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Ferme Au vieux moulin : Un neveu heureux!

« Il a fallu apprendre à nous pardonner pour rebâtir le lien de confiance entre nous tous », confient Josée Morin et Harry Reber, actionnaires de l’entreprise laitière Ferme vieux moulin, en voie d’établir leur neveu Olivier Reber. Un établissement dont la première tentative a échoué, après quatre années d’essai. Histoire d’un recommencement. 

« C’est connu, lance Harry Reber : dans un transfert de ferme, très souvent, le jeune est pressé et veut tout changer, alors que le vieux est lent à déléguer et à s’ouvrir au changement. » Âgé de 57 ans, cet agriculteur de Notre-Dame-de-la-Salette ne s’en cache pas : « La maturité émotionnelle des deux parties n’y était pas au moment du premier essai. » 

L’arrivée, en 2010 

Lorsqu’il a terminé son DEP en production laitière, Olivier Reber était censé travailler quelques années à l’extérieur de l’exploitation familiale – à laquelle son père, Remond, a été associé pendant 12 ans avec son oncle et ses grands-parents. Or, le départ inattendu de l’employé de ferme a modifié les plans. Olivier et son oncle Harry, devenu seul actionnaire de l’entreprise, conviennent qu’il y travaillera à titre de salarié, avant d’avoir des titres de propriété. « J’avais 19 ans et ma propre vision : maximiser la production de lait en diminuant la taille du troupeau, explique le jeune agriculteur d’origine suisse. Même s’il n’avait plus de titres de propriété, mon père travaillait avec moi, et nous avions la pleine responsabilité de la gestion du troupeau et d’un quota de 67 kg. » 

Avec son père, Olivier se met à la tâche et gère à sa façon. La vision de son oncle Harry, basée sur l’optimisation des pâturages et sur des vêlages saisonniers, n’est pas optimale, selon lui, et il décide de changer la régie du troupeau. « On ne se parlait pas beaucoup, dit Olivier. On faisait notre travail, mon père et moi, convaincus de notre méthode et des résultats. » Une tension s’installera graduellement entre Harry, son frère et son neveu. Résultat : au bout de quatre années, Harry convoquera ses parents, son frère et son neveu pour leur présenter les résultats de l’entreprise – et, en même temps, demander à Olivier de se retirer de la ferme. Une pilule difficile à avaler pour toute la famille.

La famille Reber

Le départ, en 2015 

« Cet épisode a grandement affecté les relations familiales, raconte Olivier. Presque deux ans se sont écoulés avant que je parle à nouveau à mes cousins, mon oncle et mes grands-parents. » De leur côté, Harry et sa conjointe, Josée, vivent l’évènement avec beaucoup de tristesse. « Comme la plupart des agriculteurs, on travaille avec l’espérance de pouvoir un jour transmettre la ferme, dit Harry. C’est plus fort que nous, c’est dans notre mentalité. Constater que cette continuité risquait d’être compromise nous a donné un choc. » Des choix ont dû être faits en conséquence. Josée prendra la décision de quitter son emploi et de travailler à temps plein à la ferme. Le quota sera réduit de moitié, et l’organisation du travail davantage automatisée.  

L’option d’un repreneur non apparenté a été envisagée. « Un stagiaire français s’est montré intéressé, et nous avions amorcé un dialogue », se souvient Josée. Les enfants de Josée et ceux de Harry ont également été sondés pour explorer la possibilité de venir travailler dans l’entreprise et de faire de l’agriculture leur profession. Aucun n’a manifesté d’intérêt. 

« Le fait d’avoir réduit la charge de travail nous a aidés, explique Harry. On a fait des choix dans le but de pouvoir assumer tous les deux le travail, tout en ayant du temps pour nous reposer et profiter un peu de la vie. » La vision du couple sera de produire du lait au coût le plus bas possible, tout en respectant le bien-être animal et l’environnement.  

