De nouveaux insectes ravageurs. Des hivers de pluie et de gel. Des champs, en plein mois de janvier, transformés en miroirs de glace. Afin de réduire sa consommation d’énergie et de préserver la matière organique de ses terres, Adrien pratique le semis direct et le travail minimum du sol dans ses céréales depuis 1998. « Il nous faudrait des variétés plus résistantes aux intempéries et plus d’intrants biologiques pour contrôler les mauvaises herbes et les insectes », espère-t-il.

Exode

Dans les années 1960, jusqu’à 1200 personnes habitaient Albertville. On y dénombrait des dizaines de petites fermes. Il y avait de l’activité agricole dans tous les rangs. L’exode s’est accentué dans les années 1970. « Les jeunes partaient travailler à l’extérieur. » Aujourd’hui, on n’y compte plus que deux exploitations de grande dimension, dont celle d’Adrien Pitre. Les moins bonnes terres agricoles de la paroisse ont été reboisées. Le Garage-Coop d’Albertville, une coopérative de solidarité, continue d’y offrir ses services : un casse-croûte et des réservoirs à essence. L’édifice municipal est toujours bien en place. Un club de motoneige a célébré son 40e anniversaire en 2023. On compte aujourd’hui moins de 300 habitants à Albertville.

Une ferme du Rang 2 que possèdent encore des gars du coin continue d’être cultivée par de nouveaux jeunes entrepreneurs à qui ils la louent. « C’est de toute beauté de voir ça, s’émerveille Adrien. Des bonnes et belles jeunesses. Dans La Matapédia, l’agriculture est entre bonnes mains. Il y a un bon noyau de jeunes motivés et formés qui gèrent et démarrent des entreprises, et qui prennent aussi le temps de faire autre chose que travailler. »

Culture et agriculture

La coopération et l’engagement étaient inscrits dans les gènes des prédécesseurs d’Adrien, qui en a visiblement hérité. « On a toujours été membres de nos coopératives. Depuis qu’elles existent dans nos villages, à Amqui, dans les années 60, nommez-les toutes, on a toujours été coopérateurs. »

En 2003, Adrien s’implique au conseil d’administration de La Coop Matapédienne (il en sera le vice-président quelques années), aujourd’hui Unoria Coopérative, issue de la fusion, en 2022, de La Coop Purdel et de La Coop Agriscar. Il a été un des membres fondateurs de la Coopérative d’utilisation de matériel agricole de la Matapédia, qu’il a présidée de 1993 à 2001, et du Garage-Coop d’Albertville qu’il a contribué à mettre sur pied en 2001. Adrien a été membre fondateur du Syndicat de gestion de la Vallée de la Matapédia-Matane et conseiller municipal d’Albertville de 1990 à 1995.

« Chaque séance du conseil de Sollio Groupe Coopératif exige énormément de lecture et de préparation. Et pour moi, c’est deux fois plutôt qu’une, lance le producteur.  Je lis et je relis tout. J’adore ça! »

Adrien Pitre est également président du comité de gouvernance et coopération de Sollio Groupe Coopératif et membre du conseil d’administration d’Olymel. Ses compétences touchent notamment la gestion des risques, la planification stratégique et les ressources humaines. Ses pairs le décrivent comme un rassembleur naturel. « J’ai une facilité à travailler en équipe. Je suis ouvert aux changements, je veux apporter de la plus-value aux agriculteurs », partage celui qui a terminé sa scolarité d’administrateur de société certifié, une formation offerte par l’Université Laval, où il se présentera pour l’examen final en septembre.

Adrien a des principes dont il ne déroge pas : le civisme, le respect, l’écoute. « J’aime les discussions ouvertes. Je suis pas obligé d’avoir raison, et l’autre est pas obligé d’avoir tort non plus. » L’équité et l’accueil de la diversité colorent également tous ses gestes.

