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Urgences 9-1-1, fermes laitières en feu!

Comment deux fermes laitières, parmi les plus exceptionnelles quant à la qualité génétique de leur troupeau, ont-elles pu se relever après des incendies dévastateurs? En faisant preuve d’une grande résilience, en transformant un désastre en occasion opportune… et en changeant sensiblement leur philosophie d’élevage.

 

Holdream : le rêve se poursuit!

De 2011 à 2017, le troupeau Holdream s’est distingué au Canada par la meilleure MCR combinée. Mais par un samedi bien ordinaire de septembre 2018, les frères Étienne et Guillaume Lessard n’avaient pas ces faits d’armes en tête : leur ferme brûlait.

Les incendies restent parfois des mystères, mais pas celui de la Ferme Holdream Holstein. Le pompier-enquêteur qui a inspecté les restes du brasier est catégorique : l’incendie n’était pas d’origine électrique. « On avait de l’électricité, car on était en train de traire les vaches vers 18 h 30 quand un voisin est venu nous dire qu’il y avait de la fumée à l’étage, raconte Guillaume Lessard. La vacherie brûlait au-dessus de nos têtes! » L’origine du feu proviendrait de l’explosion du moteur d’un chariot élévateur à balles rondes, un équipement presque neuf acquis un an auparavant pour manutentionner la paille de la porcherie d’engraissement des frères Lessard (3500 places-porcs en mode biologique).

Si les frères n’ont pas eu connaissance de l’embrasement sur le coup, ils ont vite constaté l’horreur de la situation quand le plastique recouvrant le plafond s’est mis à fondre et à couler sur les vaches à la traite. Trente minutes plus tard, la boule de feu qui illuminait le ciel de Saint-Honoré-de-Shenley, où les deux trentenaires avaient repris ensemble la ferme familiale en 2006, s’effondrait sur elle-même, à l’aide d’une pelle mécanique se trouvant sur place.

L’étable avait été agrandie l’année d’avant (42 places supplémentaires). Et les frères étaient passablement fatigués de leur dernière année, fertile en activités, comme l’excavation d’une nouvelle fosse à lisier et l’achat d’érablières, pour porter le total d’entailles à 27 000. La conjointe de Guillaume, Johannie, devait même accoucher du deuxième enfant du couple quatre jours après l’incendie! « J’ai été très impressionné par la grande capacité des gars à prendre des décisions rapidement dans les heures et les jours suivant l’évènement », dit Gilles Boutin, directeur des ventes de La Coop Alliance.

Jamais les Lessard n’ont hésité en ce qui concernait leur désir de reconstruire. S’ils ont vu 3 millions $ partir en fumée, ils se sont résolus à en investir 5 millions pour redémarrer, d’abord en visitant des fermes robotisées en Suède et aux Pays-Bas. Mais il était clair pour eux que ce redémarrage allait marquer de profonds changements dans leur approche de la production laitière, à commencer par les modes de stabulation (libre) et de traite (robotisée). « Nous sommes maintenant axés sur la production laitière en quantité et en qualité, ce qui ne veut pas dire que nous négligeons la génétique », précise Étienne Lessard. La ferme ne fera donc plus de contrôle laitier. L’automatisation des tâches marque aussi la philosophie de l’entreprise, qui engage des travailleurs étrangers temporaires. « On peut maintenant fonctionner à seulement deux personnes », dit Étienne.

Le patrimoine génétique a pu être reconstruit à même le préfixe de la ferme, car 11 vaches ont été rescapées en catastrophe, 30 vaches taries broutaient à l’extérieur, 195 taures et 30 veaux étaient dans d’autres bâtiments protégés des flammes. La vache élue coup de cœur Holstein Québec en 2018, HOLDREAM SHOOTLE RIDA (EX-91 3E 4*), était heureusement au pâturage le jour du drame. Malgré tout, il a fallu acheter quelque 150 taures de trois mois, à l’âge de la saillie, pour prévoir une reprise graduelle de la production, qui se chiffre à 259 kg de quota. Actuellement, on ne compte que 20 % de vaches multipares.

La ferme est donc hypermoderne. D’ordinaire, on budgète 10-15 % de dépassement de coûts : les Lessard sont arrivés à seulement 5 % – ils ont même ajouté des équipements imprévus. En plus des robots de traite, on trouve donc une station d’entraînement et d’alimentation pour les taures, un système d’analyse du lait en temps réel (Herd Navigator), un panneau pour automatiser la fabrication et la distribution de la ration par convoyeurs-nourrisseurs, un système de recyclage du fumier en litière, des ventilateurs axiaux qui reproduisent une ventilation tunnel, mais dans la largeur de l’étable, dont les murs sont équipés de toiles.

On trouve même des extincteurs placés stratégiquement!

