Aller au contenu principal

S’impliquer, bon pour le moral, bon pour l’agriculture

Photos : Christophe Champion

Même si parfois on a l’impression que 24 heures dans une journée, ce n’est pas suffisant pour tout faire à la ferme, certains producteurs prennent de leur temps pour s’impliquer dans leur collectivité.

S’impliquer est un geste beaucoup plus commun qu’on pourrait le penser. Selon Statistique Canada, environ la moitié des Canadiens avaient consacré du temps à leur collectivité en 2010, et les retombées ainsi créées avaient bénéficié ensuite à une multitude de personnes.

Donner de son temps fait partie de l’ADN des producteurs agricoles, qu’il s’agisse de prêter mainforte au voisin, de participer à un projet pour faire avancer la science ou encore d’assister à la réunion annuelle de différentes associations du milieu.

C’est ce qui fait aussi la force de l’agriculture, qui peut compter sur les compétences et la disponibilité de nombreuses personnes, que ce soit dans le réseau La Coop ou ailleurs. Certaines d’entre elles ont toutefois poussé leur implication au-delà du domaine agricole. C’est le cas de Jean-Marc Ménard et de Valérie Fortier.

 

De l’agriculture à la politique

Valérie Fortier est productrice laitière à Saint-Valère, localité d’environ 1300 personnes. Mais n’allez surtout pas lui dire que ce qu’elle fait est remarquable ou vaut la peine d’être souligné. « Si tu ne t’impliques pas, tu ne peux pas changer les choses », fait-elle valoir pour expliquer son implication. Conseillère municipale depuis l’automne dernier, elle travaille encore à maîtriser son nouveau rôle, mais dit apprendre rapidement. Une fois élue, elle a pu compter entre autres sur une formation pour l’initier aux rouages de la ville.

La productrice ne cultivait pas d’ambition politique. Ce fut pour elle une complète surprise quand le maire sortant est venu lui demander de se présenter aux élections. Elle a fait campagne en allant de porte en porte pour se faire connaître.

Valérie n’en est pas à ses premières armes en tant que porte-parole et représentante de ses pairs. Elle a été active dans différents conseils d’administration à l’époque où ses enfants étaient plus jeunes et le demeure présente dans plusieurs autres, dont le conseil  de l’UPA secteur St-Valère, des Producteurs de lait secteur Victoriaville et ses environs, en plus d’être déléguée pour Agropur. Elle  occupe aussi le poste de présidente des Agricultrices du Centre-du-Québec.

Pour elle, il est nécessaire d’assister aux différents conseils « pour faire valoir ses idées; et si une idée n’avance pas, on sait au moins pourquoi en posant des questions ».

Jean-Marc Ménard cumule pour sa part une expérience longue de 40 années de syndicalisme et de militantisme dans diverses causes, que ce soit à Agropur, l’UPA , plusieurs coopératives locales ou différents organismes de sa région. Il est surtout fier du Club Agro Acton qu’il a fondé et co-dirige toujours avec son complice dans plusieurs organismes, Pierre Thibeault.

Dans le cas de M. Ménard, on pourrait même parler d’une histoire de famille puisque son père a figuré parmi les premiers membres d’Agropur et un de ses fils a repris le flambeau. 

Ce producteur de lait, âgé maintenant de 70 ans, connaît depuis longtemps le pouvoir du groupe par rapport à l’individu et la valeur du don de soi. Il a d’ailleurs mis à profit ses connaissances en devenant conseiller municipal du village de Sainte-Christine. Il a exercé ce rôle pendant 16 ans, avant de devenir maire l’an dernier. « Le syndicalisme est une bonne école, et c’est la même chose pour le rôle d’administrateur. On apprend à écouter les gens et on a le même objectif, que ce soit comme maire ou délégué : c’est de faire travailler le monde. »

 

Donner de son temps et de son expérience

Jean-Marc et Valérie mènent tous deux des vies occupées. Le premier est toujours actif à la ferme, qui s’est diversifiée avec les années. En plus de ses vaches laitières, la famille possède une porcherie et un peu plus de 240 ha (600 acres) de terres, et elle offre des services de pulvérisation à forfait. Les deux fils de Jean-Marc Ménard travaillent à la ferme, et deux de ses petits-fils y donnent un coup de main.

Valérie gère sa ferme laitière avec son père, qui en est copropriétaire. En tant que successeure, elle a appris à faire sa place comme chef d’entreprise, et elle a dû assumer encore plus de responsabilités depuis le décès de son mari. Aujourd’hui, elle a un nouveau conjoint, qui prévoit de reprendre la ferme avec elle. Valérie s’occupe à la fois des tâches de la ferme et d’une famille recomposée de cinq enfants, âgés de 6 à 12 ans.

Être femme en agriculture comporte quelques défis, et elle a parfois dû mettre les points sur les « i » pour faire savoir qui prenait les décisions. Une situation qui s’est représentée une fois qu’elle a été élue. Seule femme et seule agricultrice au conseil municipal, elle travaille à amener « les gars de son bord ». « On apporte un point de vue différent, une manière de faire et de penser différente », indique Valérie. Étant bien au fait de la situation en agriculture, elle maîtrise ses dossiers et cherche à faire partager sa perspective des choses.