Le retour 

Olivier Reber ira travailler pour d’autres fermes laitières pendant deux ans, puis dans le domaine de la construction. « Ça m’a aidé à m’ouvrir à des méthodes de travail différentes, à prendre du recul et de la maturité, reconnaît le jeune agriculteur. Un jour, j’ai recommencé à parler avec mon grand-père. Lui me questionnait et moi, je lui exprimais mon point de vue et mes intentions à l’égard de la ferme familiale. Car au fond de moi, j’étais toujours intéressé à m’y établir. »  

Harry reconnaît également le travail de diplomatie accompli par son père : « Il m’a expliqué qu’Olivier espérait revenir travailler et qu’il était sérieux dans ses intentions. J’ai eu besoin de temps pour rebâtir la relation avec Olivier, refaire les liens avec la famille et faire la paix avec le passé. Josée y est pour beaucoup dans toutes ces démarches de réconciliation. » À l’automne 2019, Harry et Josée feront venir Olivier dans la laiterie pour lui faire part de leur ouverture à envisager à nouveau son établissement au sein de la Ferme vieux moulin. « Notre philosophie d’élevage est toujours la même, poursuit Harry. Toutefois, j’ai précisé à Olivier que sa vision d’apporter des changements sera considérée. » 

Deuxième essai, en 2020 

« Avec le recul, je reconnais que j’étais arrogant et incapable de discuter calmement, ce que je suis capable de faire maintenant, raconte Olivier. Le climat est beaucoup plus agréable et motivant. Lorsque je ne suis pas d’accord avec une situation, je pose des questions et j’écoute le point de vue de Harry. » Après quelques mois au cours desquels Olivier travaillera occasionnellement à la ferme, le couple et son neveu décident, en mai 2020, d’entreprendre des démarches pour concrétiser le projet de transfert d’entreprise.  

« La confiance revenue, la santé financière recouvrée, nous étions dans de meilleures dispositions pour discuter de l’avenir de la ferme », déclare Josée. L’agricultrice a insisté pour qu’une démarche officielle soit faite avec une équipe d’intervenants extérieurs spécialisés dans le transfert d’entreprise. « Ça nous a vraiment aidés à cheminer et à nous structurer », explique-t-elle. Olivier ajoute que « le fait d’avoir une personne neutre nous aide à mieux réfléchir et à garder notre calme ». Tout est pratiquement finalisé et il ne reste qu’à passer chez le notaire – ce qu’on espère faire au début de l’année 2022. 

Jeune papa de quatre enfants, Olivier se dit satisfait du dénouement. « Ma relation avec Harry s’est enrichie », confie-t-il. Sa conjointe, Alex-Geneviève Côté, travaille à l’extérieur de la ferme, mais a l’intention de pouvoir un jour le rejoindre dans la gestion quotidienne de l’entreprise. « Je suis heureux de ma nouvelle vie, explique Olivier. Il y a des désaccords qui demeurent, mais au moins on est capables de s’en parler et de les faire cheminer. Mes grands-parents n’approuvent pas toujours mes décisions, mais j’essaie de ne pas trop m’en faire, car sans eux, la ferme ne serait pas là aujourd’hui. Ils méritent mon respect. » 

Et l’avenir? « Comme changement important, je travaille à répartir les vêlages tout au long de l’année, poursuit Olivier. Je comprends mieux la gestion intensive des pâturages et son impact sur la santé du troupeau, et je veux garder cette régie. » Pour sa part, Harry se sent serein et confiant. « On a tous gagné en maturité et en ouverture d’esprit, estime cet administrateur de Novago Coopérative. Le transfert demeure un défi au quotidien, mais maintenant, je peux dire que je comprends beaucoup mieux Olivier. J’espère avoir la santé pour travailler avec lui tant et aussi longtemps qu’il aura besoin de mon aide. » On comprend l’attachement d’Olivier à cette terre : ses grands-parents paternels, arrivés de Suisse en 1982, l’ont achetée à ses grands-parents maternels!

Ferme Au Vieux Moulin

Crédits photos : Christophe Champion

Isabelle Éthier

QUI EST ISABELLE ÉTHIER
Isabelle est conseillère en gestion organisationnelle et relations humaines en milieu agricole.

isa.ethier4@gmail.com

QUI EST ISABELLE ÉTHIER
Isabelle est conseillère en gestion organisationnelle et relations humaines en milieu agricole.