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La Jambonnière : Cajun, polonaise ou à la provençale

VIVACO groupe coopératif

Ils les élèvent, les transforment et les commercialisent. Leur slogan « Fameux et délicieux » est court et en dit long sur le positionnement de Porcherie Marigro, alias La Jambonnière. Au menu : des découpes fraîches et des charcuteries, notamment… et 60 variétés de saucisses!

À Saint-Rémi-de-Tingwick, le féminin l’emporte. « Ils », c’est « elles » : Lyne Groleau et Marco Couture ont réussi le tour de force d’intégrer quatre de leurs filles dans l’entreprise. La progéniture n’a pas chômé en acquérant des expertises utiles pour l’œuvre familiale. Alors que Caroline a étudié à l’université en agroéconomie et Audrey en agriculture au collégial, leurs sœurs Marie-Ève et Cynthia se sont inscrites en sciences et technologie des aliments et en gestion, respectivement. Une cinquième sœur, l’aînée Marie-Pier, spécialiste des ressources humaines, prodigue des conseils pour l’entreprise familiale qui compte 25 employés en plus de saisonniers pour assurer une présence à des événements et à des marchés publics.

Les sœurs mentionnent que l’entreprise est à un moment décisif de son existence, révélé par un exercice de plan stratégique dûment mené. Malgré l’inflation et les coûts d’intérêt, arrivera-t-on à construire la nouvelle maternité en bandes toutes les quatre semaines prévues en 2022 et dont les plans sont couchés sur papier? Quels sont les éléments différenciateurs de l’offre? Veut-on transformer plus de porcs chaque semaine, donc agrandir l’usine de transformation et éviter le croisement du cru et du cuit dans les lieux, ou continuer de diversifier la mise en marché en vendant 60 % des animaux à Olymel? À ces questionnements fondamentaux s’ajoutent des questions plus banales sur la logistique, la nouvelle construction à double fonction (lavage des camions et salle mécanique), le choix de nouveaux équipements pour faciliter la production – un jambon injecté de saumure par une machine sophistiquée est-il par définition moins artisanal que celui injecté à la main?

En aval de la production

C’était en 1992. Après leurs études collégiales et un passage à l’emploi de La Coop des Bois-Francs, aujourd’hui Vivaco groupe coopératif, Marco et Lyne prennent la relève de la ferme porcine familiale de cette dernière. Dès 1998, et devant des menaces de réduction du soutien gouvernemental des revenus agricoles, le tandem part en France visiter des marchés publics et des entreprises qui transforment à la ferme. Le projet mijote, on esquisse un plan d’affaires puis, en 2004, on lance La Jambonnière, l’une des premières unités de transformation à la ferme au Québec. Avant de lancer l’entreprise, le couple fait transformer à forfait ses porcs pendant un an et les écoule lui-même au Marché Godefroy (Bécancour), ce qui diminue les risques, permet de tâter le marché et d’expérimenter le service à la clientèle.

Bond dans le temps : ces jours-ci, c’est le programme d’accompagnement Accélérateur local d’IGA qui occupe les sœurs. Ayant pour mission de stimuler l’innovation et de mettre plus de Québec dans nos paniers, ce programme a recruté, un peu à la manière de l’émission Les Dragons, 17 entreprises pour sa première cohorte, dont La Jambonnière qui planche sur des produits de créneau qui feront sensation. « Ça nous permet d’obtenir des conseils personnalisés pour développer un produit et l’offrir dans tous les magasins », explique Cynthia. Positionnement, emballage, mise en marché, distribution : tout est passé en revue par les marchandiseurs de la bannière. « De la recette aux tablettes, des tablettes aux assiettes, notre porc continuera à voler la vedette », a écrit Caroline sur le compte Facebook de La Jambonnière.

Ce programme a permis à la famille de peaufiner son accroche narrative (storytelling) pour parler de son histoire – « De père en filles depuis trois générations » – et de son produit sur les médias sociaux ou dans son infolettre – « Qu’il soit frais ou fumé, tranché ou transformé, vous trouverez assurément la pièce qui vous fera saliver ». On a aussi rajeuni l’image de marque avec un logo d’un rose assumé et des photos léchées de la famille et de chaque produit au catalogue. À ce titre, une boutique en ligne permet maintenant aux clients de commander des pièces de choix pour satisfaire leurs envies carnivores. Accélérer la croissance, valoriser la qualité du porc et générer plus de retombées financières, voilà les objectifs des coactionnaires. Des découpes de porc persillées, de la bavette de porc, des saucissons à l’ail, de la terrine aux canneberges centricoises, des jambons pour trois à quatre ou même 12 à 15 personnes! Créer de la valeur, c’est aussi vendre à 3,50 $ l’unité des os fumés qui n’ont pas leur pareil pour embaumer une recette! Ajouter de la valeur, c’est valoriser les fesses, les flancs, les épaules et les longes, allant jusqu’à utiliser des découpes nobles pour faire des lanières, pratique possible puisque les pièces plus économiques sont transformées.

