
Le succès n’est pas tombé du ciel à la Ferme Chantal. Il est le fruit d’un travail acharné et d’un perpétuel souci du détail.
Alors que l’appellation de leur entreprise laisse penser le contraire, leur nom de famille et leur accent trahissent que les Broenimann ne sont pas des Québécois de souche. Mais quand on entend Hans-Rudolf parsemer son discours de astheure et de icitte, on comprend vite que le couple originaire de Suisse s’est merveilleusement bien adapté à sa terre d’accueil même s’il ne parlait pas un mot de français à son arrivée.
Une rencontre québéco-suisse
Venus de Suisse en 1980 avec leurs parents respectifs, Hans-Rudolf Broenimann et Rosmarie Fuchs ne forment pas encore un couple quand ils mettent le pied en sol canadien. Ils ne se connaissent même pas. Leurs familles font partie de la vague d’agriculteurs suisses qui ont choisi de s’installer au Québec à cette époque. Les Broenimann s’implantent à Sainte-Perpétue dans le Centre-du-Québec tandis que les Fuchs s’établissent dans la municipalité de Lyster, à 90 km de là.
C’est en 1984, au hasard d’une soirée, qu’Hans-Rudolf et Rosmarie se rencontrent et que le charme opère. Et quelques années plus tard, ils se marient. Le tandem opère la Ferme Chantal en compagnie des parents de Hans-Rudolf jusqu’à la retraite de ces derniers en 1996.
Agrandir pour les taures
Le troupeau s’agrandit au fil des années pour atteindre 58 vaches. En 2017, l’étable est déjà remplie au maximum de sa capacité. Aucune expansion supplémentaire n’est possible sans agrandissement des bâtiments.
Hans-Rudolf Broenimann a une solution en tête. Il envisage l’installation d’un robot de traite, ce qui lui permettrait de traire davantage de vaches sans engager de main-d’œuvre. Or, l’expert qu’il consulte pour concevoir le plan de réaménagement de l’étable lui déconseille de se lancer dans ce projet. « Il m’a carrément dit : “Oublie le robot de traite. Tu aimes trop les animaux. Tu vas te lever dans la nuit pour aller à l’étable. Tu vas te brûler” », raconte Hans-Rudolf. L’éleveur met donc son projet d’expansion sur la glace.
Rosmarie Broenimann propose alors à son mari de faire venir un travailleur étranger en renfort. Quelques mois après l’arrivée de leur premier employé guatémaltèque, Hans-Rudolf a un déclic. « Je me suis dit : au lieu d’agrandir pour les vaches, je vais agrandir pour les taures. » De ce fait, il pourra amener les animaux de relève sur le site même de la ferme, car pour l’instant, ceux-ci sont toujours logés sur un site voisin, générant une somme de travail considérable dédiée à transporter les bêtes d’un bâtiment à un autre.
La perle rare des travailleurs étrangers et la relève
Les travaux ont donc lieu et un second travailleur guatémaltèque arrive à la ferme en 2018 pour remplacer le premier. « La perle rare », déclare Rosmarie. Wilden Perez est travaillant et surtout, autonome. Les Broenimann peuvent lui confier la traite sans inquiétude. « L’autre jour, je lui ai montré nos résultats de qualité du lait (< 100 000 leucocytes par ml de lait) et je lui ai dit que c’était en grande partie grâce à lui, car il fait tout seul deux des trois traites. Il était très fier », confie Hans-Rudolf.
En plus de Wilden Perez, le couple a aussi l’aide de sa fille Édith qui est venue s’établir à Sainte-Perpétue avec l’objectif éventuel de reprendre la ferme familiale avec son conjoint. « Nous étions très contents qu’elle revienne dans la région, car elle travaillait et habitait à Québec depuis un moment », explique Rosmarie. Si bien qu’avant le retour inespéré de leur fille, les Broenimann avaient même envisagé sérieusement d’intégrer une relève non apparentée pour assurer la continuité de l’entreprise qu’ils ont mis tant d’efforts à bâtir.
