Tirer des vaches ou sa révérence à la Ferme Forgel

À la Ferme Forgel, membre de Nutrinor Coopérative, il y a la vie à l’étable avec le robot de traite pour 40 kg de quota, mais aussi la vie à la maison.

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Reportage de ferme
Technologie et robotisation
Jérôme Lavoie de la Ferme Forgel
Jérôme Lavoie de la Ferme Forgel

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Étienne Gosselin

Agronome et rédacteur

Étienne est détenteur d’une maîtrise en économie rurale et œuvre comme pigiste en communications. Il cultive commercialement le raisin de table à Stanbridge East dans les Cantons-de-l’Est.

Jérôme Lavoie, 42 ans, ne vit pas pour ses vaches : ce sont ses vaches qui le font vivre. « Je bâtis ou je vends », a-t-il dit un jour, dans un quitte ou double pour se donner les moyens de s’amuser en production laitière.

« Si je fais dix ans en production laitière, j’aurai fait dix ans. » Ce genre de propos, surtout dans les fermes qui se transmettent de génération en génération, n’est pas fréquent. Et ce n’est pas que Jérôme Lavoie n’ait pas d’aïeux – ses parents Georges Lavoie et Lise Morin, ses grands-parents, Fortunat et Florence Lavoie.

Mais à la Ferme Forgel, à Alma, secteur Saint-Cœur-de-Marie, la production laitière est un travail, une occupation, certainement pas une mission. C’est en 2011 que Jérôme a pris la relève de Georges. Depuis, l’éleveur punche à 7 h sans culpabilité. « Je ne suis pas attaché aux animaux », dit celui qui, paradoxalement, affiche dans la laiterie ses vaches étoilées et détentrices de records de 80 000 kg de lait à vie, qui utilise aussi de la semence sexée et effectue du transfert embryonnaire – la dernière fournée a produit huit embryons, dont sept femelles.

Il y a donc la vie à l’étable, mais aussi à la maison, avec trois ados de 12, 14 et 16 ans. Le plus jeune, Olivier, aime bien la ferme et ses besognes – une génération de plus pour la Ferme Forgel? Pas de pression. Le plus vieux, Alexis, qui vient de terminer son secondaire, commence ses études en charpenterie-menuiserie et travaille une fin de semaine sur deux avec Jérôme à l’étable. La construction, ça aurait aussi pu être un bon plan B pour Jérôme, dont la conjointe, Maryline Gagné, est infirmière.

Et puis, deux de leurs enfants, Maeli et Alexis, jouent au hockey comme gardiens de but. Avec les matchs et les tournois, les soirées et les fins de semaine sont bien occupées! Il y a aussi la pêche dans La Grande Décharge, ce cours d’eau par où se vide le grand lac Saint-Jean. Un projet de chalet est même en cours d’élaboration. En somme, pour articuler cette vision de la production laitière entrevue comme un moyen et non une fin, il fallait un robot de traite. Et surtout les moyens d’en installer un!

Robot de traite de la Ferme Forgel
Grâce aux efforts de Georges et de Jérôme Lavoie, qui suit à la lettre les conseils de la technologue Mélanie Dufour, la ferme a produit 2,57 kg de gras et de protéine en moyenne par jour en 2024.

Robotiser la traite à 40 kg de quota

Comment faire un projet d’étable à robot quand on détient 40 kg de quota? Un agroéconomiste leur mentionne que ce sera un projet difficile à rentabiliser, mais l’institution financière de la ferme était ouverte au projet de Jérôme. « C’est ta décision », lui ont dit les banquiers. Rapidement, le producteur laitier réalise qu’il reviendrait plus cher de construire par-dessus la ferme existante – en plus de compliquer la transition d’un système de traite à l’autre.

L’homme constate aussi l’importance de bons plans et de bonnes soumissions – on est en 2019, avant la flambée du prix des matériaux pandémique. « Il n’y a pas eu plus de 50 000 $ de différence entre le budget et les coûts réels, s’enthousiasme Jérôme. Ce qui n’était pas prévu : un plancher à l’époxy, une génératrice et… une toiture de couleur! On a pris la bonne décision en installant tout de suite le système triphasé de 600 volts, ça nous a permis de raccorder un gros équipement comme le mélangeur fixe. » N’empêche, juste pour niveler le terrain avant de construire, il a fallu étendre 250 chargements de sable!

Pour dessiner le meilleur plan d’étable, Jérôme Lavoie s’est assis avec son entrepreneur général, son équipementier laitier, son médecin vétérinaire et son experte-conseil de Nutrinor Coopérative, la technicienne Mélanie Dufour, qui conseille la ferme depuis le début de sa carrière, en 1999. Il ne fallait pas se tromper, et le projet a été réussi puisque Mélanie envoie d’autres producteurs laitiers qui réfléchissent à la traite robotisée visiter la Ferme Forgel – une « étable miroir » existe même de l’autre côté du lac Saint-Jean, à Saint-Félicien! Le projet a été réalisé en un temps canon : commencé à la fête du Travail en 2019, le bâtiment était prêt pour la première traite en février 2020. Dès l’année suivante, l’ancienne étable a été convertie en stabulation libre pour taures et vaches taries.

