Santé ruminale et santé financière vont de pair à la Ferme Jéritin. La clé : de bons fourrages. Fourrages riches, ferme prospère!
À Saint-Bruno, que mangent les vaches JÉRITIN? Principalement du maïs fourrager, du foin demi-sec, des vitamines et minéraux et une moulée pour vaches au robot de traite. La production de la base fourragère, l’aliment économique par excellence, fait l’objet de nombreuses réflexions stratégiques, et les actions s’orientent en ce sens.
Mario Tremblay, ses filles Annabel et Sandrine et son gendre Marc-Olivier Girard s’attellent à produire des fourrages de haute qualité pour occuper le rumen sans le surtaxer, convertir les nutriments sans en offrir en excès, répondre aux besoins nutritionnels et tabler sur le haut potentiel génétique des vaches noir et blanc.
Des étables et des hommes
À l’automne 2017, on a commencé à utiliser une vacherie ultramoderne : trois robots de traite, un vaste parc de vêlage, des logettes bien paillées. À l’étroit dans son étable de plain-pied datant des années 1990, la famille a imaginé un nouveau bâtiment, après trois années à cogiter. L’étable précédente, qui héberge les taures et les taries, a permis de traire 100 vaches et de produire 130 kg de quota. Elle est encore reliée à la plus ancienne, celle de Jean-Claude, père de Mario. Trois étables, trois époques, trois générations!
Financièrement, la nouvelle vacherie, c’était serré, a calculé Anne St-Onge, agronome du Groupe multiconseil agricole Saguenay–Lac-Saint-Jean, qui conseille la ferme depuis 2007. Raison : on a construit pour produire jusqu’à 270 kg de quota – alors qu’on en produit actuellement 187. Pour Mario, il n’était pas question d’abattre des murs et de recouler du béton dans quelques années. Présentement, les trois robots cumulent 35 % de temps libre. À deux robots, la proportion n’aurait été que de 6-7 %. Il fallait donc un troisième « bras canadien », image-t-il.
Aujourd’hui, même si quatre personnes fournissent huit bras, l’activité laitière occupe 2,2 UTP (unités de travail-personne; 1 UTP = 3000 heures par année). En comparaison, le groupe de tête en traite robotisée au sein des groupes conseils agricoles a besoin de 3,1 UTP, pour sensiblement le même nombre de vaches par travailleur. Avec les robots, on maintient trois traites quotidiennes, pour 37,5 kg de lait par jour. « On produit 40 % plus de lait avec 0,5 UTP en moins par rapport à quand les vaches étaient attachées », s’enthousiasme Marc-Olivier. « Les robots, c’est un nouveau monde, prévient Mario : il ne faut pas penser qu’on ira chercher 10-15 litres de plus par jour automatiquement! »
Pour justifier le projet de construction, il fallait donc hausser les revenus et plafonner le taux de charges à 55 % afin d’assurer une capacité de remboursement. « L’alimentation représente 40 % du coût de production du lait, rappelle Anne St-Onge. C’est un poste essentiel si on veut accroître les profits. Chez Jéritin, 53 % des dépenses sont imputables aux fourrages, 47 % aux concentrés. L’entreprise, qui présentait un coût d’alimentation légèrement plus élevé que la moyenne avant la nouvelle étable à robots, figure maintenant dans le groupe de tête. Le coût de production des fourrages se situe, bon an mal an, à 10 $/tonne de matière sèche de moins que le groupe! »
Pour les concentrés, Anne St-Onge chiffre le coût à 13,41 $/hl (vaches en lactation et vaches taries), alors que la moyenne provinciale (traite robotisée) est de 15,22 $/hl. « L’entreprise dégage une marge alimentaire [pour les vaches] de 13,35 $/kg de matière grasse produite – dans les meilleures au Québec! » calcule Richard Blackburn, agronome de Nutrinor et « chef cuisinier » du troupeau. Les concentrés offerts au robot, d’environ six kilos par jour par vache, sont moindres. Ces moulées de deux formulations différentes présentent 20 % en protéine et une dégradabilité différenciée. Le changement de l’une à l’autre a lieu vers les 150 jours de lactation. Richard Blackburn évalue que la ferme a économisé 20 000 $ en 2020 en servant des fourrages de meilleure composition!
Circonscrivons les rotations
Après quatre années de prairies (70 % luzerne, 30 % fléole) fauchées trois fois l’an, on fait place à deux années de maïs fourrager, suivies de deux années d’orge, le deuxième semis étant grainé pour rétablir des prairies luxuriantes. Tout ce végétal foisonne sur 245 ha.
Les prairies sont gérées en quatre parcelles de 15 à 25 ha, riches en phosphore et en potassium en raison d’un pondoir voisin. Avec des faucheuses latérale et frontale et une presse rotocut, on fauche et presse 100 acres par jour pour fabriquer un foin demi-sec à 50 % d’humidité, qui sera boudiné.
Généralement, la première coupe, moins protéinée et plus riche en mil, est réservée aux jeunes animaux. Les deuxième et troisième, quand la luzerne prédomine, ont une teneur de 22-24 % en protéine et de 30 % en fibre ADF. Récolter au bon moment est crucial. « On fauche la luzerne Althea à regain rapide tous les 32-35 jours », soutient Mario. Rappelons que, pour chaque jour passé à se demander s’il ne faudrait pas faucher, la protéine diminue de 0,5 % et la fibre ADF augmente de 0,5 à 1,0 %!
Pour le maïs-ensilage, on joue de prudence avec des variétés hâtives, 200 à 250 UTM de moins que celles de la région. Oui, le rendement s’amoindrit, compensé par une qualité optimale rendue possible en hachant au meilleur stade (15-20 septembre), en visant 35 % de matière sèche, sans se faire prendre par le gel hâtif ou des sols gorgés d’eau matraqués et compactés pour des années. À la récolte, Richard conseille sur l’ajustement des rouleaux craqueurs de la fourragère pour optimiser la digestibilité de l’amidon.
Enfin, la ferme bâtit des stocks pour laisser les fourrages fermenter pleinement, pour des aliments stables et plus riches en protéines solubilisées, ce qui évite des changements sensibles ou drastiques dans la ration et le contenu ruminal.
Balade au champ
C’est jour de drainage. Fin octobre, il fait encore noir que déjà l’équipe embauchée s’active sur les pelles mécaniques et la dérouleuse. « Le champ avait été drainé dans les années 1970 », se remémore Mario. Pas assez profonds, les drains en terre cuite n’avaient plus l’efficacité d’antan, surtout dans les sols argileux et organiques de la ferme.
À quelques mètres des pelles, la famille se rassemble dans la luzernière. Mario, 56 ans, assure encore la comptabilité – rares sont les hommes cinquantenaires qui comptabilisent! – et la gestion des champs. Annabel besogne à la ferme et siège au conseil d’administration de Nutrinor. Sandrine, enceinte d’un troisième, s’occupe tant à la maison qu’à l’étable. Marc-Olivier, originaire de Métabetchouan–Lac-à-la-Croix et diplômé en électromécanique, a essayé de ne pas travailler en agriculture, mais en vain! Trempé dans l’élevage laitier durant sa jeunesse, il gère le troupeau. Quand la Ferme Jéritin s’est trouvée à court d’un employé, il s’est porté volontaire. Signe qu’on l’a parfaitement intégré, il détient aujourd’hui 30 % de l’actionnariat. Dès son arrivée, on l’a initié à la gestion financière. Produire du lait et des fourrages, oui, mais générer des avoirs, encore mieux!
Photo : Étienne Gosselin