Savoir bien s’entourer
Alexandre Beauchemin, technologue et expert-conseil ruminants pour Covris Coopérative, a suivi le troupeau des Broenimann pendant six ans. Il avoue qu’il caressait le rêve d’avoir la Ferme Chantal comme cliente dès son embauche à la coopérative. « Hans et Rosmarie sont des producteurs qui m’inspirent, dit-il. Ils travaillent fort au quotidien pour obtenir du succès et font partie des très bons éleveurs laitiers de la région. Ils méritent d’être connus. »
Le conseiller a dû persévérer pour bâtir une relation de confiance avec eux puisqu’ils faisaient affaire avec le même fournisseur concurrent depuis une vingtaine d’années. Avec une bonne communication et sa volonté d’amener l’entreprise des Broenimann encore plus loin, il les a finalement convaincus de travailler avec lui. « C’est une question de confiance et de communication, soutient Hans-Rudolf. Il faut que ça clique. Et avec Alexandre, ça a cliqué. Même chose pour Jean-Michel. »
L'agronome Jean-Michel Laroche est l’expert-conseil qui a pris le relais d’Alexandre Beauchemin auprès des Broenimann. Il connaissait déjà bien la Ferme Chantal et savait qu’il aurait affaire à un éleveur d’élite. « Une de ses forces est son sens de l’observation », déclare-t-il en faisant référence à Hans-Rudolf. Il sait toujours si une vache ne va pas bien ou n’a pas mangé dans la journée et il réagit aussitôt. La rapidité de réaction, c’est un gage de succès. »
Être proactif et à l'affût des signes
Le producteur s’empresse de préciser : « Le thermomètre ne ment pas. S’il y a un problème avec une vache, je téléphone au vétérinaire qui me dit comment intervenir. Le lendemain, le problème est presque toujours réglé sans que le vétérinaire ait eu à se déplacer. »
Lors d’un changement dans l’alimentation (p. ex. : le remplacement d’un ingrédient par un autre), Hans-Rudolf est encore plus attentif à ses vaches, mais surtout à leur fumier qui pourrait lui indiquer un éventuel problème avec la ration. Lorsqu’il passe à une nouvelle coupe d’ensilage, il n’hésite pas à en faire analyser un échantillon afin de pouvoir apporter des ajustements s’il y a lieu. Il communique aussi constamment avec son expert-conseil pour le consulter et l’informer sur les changements apportés, ce qui permet à ce dernier de réagir rapidement au besoin.
Jean-Michel Laroche avoue que son travail serait beaucoup plus facile si tous les producteurs agissaient ainsi avec proactivité, transparence et souci du détail.
S'impliquer dans le milieu agricole
Chaque changement est réfléchi à la Ferme Chantal. Lectures, visites de ferme, échanges avec des confrères éleveurs et des experts du domaine laitier : Hans-Rudolf exploite toutes les sources d’information dont il dispose pour prendre des décisions éclairées.
Il insiste sur l’importance de s’impliquer en dehors de la ferme et de côtoyer d’autres producteurs laitiers pour avancer. « Ce n’est pas parce que ta ferme va bien que tu ne peux pas apporter des changements qui vont te permettre de t’améliorer, affirme-t-il. Les discussions entre éleveurs sont la source d’une tonne d’information gratuite et de nouvelles idées et peuvent t’amener à te questionner sur tes pratiques. »
Hans-Rudolf Broenimann déplore que la relève ne profite pas davantage de ces ressources en s’impliquant dans le milieu. « Le manque de temps n’est pas vraiment une excuse valable. Avec les outils virtuels et les réunions en ligne, c’est maintenant facile de participer à des rencontres », soutient-il. Lui-même est actif dans les cercles d’éleveurs laitiers depuis près de 40 ans. Il siège actuellement comme administrateur au sein du conseil d’administration de Holstein Québec en plus d’être président de la Vente Classique et membre du comité organisateur de l’Expo-printemps du Québec. De plus, il s’est auparavant impliqué plusieurs années au sein du Club Holstein Centre-du-Québec.
Un gros changement - de 2 à 3 traites
Le passage de deux à trois traites en décembre 2020 est un changement qui a été mûrement réfléchi à la Ferme Chantal. La ferme ne remplissait pas son quota laitier, mais l’étable ne permettait pas d’accueillir davantage de vaches. C’est Alexandre Beauchemin qui a proposé l’option de la troisième traite aux producteurs qui en ont pesé le pour et le contre. Ces derniers ont également consulté leur employé puisqu’il serait directement affecté par la décision.
Soutenus par leur entourage, ils ont finalement fait le saut et ne le regrettent pas. « Je ne fais jamais de changement sans appui extérieur, avoue Hans-Rudolf. C’est donc rare que j’investisse dans quelque chose et que ça ne me rapporte pas. »
Le moins que l’on puisse dire, c’est que les Broenimann en ont parcouru du chemin depuis 40 ans. Ils ont créé une entreprise prospère et monté un troupeau d’élite. « Quand on s’est installés ensemble, notre rêve était d’avoir une vache excellente et maintenant on en a 11! » déclare Rosmarie. Il ne manque maintenant plus qu’un titre de Maître-éleveur pour couronner leurs efforts!
Photo par Nancy Malenfant : Voilà cinq ans, le tandem Broenimann est devenu le trio Broenimann-Perez lorsque Hans-Rudolf et Rosmarie ont décidé de faire appel à un travailleur étranger pour leur prêter main-forte. Wilden Perez, originaire du Guatemala, est devenu l’homme de confiance du couple et il revient année après année travailler à la Ferme Chantal.