
Raccourcir la mise en marché pour augmenter les profits et produire des aliments au goût du jour, c’est le virage qu’ont amorcé les jeunes de la Ferme Pomerleau & Frères, Sylvain Pomerleau et Andréanne Berthiaume.
Accrochée sur ses collines appalachiennes, la ferme des Pomerleau était porcine à 84 %, bovine à 9 %, acéricole à 4 % et végétale pour le reste : bois d’œuvre, foin, pâturages et céréales sur 125 ha. Depuis trois ans, cependant, cette entreprise – que menaient jadis Michel Pomerleau et Louise Parent et qui a été transférée à leur fils Sylvain – a beaucoup changé. Virage vers les petites boucheries, la restauration et les consommateurs via des paniers de produits, voilà le fruit de la réflexion de la nouvelle génération : Sylvain, diplômé en production porcine, et sa douce, Andréanne, agronome de formation. « Mon deuxième congé de maternité a été un bon moment de réflexion pour l’avenir de la ferme », explique cette dernière.
Déjà en 2019, quand elle a été finaliste au Prix établissement et transfert de ferme, l’entreprise savait qu’elle vendrait les truies pour se concentrer sur la finition : 1320 places-porcs, 3000 porcs produits en tout plein, tout vide à partir de porcelets du Regroupement porcin des Deux Rives (RP2R). « Moins de pression au quotidien », voilà les mots qui résument l’état d’esprit des prédécesseurs et des successeurs face à la lourdeur de l’insémination et de la mise bas des truies. Du coup, une porcherie vieillissante a été démantelée; une autre a été convertie en étable pour héberger des bouvillons, des taureaux et des génisses; et dans une dernière, les anciennes chambres de mise bas ont été modifiées en chambres… de croissance végétale!
Champignons et verdurettes
Après mûre réflexion, Andréanne a fait son choix de quitter La Coop comme experte-conseil en agroenvironnement et en élevage équin pour plonger dans des semaines bien chargées, où il faut, détaille-t-elle, « récolter les lundis, emballer les mardis, livrer les mercredis, semer les jeudis, arroser une journée sur deux et… toutes autres tâches connexes les vendredis »!
Son entreprise, MycoPousse, loue des espaces à la Ferme Pomerleau pour cultiver sans pesticides des pleurotes en forme d’huître, du mesclun, des pousses et des fines herbes vendus en paniers hebdomadaires aux consommateurs (mi-octobre à mi-juin), à des épiceries et à des restaurants gastronomiques. Une proximité avec les mangeurs qu’apprécie Andréanne, malgré les défis continuels et le stress d’être entrepreneure, d’assurer aussi bien production que commercialisation. « Montrer ce qu’on fait nous rend fiers! » justifie-t-elle, radieuse. Ce modèle d’agriculture verticale offre donc une seconde vie aux espaces inoccupés de la ferme porcine, réaménagés avec des étagères de culture illuminées aux lampes à DEL. L’économie circulaire s’invite même dans son modèle d’affaires, puisque les gâteaux de racines de pousses font le délice des porcs forestiers qu’élève Sylvain. Sortons voir ça!
Porcs forestiers et bœufs à l’herbe
Si les truies Yorkshire-Landrace ne peuplent plus la maternité, elles ont été remplacées par trois valeureuses Mangalitza, une race hongroise de porc laineux. Rustiques, les truies produisent des sujets bien adaptés au grand air, dans un bout de forêt de la ferme. Sylvain a tout de même aménagé un abri rudimentaire, chauffé uniquement aux lampes infrarouges. Et la viande? Avec un gras dorsal et un persillage qui n’ont pas de commune mesure, le goût de la viande de porcs rustiques se démarque grandement – c’est l’appréciation de Sylvain, mais aussi des bouchers qui travaillent sa viande pour la vendre directement aux consommateurs –, quelque chose comme une viande sauvage qui rappelle le sanglier. Des porcs conventionnels sont aussi élevés, et ils s’adaptent surprenamment bien aux conditions à la fois adverses et agréables de la nature appalachienne. Dans tous les cas, Sylvain redécouvre le comportement joueur et curieux des porcs placés dans un environnement naturel.
Pour ce qui est du troupeau bovin, il compte toujours ses 65 vaches Simmental-Angus, avec un brin de Charolais. La nouveauté, c’est qu’une dizaine de veaux d’embouche sont gardés pour être finis en bouvillons à l’herbe fraîche et au foin. Encore une fois, la viande qui en résulte se distingue – et pas besoin d’analyses de profils d’acides gras insaturés oméga-3 pour l’attester!
Change, change pas
L’entreprise a donc beaucoup changé. Même sur le plan humain? Sylvain, qui n’avait qu’un seul dimanche de congé toutes les deux semaines, s’offre des fins de semaine « plus familiales », aux dires d’Andréanne. Son homme – « qui n’était jamais là, mais jamais loin, et qui réapparaissait aux repas », déclarait Andréanne en 2019 – est plus disponible. La qualité de vie s’est donc accrue. « Je ne me verrais pas ailleurs », atteste l’intéressé.
Pour Louise et Michel, la liberté d’action a augmenté, malgré la pandémie, et le sentiment de culpabilité a fondu, même si la maison a une vue imprenable sur les bâtiments, le garage et les champs – bref, l’ouvrage, qui n’a jamais de fin. Ce qui ne veut pas dire « oisiveté », puisque Louise, ex-employée chez Desjardins, prend toujours plaisir à faire la comptabilité, alors que Michel s’adonne volontiers aux travaux forestiers et acéricoles (rappelons que l’érablière, avec son quota de 20 000 lb de sirop, n’a pas été morcelée des terres de la ferme pour l’offrir aux prédécesseurs).
Malgré le transfert sans intérêts échelonné sur 15 ans, transfert qui est toujours en cours – Sylvain a acquis 51 % des actions en 2016 et deviendra propriétaire unique en 2031 –, le 8e Rang d’Inverness est resté le point d’ancrage, le quartier général des relations familiales une fois le déconfinement covidien prononcé. Au printemps, c’est la cabane à sucre. L’été, la piscine. Et le reste de l’année, l’univers des Pomerleau gravite autour de la cuisine!
Afin de souligner plus de vingt ans à célébrer la relève agricole, Sollio Groupe Coopératif a créé une série de vidéos.
Découvrez celle de la Ferme Pomerleau & Frères.
Photo de Christophe Champion