Évidemment, les calculs optimistes de rentabilité reposaient essentiellement sur une hausse de la productivité par vache, qui s’est avérée : attachées, les vaches produisaient 9000 kg de lait par année en moyenne, mais avec l’équivalent d’une traite supplémentaire par jour grâce à l’automate, la moyenne se situe maintenant à 12 000 kg. On peut même dire que la ferme est passée de la stagnation dans une étable exiguë à la croissance puisqu’elle possède maintenant 80 kg de quota, rempli avec 53 vaches.

 C’est juste dix vaches de plus que dans l’ancienne étable, mais avec le double de quota!

— Jérôme Lavoie, de la Ferme Forgel

En fait, le plus sceptique et stressé par le changement aura été Georges. « En 1980, le syndicat de gestion nous a mis au monde, raconte-t-il. On était 40 fermes suivies par l’agronome Agathe Girard, nouvellement diplômée. Pour elle, il fallait toujours faire un projet qui permettait d’acheter du quota. » On comprendra que la conseillère incitait ses agriculteurs à cibler des investissements qui se rentabilisaient. Par exemple, en 1976, la Ferme Forgel prévoyait un budget annuel de 5000 $ pour l’installation de drains qui hausseraient la productivité végétale – une somme équivalente à 26 342 $ en dollars d’aujourd’hui!

Le goût du risque s'estompe donc avec le temps, car le soixantenaire a vécu lui-même des périodes charnières où il fallait foncer. En 1976, pour construire sa nouvelle étable avec un marteau et un mélangeur à ciment, l’homme a obtenu un prêt de 40 000 $ à un taux d’intérêt de 2 % sur 25 ans de l’Office du crédit agricole du Québec, juste avant de subir une coupure de 20 % de quota dans le lait industriel quand on tentait de fusionner, à cette époque, l’offre pour les « deux laits », soit le lait industriel et le lait de consommation. « J’ai pensé que je n’arriverais pas », lâche Georges, à qui Jérôme fait écho : « Tu pouvais dire que tu l’avais essayé. »

Parcs de la Ferme Forgel

Produire sans s’éreinter

Et la transition? « Un charme », résume Jérôme, qui s’était donné comme règle de laisser les vaches tranquilles après 22 h, un conseil que donne souvent Mélanie Dufour. Après trois ou quatre mois, les vaches allaient donc visiter le robot d’elles-mêmes. Pas une seule n’a été réformée! La transition a été plus marquante pour l’éleveur que pour les vaches, car il a probablement contracté la COVID la première semaine, en plein démarrage!

Dans l’étable, l’Almatois a prévu qu’il serait seul la plupart du temps, ce qui justifiait par exemple l’installation au-dessus de l’enclos de vêlage d’une poutre métallique sur laquelle se déplace un treuil pour assister les vaches qui ne se lèvent pas d’elles-mêmes. Aussi, pour mener les vaches à la cage de contention, l’éleveur a dû penser « en entonnoir et en corridor » pour mieux y conduire les bêtes à traiter.

La ferme, pas assez grosse pour justifier un deuxième salaire à temps plein, compte néanmoins sur un employé à temps partiel en Alexis Plourde, producteur bovin qui bosse aussi dans les travaux des champs à forfait. Un humain fiable, un robot rentable, une nouvelle étable : une vie agréable!

L’alimentation du troupeau de la Ferme Forgel

Par Mélanie Dufour, T.P., experte-conseil ruminant et végétal chez Nutrinor Coopérative

  • Quota : 79,65 kg M.G./j
  • Nombre de vaches en lactation : 53
  • Moyenne annuelle par vache : 11 460 kg de lait
  • Préfixe : FORGEL
  • MCR : 247-285-260

Veaux et génisses

  • 0-2 mois : lactoremplaceur XLR 27-16 avec Goliath Vo-21 et Deccox à volonté
  • 3-6 mois : Goliath Vo-21 et Deccox + balle ronde de foin de graminées sec
  • 6-15 mois : orge + Goliath 45 + balle ronde de foin de graminées sec
  • 15-23 mois : orge + Goliath 45 + minéral Goliath 16-4 + balle ronde de foin de graminées sec

Tarissement (-60 jours à -21 jours avant vêlage)

  • Balle ronde de foin de graminées sec
  • Tourteau de soya (0,5 kg)
  • Bloc 305 à volonté

Préparation au vêlage (-21 jours au vêlage)

  • Balle ronde de foin de graminées sec
  • 3-5 kg de ration partiellement mélangée (RPM) des vaches en lactation
  • 4,5 kg Transimil LP
  • 1 kg tourteau de soya

Vaches en lactation

  • RPM
  • 14 kg balle ronde de luzerne et de mil à 16 % de protéines brutes (P.B.)
  • 19 kg balle ronde de luzerne à 22 % P.B.
  • 5,5 kg de maïs moulu
  • 0,6 kg minéral VIP (avec bicarbonate et Bovisole)
  • Eau

Aliments au robot (un robot, trois aliments)

  • Moulée Synchro Robocoop 18 C
  • Moulée Synchro Robocoop 16-2
  • Supplément Robocoop 47 %

 

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