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Dossier GES | Du lisier pour énergiser le Québec

« En convertissant le lisier de nos vaches en biométhane, nous allons non seulement diminuer nos GES, mais fournir une énergie propre aux Québécois », dit Éric Houle, producteur laitier et vice-président de la Coop Agri-Énergie Warwick (CAEW), le premier projet de biométhanisation coopératif agricole au Québec.

Rencontrés dans leur ferme, située à un jet de pierre de Victoriaville, Éric Houle et son épouse, Lise Normand, agronome, comptent à leur actif deux voyages marquants, aux Pays-Bas en 2007 et en France en 2014. En Europe, les autorités se sont tournées depuis belle lurette vers leurs agriculteurs pour produire du biométhane, un combustible 100 % renouvelable. La recette n’a jamais pu être implantée au Québec « à cause du bas prix de l’énergie, qui mine la rentabilité de tels projets », déclare Éric.

Les astres se sont alignés avec la venue d’une femme visionnaire, Sophie Brochu, ancienne PDG de Gaz Métro, devenue Énergir. Sous son leadership, la province s’est dotée en 2019 d’une ambitieuse cible de distribution de biométhane équivalant à 5 % du volume du réseau d’Énergir d’ici 2025. C’est ce qui a fait décoller la filière. Pour le moment, le Québec compte huit projets de biométhanisation, réalisés surtout avec de grandes villes : Saint-Hyacinthe, Laval et Québec.

« Nous avons signé une entente d’approvisionnement de biométhane d’une durée de 20 ans avec Énergir », explique Josée Chicoine, agronome et directrice du développement agroalimentaire à la Coop Carbone. Cette entreprise, avec la contribution de la société Genetic (design et construction), est le maître d’œuvre de la conception et de la réalisation « clés en main » de la CAEW. Celle-ci a nécessité un investissement de 13 millions $. 
Rencontrée sur le site de la CAEW, où l’usine brille comme un sou neuf, Josée Chicoine spécifie qu’un des points cruciaux dans la réalisation d’un tel projet a été « la confiance des producteurs à notre égard », car ce nouveau marché de gaz naturel renouvelable (GNR) intéresse de grands acteurs, dont elle préfère taire les noms. 

La CAEW regroupe 12 producteurs laitiers et de grandes cultures de la région. L’objectif est une réduction de GES correspondant à 1500 voitures par année, soit 6500 tonnes métriques d’équivalent CO2! Lors de la visite du Coopérateur, en juillet 2021, les premiers mètres cubes de GNR venaient d’être injectés dans le réseau d’Énergir.
 

Comment ça fonctionne?

Tout débute à la ferme. Éric Houle et Lise Normand possèdent un troupeau de 100 vaches en lactation. Une partie du lisier sert à fabriquer de la litière. L’autre partie, entreposée dans la préfosse, est pompée dans un camion deux fois par semaine. Ce même camion décharge sa livraison à quelques kilomètres, sur le site de la CAEW. Là, le lisier est mélangé avec des boues municipales, des déchets de papetières, du petit lait de fromageries et même des pommes de terre déclassées de la société Yum Yum, établie à Victoriaville.

Côté volume, la CAEW prévoit traiter annuellement 50 000 tonnes métriques de matières premières, dont la moitié provenant des producteurs agricoles. Ce mélange est ensuite acheminé dans un hydrolyseur, qui agit comme un estomac humain. Les bactéries y dégradent les plus grosses molécules. Puis le mélange est acheminé dans le biodigesteur, qui agit, lui, comme un gros intestin. C’est là que se produit le biométhane. Cette digestion dure environ 25 jours, et l’usine fonctionne en continu. 

Ce biogaz primaire contient entre 60 et 65 % de méthane, du CO2 et des impuretés. Il doit être purifié à 97 % minimum de méthane avant d’être injecté dans le réseau d’Énergir. « Énergir a des exigences extrêmement élevées, dit Josée Chicoine. L’entreprise ne peut se permettre d’avoir des clients mécontents, parce qu’ils n’arrivent pas à allumer le gaz quand ils cuisinent. »

Si l’intérêt des consommateurs est de bénéficier d’un GNR à bon prix tout en réduisant les GES, celui des producteurs repose sur la matière résiduelle de l’usine, le digestat.

Valoriser le digestat

Pour les 12 membres de la CAEW, outre les futures redevances sur la vente d’énergie, une partie importante de leur intérêt est dans la valorisation du digestat comme engrais naturel. « Le rendement de mon investissement repose en partie sur l’utilisation du digestat pour diminuer ma facture d’engrais minéraux », dit Éric Houle, qui a investi 100 000 $ dans la coopérative. Ce dernier prévoit récupérer sa mise en une dizaine d’années.

Lorsque le digestat quitte l’usine pour être livré chez les membres de la coopérative, il n’a presque plus d’odeur et il est pratiquement inerte, le processus ayant tué 95 % des pathogènes. « Ça ressemble à de la terre noire liquide », dit Éric Houle, devant une ancienne fosse à purin de sa ferme où sont entreposés plusieurs milliers de gallons du nouveau fertilisant. Une première application, supervisée par un agronome de la CAEW, a eu lieu dans un champ de luzerne. 

Aux yeux des autorités, ce digestat possède, en raison de sa composition de différentes matières, un statut de matière résiduelle fertilisante (MRF), strictement règlementé par le ministère de l’Environnement. Une étude de valorisation agronomique de cet engrais, d’une durée de deux ans, est prévue dès 2022, en collaboration avec l’Institut de recherche et de développement en agroenvironnement (IRDA). Il s’agit de valider la composition (entre autres de N-P-K) de cette nouvelle MRF produite par la coopérative, ainsi que son taux d’assimilation par les plantes.  

Une autre retombée positive

La technologie développée par la CAEW permet aussi de séparer la partie solide de la partie liquide du digestat brut. Ce qui pourrait constituer un énorme avantage dans certaines régions grandes productrices de porcs, comme la Beauce, la Montérégie ou Lanaudière. « En concentrant 80 % du phosphore dans la fraction solide du digestat, ce produit pourrait être exporté plus facilement que du lisier brut vers des régions où l’équilibre phosphore est moins précaire », explique Josée Chicoine. 

L’agronome indique que deux autres projets de biométhanisation sont dans les cartons de la Coop Carbone. L’un d’eux devrait être annoncé au cours des prochains mois.

Photo de Nicolas Mesly : Éric Houle et Lise Normand, propriétaires de la Ferme Érilis.

Nicolas Mesly

QUI EST NICOLAS MESLY
Nicolas Mesly est reporter, photographe et agronome (agroéconomiste). Les associations de presse du Canada ont récompensé son travail journalistique et photographique à plus de vingt reprises. Il est chroniqueur économique, entre autres à la radio de la Société Radio-Canada.

nicolas@nicolasmesly.com

QUI EST NICOLAS MESLY
Nicolas Mesly est reporter, photographe et agronome (agroéconomiste). Les associations de presse du Canada ont récompensé son travail journalistique et photographique à plus de vingt reprises. Il est chroniqueur économique, entre autres à la radio de la Société Radio-Canada.