Ce qui ne veut pas dire que tout est facile. Valérie n’hésite pas à parler de choc de cultures quand elle raconte son expérience à la mairie. Elle donne à titre d’exemple le débat sur les impôts municipaux. Dans bien des villes, les taxes imposées aux fermes ont bondi, une situation que Valérie explique par la méconnaissance de la réalité agricole. Elle a remis les pendules à l’heure, tout en expliquant aux gens de sa ville le rôle de l’agriculture dans leur vie de tous les jours. « Qui va te faire manger s’il n’y a plus de ferme? »

Malgré le fait qu’il ait été bien connu dans sa municipalité, Jean-Marc Ménard a lui aussi dû faire campagne avant les élections municipales. « C’est de l’ouvrage, les élections, mais c’est enrichissant de connaître les besoins des gens. » Il observe que les liens se sont distendus entre les pouvoirs locaux et l’agriculture, « qui est pourtant un des moteurs économiques les plus importants en région et qui fournit des emplois », souligne-t-il. Il plaide pour une meilleure connaissance des maires du monde agricole.

Pour ce producteur, dans le plaidoyer pour l’agriculture, on doit aussi tenir compte de la manière de faire passer le message. « Il ne faut pas arriver avec ses grosses bottines pour changer le monde. Il faut faire preuve de diplomatie et de bonne volonté, ce qui peut être compliqué et se faire lentement. L’important, c’est de donner les bonnes informations, de ne pas créer d’affrontements et d’avoir de bonnes intentions. »

 

jmn

La relève dans l’implication, un défi à venir

Bien que de nombreuses personnes s’impliquent, et de manière croissante, c’est une minorité qui en fait le plus, rapporte Statistique Canada. En 2010, 53 % de l’ensemble des heures de bénévolat consacrées à des organismes de bienfaisance et sans but lucratif l’avaient été par 10 % seulement des bénévoles.

Jean-Marc Ménard constate que le temps disponible à la ferme se comprime avec les années. Il est de plus en plus compté, surtout l’été, pour faire les tâches. « Les jeunes courent tout le temps. Il faut être efficace aujourd’hui. » C’est difficile pour les jeunes de s’impliquer, constate-t-il. Les mœurs ont changé; on veut passer plus de temps en famille et moins à l’extérieur.

Il est trop facile de dire « qu’on n’a pas le temps », selon Valérie, qui a amené ses bébés aux conseils d’administration et les a allaités durant les réunions. « Tous mes enfants font du sport une fois par semaine, et je prends le temps d’aller voir leurs spectacles. Il y a parfois des trucs qui peuvent attendre. » Comment y arrive-t-elle? « Il faut lâcher prise, que ce soit sur le ménage ou autre chose. Il faut de l’organisation, prévoir les repas. Ma mijoteuse est ma meilleure amie. »

Jean-Marc Ménard plaide pour l’implication, que ce soit dans le municipal ou ailleurs. « Il faut du monde de l’agriculture dans la communauté. Avec un petit groupe, on peut être capable d’influencer pour défendre l’agriculture. »

S’impliquer apporte aussi d’autres bienfaits, comme de nombreuses études le démontrent : il renforce l’estime personnelle, développe les capacités, permet de créer un réseau social, réduit le stress et l’anxiété, et procure du bien-être.

À ceux qui songeraient à s’impliquer, Valérie lance ce message : « Si on a le vouloir et l’intérêt, ça va se faire tout seul. Il faut penser qu’on ne profitera pas personnellement du temps donné à différentes organisations, que ce sont d’autres qui récolteront les fruits de nos efforts. » Elle cite des dossiers défendus par les Agricultrices du Québec, comme celui du Régime québécois d’assurance parentale, maintenant offert aux travailleurs autonomes après plusieurs années d’efforts. « Il faut voir plus loin que son entreprise. Tu le fais parce qu’il y a un besoin, pour la génération plus jeune, et parce qu’il faut penser aux autres. »

Céline Normandin

QUI EST CÉLINE NORMANDIN
Détentrice d’une maîtrise en science politique, Céline est journaliste-pigiste auprès du Coopérateur. Et ce n’est pas par hasard si elle se retrouve aujourd’hui à couvrir le secteur agroalimentaire puisqu’elle a grandi sur une ferme laitière. Sa famille est d’ailleurs toujours active en agriculture. 

celine.normandin@videotron.ca

QUI EST CÉLINE NORMANDIN
Détentrice d’une maîtrise en science politique, Céline est journaliste-pigiste auprès du Coopérateur. Et ce n’est pas par hasard si elle se retrouve aujourd’hui à couvrir le secteur agroalimentaire puisqu’elle a grandi sur une ferme laitière. Sa famille est d’ailleurs toujours active en agriculture.