Inspirations

Son père, Joseph Pitre, excellent communicateur, engagé dans de multiples organisations, lui racontait lors de la traite comment s’étaient déroulées les réunions auxquelles il avait participé. Cofondateur de la Société d’exploitation des ressources de la Vallée, le patriarche a contribué au reboisement des terres matapédiennes. Une autre figure influente dans le parcours d’Adrien est Gratien Thériault, un ami et prospère entrepreneur de la région, qui a aussi été maire d’Albertville et a encouragé Adrien à se dépasser, à s’engager.

Adrien est féru d’histoire. L’époque de la Deuxième Guerre mondiale le passionne. Il dévore les documentaires qui en expliquent les complexes tenants et aboutissants. De Gaulle l’a particulièrement inspiré.

Le parcours de René Lévesque, qui a grandi à New Carlisle, non loin du village natal d’Adrien, a aussi été une profonde source d’inspiration. L’illustre politicien, même s’il ne l’a pas connu personnellement, a été pour Adrien une forme de mentor. « Je n’ai rien à cacher, j’ai toujours été indépendantiste », dit-il avec conviction. Économie, politique nationale et internationale, arts, sciences, Adrien s’intéresse à tout. « Ça ouvre les horizons. Ça m’aide, je crois, à être un meilleur administrateur. »

Car les défis sont nombreux. « On est trop réglementé, on est dur avec nos producteurs et nos productions. On lave plus blanc que blanc. Et c’est de plus en plus difficile de faire face à ce qui nous vient de l’extérieur, sans réciprocité. »

Le manque de bienveillance et de reconnaissance à l’égard des travailleurs de tous âges, des enseignants et du personnel du milieu de la santé touche en lui une corde sensible. « Il faut leur faire attention », croit-il. L’appui à la relève agricole et la protection des terres sont aussi au nombre de ses plus grandes préoccupations, tout comme l’avenir de Sollio Groupe Coopératif, de ses divisions et de son réseau de coopératives. L’entreprise, repartie depuis peu sur des bases solides après de très dures années, et ce, grâce à la solidarité de tous, continue de porter sa mission de mieux répondre aux besoins de ses coopératives et de leurs membres, précise Adrien.

Pour l’avenir de sa propre ferme, il laisse les portes grandes ouvertes. « Toutes les options sont possibles », dit-il sans plus de détails.

Lorsqu’il ne siège pas…

Dans ses loisirs, outre les voyages, le volley-ball a fait place au golf. Tout comme pour ses garçons. « Moi, les plus beaux moments de ma vie, c’est quand mes trois gars sont à la maison. Au moins une fois par année, on golfe tous les quatre. On joue deux contre deux, c’est le bonheur total pour moi. » Le bonheur se multiplie lorsque ses trois petits-enfants sont aussi de la partie.

« Je fais une très belle vie. Ça fait que c’est ça, la p’tite histoire. »

Famille d'Adrien Pitre


Sur la photo : Félix (fils de Guillaume et d'Amélie), Marc-Antoine (fils d’Adrien et de Solange), Solange Lavoie, Adrien Pitre, Romy (fille de Guillaume et d'Amélie), Amélie Anctil, Guillaume (fils d’Adrien et de Solange). Absents lors de la prise de la photo : Pierre-Luc (fils d'Adrien et de Solange), sa conjointe Marie-Laurence Dufour et leurs deux enfants, Xavier et Raphaëlle.

Photos par Patric Nadeau

Patrick Dupuis

QUI EST PATRICK DUPUIS
Patrick est rédacteur en chef adjoint au magazine Coopérateur. Agronome diplômé de l’Université McGill, il possède également une formation en publicité et en développement durable. Il travaille au Coopérateur depuis plus de vingt ans.

patrick.dupuis@lacoop.coop

patrick.dupuis@sollio.coop

QUI EST PATRICK DUPUIS
Patrick est rédacteur en chef adjoint au magazine Coopérateur. Agronome diplômé de l’Université McGill, il possède également une formation en publicité et en développement durable. Il travaille au Coopérateur depuis plus de vingt ans.

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