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La gestion des conflits à la ferme

« J’en fais toujours plus. » « Il veut agrandir la ferme, mais pas moi. » « On ne peut plus se sentir. » Les conflits en entreprises, familiales et agricoles de surcroît, sont nombreux. Et ils peuvent faire bien des ravages.

On en discute avec Pierrette Desrosiers, psychologue, conférencière et coach d’affaires spécialisée auprès des entreprises agricoles, qui présente quelques solutions pour mieux gérer les différends.

Coopérateur : D’abord, pourquoi est-ce important d’aborder la gestion des conflits dans les entreprises familiales et agricoles?

Pierrette Desrosiers : Au Québec, les statistiques indiquent qu’il y a environ 14 % des entreprises familiales, tous secteurs confondus, qui vont passer le cap de la troisième génération. Quatre-vingt-dix pour cent des échecs seraient reliés au facteur H, c’est-à-dire le facteur humain. Les conflits prennent une très grande place.

La famille, elle, est un peu un catalyseur. Lorsque tout va bien, la famille est comme de l’engrais pour le sol. Mais lorsqu’il y a des conflits, elle devient plutôt un parasite pour l’entreprise. Quand on pense au monde agricole, on ajoute une couche parce qu’on est proche. Il y a très peu de limites et de frontières.

Avant de s’impliquer dans l’entreprise familiale, quels sont les éléments de base qu’on devrait considérer?

P : On tient pour acquis que, parce qu’on vient d’une même famille, ça va fonctionner. C’est un très grand mythe. Je dis souvent qu’à la base, on doit avoir un capital émotionnel et de la confiance. Ce sont des éléments essentiels au succès, mais non suffisants.

1. Un capital émotionnel

On doit avoir de l’amitié et éprouver un capital émotif pour son associé. Si on ne s’entend pas et qu’on se dit qu’on va faire des affaires ensemble puisque c’est une entreprise familiale, c’est pratiquement voué à l’échec.

2. La confiance

Quand il n’y a pas de confiance, tout ce qui sera fait ou pas va passer à travers un filtre de méfiance. Il faut aussi avoir du respect et être reconnaissant pour l’autre, apprécier ses qualités et accepter ses travers.

Quelles sont les sources de conflits?

P : On pourrait les diviser en deux grandes familles qui sont des vases communicants : les conflits structurels et organisationnels, et les conflits relationnels.

  1. Les conflits structurels et organisationnels

Les rôles et responsabilités
C’est quand on a trop de responsabilités, qu’on n’aime pas son travail ou qu’on ne se sent ni valorisé ni reconnu. Parfois, les rôles et responsabilités des uns et des autres se chevauchent : on se marche sur les pieds ou les tâches ne sont pas claires.

Le pouvoir et le contrôle
C’est lorsque l’on perçoit qu’une autre personne a plus de pouvoir ou de contrôle que soi, et ce, même si l’autre ne voit ou ne ressent pas cela. La perception d’une situation est plus importante que la réalité.

Les normes
Ce sont les normes pour les gens qui travaillent ou vont travailler dans l’entreprise. Par exemple, quand les enfants arrivent, quels seront leur salaire, leurs congés, leurs conditions? Qui sera le superviseur? On doit établir des règles claires dès le départ, pour tout le monde, quitte à les réviser ponctuellement.

L’argent
Certains vont vouloir investir davantage dans le troupeau et dans le quota. D’autres, dans les champs. Ou encore, l’un veut investir dans l’entreprise alors que l’autre aimerait en avoir un peu pour lui, parce qu’il est fatigué de prendre de l’expansion.

La vision de l’entreprise
Parfois, on n’a pas la même vision de l’entreprise et de son orientation. Une personne veut augmenter la taille du troupeau et l’autre non. Il n’y a pas de modèle meilleur qu’un autre. Mais c’est comme dans un couple : si l’un veut plusieurs enfants et que l’autre n’en veut pas, ça ne marchera pas!

  1. Les conflits relationnels

L’autre grande catégorie est celle des conflits relationnels. Ils peuvent découler, bien sûr, d’un manque de structure, mais pas toujours.

