Administratrice : pourquoi pas moi?

Cathy Fraser, administratrice chez Sollio Groupe Coopératif, partage son parcours inspirant et les défis du leadership féminin en milieu coopératif.

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Illustration d'une femme faisant un discours pleine d'assurance, alors qu'elle est en panique

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Stéphanie McDuff

Rédactrice et cheffe de la production numérique pour le Coopérateur

Diplômée de l’Université du Québec à Montréal, elle est détentrice d’un baccalauréat et d’une maîtrise en études littéraires.

Mesdames, vous a-t-on déjà proposé un rôle pour lequel vous vous êtes dit : « Pourquoi moi? » Saviez-vous qu’il est improbable que les hommes se posent la même question? La conséquence probable : il y a moins de femmes dans les postes de haute direction et dans les conseils d’administration (CA) de nos coopératives.

Au cours d’une récente entrevue avec Cathy Fraser (voir « Cathy Fraser : La dame de la coopération » dans l’édition de septembre 2024), l’administratrice aux CA de Sollio Groupe Coopératif et de Novago Coopérative a affirmé que faire un pas vers un conseil d’administration n’avait pas été une évidence à ses yeux.

« Ç’a été un peu une surprise, raconte-t-elle. C’est une autre administratrice qui m’a dit : “Pourquoi pas toi?” “Moi? T’es sûre?” C’est à ce moment-là que je me suis dit : “Ah oui! Je vais essayer.” Puis on a fait, lors d’un Colloque des coopératrices, une simulation de présentation pour avoir le poste. C’est là que j’ai réalisé que j’avais l’appui de certaines femmes dans le groupe et que ça pouvait réellement être ma place. Je n’ai jamais douté que je serais bonne, mais je n’avais pas vu par moi-même que c’était une opportunité. »

Quand on n’est pas née dans le milieu agricole, la marche semble encore plus haute. « J’ai longtemps eu le syndrome de l’imposteur, ajoute celle qui est administratrice depuis maintenant dix ans. Je me disais : “Pourquoi c’est moi qui suis là et pas une agricultrice née?” »

Finalement, c’est une conférence de Janie Duquette, autrice du livre Les 7 clés du leadership féminin, qui aura été pour elle le déclic. « Elle dit qu’il faut arrêter de vouloir imiter le leadership des autres et qu’on doit trouver son propre leadership, ajoute l’administratrice. Et je me suis dit que c’était ça que j’avais à apporter : ma différence, mon œil extérieur, en questionnant par l’innocence. »

Un problème réglé. Vraiment?

En 2024, on a tous déjà entendu des commentaires qui remettent en question les combats féministes. Voyons, c’est déjà réglé! Les femmes peuvent faire ce qu’elles veulent : on ne les empêche pas de se réaliser et d’entrer dans les conseils d’administration ou d’obtenir des postes prestigieux, disent certaines personnes.

C’est sans doute vrai, rien n’empêche concrètement les femmes de poser leur candidature. Mais sont-elles, elles, convaincues d’avoir leur place dans les hautes sphères? « Parfois, c’est inconscient, explique Cathy Fraser. On ne se rend pas compte qu’on ne va pas d’emblée postuler à un poste. »

Le syndrome de l’imposteur est un phénomène identifié pour la première fois en 1978 par Pauline Rose Clance et Susanne Imes, dans le cadre d’une étude faite auprès de 150 femmes diplômées qui exerçaient des métiers prestigieux et étaient reconnues pour leurs compétences. Ces femmes brillantes ne considéraient pourtant pas qu’elles avaient réussi. Elles expliquaient leur situation par des facteurs externes comme le hasard ou la chance, alors que d’autres personnes aux mêmes échelons revendiquaient plutôt leurs compétences et leur travail acharné comme la source de leur réussite.

« Ça témoigne, certains diraient, d’une insécurité des femmes. Moi, j’aurais tendance à dire que ça témoigne du peu de reconnaissance répétée que reçoivent les femmes dans leur milieu concernant leur expertise », explique Hélène Lee-Gosselin, professeure émérite au département de management de la Faculté des sciences de l’administration de l’Université Laval et directrice de l’Institut Femmes, Sociétés, Égalité et Équité, dans un article publié sur le site de Radio-Canada.

« C’est vrai qu’il y a de plus en plus de femmes qui arrivent dans des milieux et elles ne se sentent pas jugées. Mais ça dépend beaucoup du tempérament de chacune, ajoute Cathy Fraser. Moi, je me suis toujours sentie à ma place partout. Ça ne veut pas dire que je n’ai pas hésité à postuler quelque part. »

Les femmes auraient d’ailleurs tendance à attendre d’être « prêtes » et parfaitement compétentes avant de poser leur candidature, alors que les hommes se lancent dès qu’ils maîtrisent seulement 20 % des compétences exigées.

« Nous [les femmes], on va tout le temps se dire que, sur les dix aptitudes demandées, il nous en manque une, donc on n’essaiera pas. Alors qu’eux [les hommes] se diront qu’ils sont les candidats idéaux », précise l’administratrice.

Pour s’affranchir des limites inconscientes et sociales, le travail passe donc d’abord par soi. « C’est vraiment beaucoup du travail sur soi qu’il faut faire, conclut Cathy Fraser. Arrêtez de dire que vous avez une trop grosse charge mentale. C’est vous qui vous la donnez. Ce n’est pas à vous de donner le bain aux enfants tous les soirs, de faire tous les repas ou de tous les prévoir. Et ce n’est pas grave s’ils mangent un Kraft Dinner un soir, une fois de temps en temps. C’est à vous de vous libérer de ça. »

Bref, la prochaine fois qu’une occasion de briller se présente et que vous vous dites « Pourquoi moi? », changez la question. Dites-vous plutôt : « Pourquoi pas moi? »

Références
Maud Navarre, « D’où vient le syndrome de l’imposteur? », Sciences Humaines, https://bit.ly/Navarre-Syndrome
Carolle-Anne Tremblay-Levasseur, « Le syndrome de l’imposteur, la source du doute féminin au travail », Radio-Canada, https://bit.ly/RC-Imposteur

Cet article est paru dans le Coopérateur de novembre-décembre 2024.

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