 

karona

Karona, à nouveau maîtresse de son destin

C’est une ferme sacrée non pas une mais bien deux fois Maître-éleveur, en 2000 et 2014. Comment peut-on se motiver à redémarrer un élevage quand 66 vaches, dont 25 classées Excellente, s’écroulent, inertes, et périssent?

« Quand on entrait dans l’ancienne étable de la famille Caron, on pénétrait dans une sorte de petit musée où s’alignaient les certificats, les prix, les trophées. Tout a brûlé », se désole Francis Bilodeau, technologue de VIVACO, qui accompagne les Caron dans leurs plus beaux jours comme dans leurs plus sombres.

Le 5 avril 2018, il faisait tempête. Comme il manquait d’électricité, on a branché un tracteur à la génératrice avant d’aller dîner. En quelques minutes, les vents aidant, la façade de l’étable à comble mansardé était complètement embrasée. Des dizaines de bons samaritains sont venus prêter main-forte dès les premiers instants, sortant les 10 vaches les plus près du foyer de l’incendie et 32 taures, ainsi que le biostat d’azote liquide contenant des paillettes de semence et 40 bons embryons. Les certificats et les trophées? On n’y pense pas trop dans ces moments où tout défile comme dans un mauvais film…

Il a fallu contenir les vaches par un cordon humain, car, c’est bien connu, lors d’évènements stressants, les animaux d’élevage recherchent leur repère rassurant, soit l’étable. Les heures et les jours suivants, les Caron ont reçu de l’aide de leur communauté, des repas et des gâteries pour traverser la tempête – au sens figuré, celle-là. « Nous ne nous sommes pas morfondus longtemps », assure Pierre-Olivier Caron, fils de Pierre, qui ne travaillait dans la ferme familiale que depuis trois ans quand l’improbable s’est matérialisé.

À l’époque, les fermes de la région de Plessisville étaient passablement engorgées de vaches en surplus. C’est donc à la Ferme Counard, à Saint-Éphrem-de-Beauce, que les 10 rescapées ont trouvé refuge. Des taures ont aussi été relogées dans une exploitation voisine, la Ferme Brassard et Fils, où 35 vaches ont commencé ou terminé leur lactation. Il aura fallu racheter 25 vaches à quatre éleveurs. Déjà, les résultats de deux rondes de classification des animaux de première lactation sont prometteurs, avec 1 vache à 87 points, 4 à 86 points et 20 classées Très Bonne.

C’est donc le 20 août 2019 que les bras robotisés s’animaient pour extraire le lait, lors d’une première traite sous haute surveillance. Aujourd’hui, 84 vaches comblent les 115 kg de quota. La nouvelle ferme est lumineuse, fonctionnelle, confortable. Elle est conçue pour accueillir jusqu’à 120 vaches et produire 160-180 kg de quota. Avant de statuer définitivement sur un plan, les Caron ont visité une cinquantaine de fermes avec robots au Québec et en Ontario. « C’est important de prendre le temps de reconstruire, pour ne rien regretter », dit sagement Pierre Caron.

Père et fils ont finalement opté pour un modèle à disposition en « L » des deux robots de traite, dont la devanture est assez vaste pour éviter les embouteillages. Un espace à l’arrière des robots permet de trier et d’isoler des vaches après leur passage à l’automate. Des convoyeurs-nourrisseurs, des logettes flexibles, des brosses rotatives, des ventilateurs recirculateurs d’air, des allées tapissées de caoutchouc, une litière de sable et une zone de vêlage paillée complètent l’ensemble de ce nouveau temple pour futures vaches de renommée.

Ah oui : de nouvelles plaques de Maître-éleveur fraîchement étampées sont accrochées au mur à l’entrée de la nouvelle étable de Karona. Elles y sont bien en évidence, comme un hommage aux vaches qui ont permis cette reconnaissance exceptionnelle, celles qui ne sont plus aujourd’hui.

 

Lire l'article complet dans l'édition d’avril 2020 du Coopérateur.

Étienne Gosselin

QUI EST ÉTIENNE GOSSELIN
Étienne collabore au Coopérateur depuis 2007. Agronome et détenteur d’une maîtrise en économie rurale, il œuvre comme pigiste en communication et dans la presse écrite et électronique. Il habite Stanbridge East, dans les Cantons-de-l’Est, où il cultive le raisin de table commercialement.

etiennegosselin@hotmail.com

QUI EST ÉTIENNE GOSSELIN
Étienne collabore au Coopérateur depuis 2007. Agronome et détenteur d’une maîtrise en économie rurale, il œuvre comme pigiste en communication et dans la presse écrite et électronique. Il habite Stanbridge East, dans les Cantons-de-l’Est, où il cultive le raisin de table commercialement.