L’envie et la jalousie
Les rivalités dans la fratrie peuvent sérieusement compliquer les choses dans les entreprises familiales. Ça vient souvent d’enfants qui ont cru, à tort ou à raison, que leurs parents avaient un favori. Ces vieux conflits non réglés de l’enfance finissent par se retrouver dans l’entreprise.

La différence de valeurs
Par exemple, pour certains, c’est l’entreprise en premier, et pour d’autres, c’est la famille. Il peut aussi y avoir des problèmes de confiance en l’autre ou des perceptions d’iniquités.

Les conflits générationnels
Quand on se retrouve avec deux générations, les parents et les enfants ne sont pas toujours rendus au même endroit. Ils n’ont pas la même énergie ni, peut-être, les mêmes valeurs.

Les conflits liés à la communication
On ne communique pas assez bien. Ou, quand on communique, on se heurte et on se blesse.

La gestion du stress
Quand on en a trop à faire, qu’on travaille trop, qu’on est fatigué et épuisé, on a la mèche courte. Les stresseurs et les conflits émergent alors parce que notre assiette déborde.

Les problèmes de santé mentale
Les problèmes de santé mentale représentent un sujet vaste et complexe qui mérite une attention particulière. Pour en résumer l’impact, on peut dire qu’ils agissent souvent comme un catalyseur qui amplifie ou précipite d’autres problèmes dans la vie d’une personne.

Quelles sont les stratégies qu’on peut mettre en place pour mieux gérer les conflits?

Déterminer les sources
Tout dépend d’où vient le conflit. La première étape, c’est de cerner où ça fait mal. Ensuite, on se demande sur quoi on voudrait travailler en premier, en poursuivant toujours deux objectifs : atteindre la productivité et le bien-être.

Réviser la vision et la mission
Pour y arriver, on évalue d’abord la vision et la mission de l’entreprise. Les partenaires sont-ils d’accord? Ensuite, on s’attarde aux rôles et aux responsabilités de chacun, puis on se donne des règles de fonctionnement : les congés, les salaires, les avantages, etc.

Communiquer
J’amène aussi les gens à être plus à l’aise à parler ensemble. Communiquer ne réglera pas tout. Mais il faut être capable de jouer cartes sur table et de parler des enjeux, des attentes et des préoccupations de façon respectueuse. Il est important de prévoir du temps pour se parler, comme lors des réunions.

Se connaître
D’un point de vue individuel, les entreprises qui réussissent se démarquent par la connaissance de soi de leurs gestionnaires. Ces dirigeants ont développé des habiletés au niveau des relations humaines. Ils prennent la gestion des conflits très à cœur, connaissent leurs forces et leurs faiblesses et ont appris le respect, l’empathie et la tolérance.

Accepter et tolérer l’autre, et s’améliorer
D’un point de vue humain, il y a aussi trois grandes stratégies qui réduisent les risques de conflits :

  1. Accepter l’autre comme il est, avec ses forces et aussi ses travers, sans en faire de cas.
  2. Tolérer les petits travers de l’autre, même s’ils nous dérangent un peu. En se rappelant que nous ne sommes pas parfaits non plus.
  3. Travailler sur ses propres travers pour s’améliorer. Par exemple, quand on collabore avec quelqu’un et qu’on sait que, pour l’autre, une chose est importante, on peut accepter de faire des efforts. On n’arrivera pas à se transformer au complet. Mais si chacun fait des efforts, ça peut être suffisant pour faire une bonne équipe.

Il y a beaucoup de stratégies qu’on peut utiliser. Mais il faut tous travailler sur nous-mêmes pour arriver à mieux travailler en équipe.

 

Vous voulez en savoir plus à ce sujet? Écoutez Pierrette Desrosiers vous en parler dans cet épisode du Coopérateur audio!

Illustration : iStock.com | DrAfter123

Stéphanie McDuff

Stéphanie est Rédactrice et chef de la production numérique pour le Coopérateur. Diplômée de l’Université du Québec à Montréal, elle est détentrice d’un baccalauréat et d’une maîtrise en études littéraires. 

Stephanie.McDuff@sollio.coop

Stéphanie est Rédactrice et chef de la production numérique pour le Coopérateur. Diplômée de l’Université du Québec à Montréal, elle est détentrice d’un baccalauréat et d’une maîtrise en études littéraires.