Un hache-viande à bascule plus ergonomique, un poussoir à saucisses automatisé, un injecteur à saumure à courroie pour faire du jambon plus facilement : l’usine se modernise et se standardise, mais perd-elle son âme artisanale? Non, répondent les copropriétaires, car les équipements s’adaptent à la qualité désirée. « On utilise une nouvelle ligne d’injection, mais on ajuste la pression pour ne pas déchirer les muscles, explique Marie-Ève. Le goût d’antan qu’on recherche, ce n’est pas que marketing, c’est aussi technique. »

« Beaucoup d’éleveurs sont tentés de faire la transformation et la mise en marché de leurs animaux, mais combien restent en affaires? », s’interroge Marco, motivateur en chef du clan. « Durant la pandémie, les restaurateurs n’achetaient plus d’aliments. Aujourd’hui, les consommateurs budgètent davantage. Il faut être prêt à faire face à ces variations et à trouver de nouveaux débouchés pour éviter les surplus. »

En amont de la transformation

Même si l’entreprise ajoute de la valeur à 40 porcs par semaine, elle ne ménage pas les efforts en amont pour produire un maximum de porcelets, comme en attestent ses deux Groins d’argent obtenus en 2022. Dans la catégorie maternité, on a réussi à sevrer annuellement 30,11 porcelets par truie productive, bon pour le premier prix. Dans la catégorie naisseur-finisseur, l’indice combiné a permis de décrocher la deuxième place. « Lyne et Audrey ont un sixième sens pour ressentir les paramètres d’ambiance et repérer les tout-petits qui ne vont pas bien », observe Jean-François Blais, leur expert-conseil du Regroupement porcin des Deux rives (RP2R).

Porcherie Marigro élève 160 truies gérées à la semaine, ce qui complique les opérations et les vides sanitaires, mais permet de produire 100 porcs par semaine. Les porcs, qu’ils soient pour La Jambonnière ou Olymel, ont la même génétique, la même alimentation, mais un poids d’abattage différent – plus léger pour La Jambonnière, à 100 kg. Les truies gestantes sont élevées en parc depuis toujours. Si l’engraissement a encore de bonnes années devant lui, car construit en 2012, la maternité a été rénovée, mais date de 1977. Le projet serait de porter la nouvelle installation à 300 truies, ce qu’autorise déjà le certificat d’autorisation environnementale.

Parlons saucisses

« On fabrique des saucisses depuis 2004, explique Lyne. Nos saveurs évoluent. Par exemple, notre saucisse cajun d’aujourd’hui est beaucoup plus extrême qu’avant parce que les gens aiment davantage le piquant. Nous n’utilisons pas de mélanges d’épices préfabriquées : que de vrais ingrédients! Pour certaines, on fabrique même des bouillons pour rehausser encore plus les saveurs. » Cynthia renchérit : « Oui, les tendances changent. Aujourd’hui, les gens recherchent des saveurs funky comme poutine, Mac N’Cheese, tacos. »

Quand on leur demande de quoi sera fait demain, l’une des sœurs répond : « D’audace et d’ambition ». Il en faudra pour asseoir la prochaine génération avec des décisions autrement plus difficiles que celle d’inventer de nouvelles saveurs de saucisses. Mangue-coriandre, whisky-BBQ… audace-ambition!

Photo par Exposeimage

Étienne Gosselin

QUI EST ÉTIENNE GOSSELIN
Étienne collabore au Coopérateur depuis 2007. Agronome et détenteur d’une maîtrise en économie rurale, il œuvre comme pigiste en communication et dans la presse écrite et électronique. Il habite Stanbridge East, dans les Cantons-de-l’Est, où il cultive le raisin de table commercialement.

etiennegosselin@hotmail.com

QUI EST ÉTIENNE GOSSELIN
Étienne collabore au Coopérateur depuis 2007. Agronome et détenteur d’une maîtrise en économie rurale, il œuvre comme pigiste en communication et dans la presse écrite et électronique. Il habite Stanbridge East, dans les Cantons-de-l’Est, où il cultive le raisin de table commercialement.