Produits laitiers : Narendra Modi enverra-t-il paître Donald Trump?

Le premier ministre indien Narendra Modi subit la pression du président Donald Trump pour ouvrir le marché aux produits laitiers américains.

Publié le
Grand dossier
International
Productrice laitière d'Inde
Comme des millions de petits producteurs et productrices Mme Patel, dont la ferme se situe dans l’état de Gujarat, est cœur de la révolution blanche en Inde.

Auteurs de contenu

Image de Nicolas Mesly

Nicolas Mesly

Journaliste, agr.

Nicolas est journaliste, agroéconomiste, auteur, conférencier et documentariste.

Tout comme le premier ministre canadien Mark Carney, le premier ministre indien Narendra Modi subit la pression du président Donald Trump pour ouvrir le marché le plus peuplé du monde aux produits laitiers américains.

« Le président américain Donald Trump a une dent contre son homologue indien Narendra Modi pour l’achat de pétrole et d’armes russes. C’est en partie pour cette raison qu’il a imposé une première slave de tarifs de 25 % en août dernier sur les exportations de produits indiens aux États-Unis pour renchérir ensuite à un tarif de 50 % quelques semaines plus tard », analyse Stéphane Paquin, professeur en politiques publiques et en économie politique internationale à l’École nationale d’administration publique (ENAP).

Mais c’est l’agriculture qui est au cœur de cette guerre commerciale entre les deux dirigeants. Donald Trump voit dans l’Inde, le pays le plus peuplé de la planète avec plus de 1,4 milliard d’habitants, un véritable el Dorado pour le maïs, le soya et surtout les produits laitiers américains, sur fond d’obsession de réduire le déficit commercial de 45 milliards $ E.U. avec ce pays.

« Pour Trump, l’Inde est importante. Les fermiers américains ont voté massivement républicains. Lors de la dernière élection présidentielle, trois états pivots laitiers le Wisconsin, le Michigan surtout la Pennsylvanie auraient pu tomber dans le camp démocrate. Le président est sous la pression du monde agricole pour débloquer le marché indien en vue des élections de mi-mandat de 2026 », poursuit Stéphane Paquin.

C’est oublier que l’Inde est le huitième exportateur mondial de denrées agricoles dont du riz, du maïs, du sucre, des épices, des fruits, etc. Le pays possède en effet quatre fois plus de terres cultivables que le Canada et presque autant que les États-Unis, le plus gros détenteur de foncier nourricier de la planète.

Alors que le secteur agricole représente moins de 1 % de la population aux États-Unis (comme au Canada) et 5,5 % au PIB, quelque 700 millions d’Indiens soit la moitié de la population relève de ce secteur qui contribue à hauteur de 15,5 % du GDP, soit trois fois plus qu’en Amérique du Nord.

Si Donald Trump se dit champion des agriculteurs américains, Norendra Modi en fait tout autant pour les agriculteurs indiens, particulièrement pour les producteurs de lait. L’Inde protège ses producteurs laitiers en imposant des tarifs de 40 % à 60 % sur le beurre, le fromage ou la poudre de lait, soit des tarifs comparables à ceux récemment imposés par les États-Unis.

La révolution blanche

Dans les années 1950-1960, l’Inde devait compter sur l’aide internationale pour nourrir sa population. Grâce à des avancées technologiques, le pays est devenu autosuffisant en aliments de base comme le riz, le blé, élargissant aussi son panier alimentaire avec l’aviculture et l’horticulture. Du coup, l’Inde est aussi devenu en quelques décennies le plus gros producteur laitier du monde, ce que les Indiens ont appelé « la révolution blanche ».

Cette révolution, amorcée en 1954 et qui encoure toujours, est menée dans tout le pays par le National Dairy Development Board (NDDB). L’organisation promeut le développement de coopératives, offre du financement et repose sur un vaste réseau d’éducation des agriculteurs et agricultrices, touchant la gestion et le transfert de connaissances sur l’alimentation, la santé animale, la salubrité, et l’amélioration génétique.

Le pays produit aujourd’hui deux fois plus de lait que les États-Unis. La moyenne de production par vache est cependant dix fois moins élevée, environ 1000 kg/an en Inde, comparée à plus de 10 000 kg/vache/an aux États-Unis au Canada et au Québec. Mais la production laitière est l’âme et le moteur économique rural de l’Inde et constitue un ascenseur social pour quelque 80 millions de petits producteurs et productrices marginaux qui traient de deux à quatre vaches ou de bufflonnes par jour.

« Le secteur laitier indien est très sensible et le gouvernement doit s’assurer que nos producteurs, qui sont en majorité des pauvres dans des communautés rurales, ne soient pas affectés par ces négociations avec les États-Unis », explique Jayen Mehta, directeur général de L’Anand Milk Producers Union Limited (Amul).

La coopérative géante, située dans l’État de Gujarat, est à l’origine de cette révolution blanche déclenchée pour ne plus dépendre des importations de poudre de lait et de sorties de précieuses devises étrangères. Promu par le NDDB, le modèle Amul s’est étendu comme un feu de brousse dans tout le pays jusqu’à la fin des années 1990 à travers un réseau de quelque 73 000 coopératives. Selon Rabobank, Amul est la onzième entreprise laitière au monde juste après Saputo (2024). La coopérative compte 3,6 millions de membres et produit près de deux fois plus de lait qu’Agropur qui compte 2700 sociétaires.

Homme de la coopérative Amul montrant un produit laitier
La coopérative géante laitière Amul, située dans l’état de Gujarat, est à l’origine de la révolution blanche en Inde. Amul est dérivé d’amulya qui veut dire « précieux» en sanscrit.

L’enfant du Gujarat

Premier ministre de l’Inde depuis 2014, Narendra Modi, est né et a fait une carrière politique très controversée au Gujarat, berceau d’Amul et de la révolution blanche, en raison de ses affiliations avec l’extrême droite. Il a cependant transformé la région en un état moderne en recourant entre autres aux investissements étrangers. Au lieu de provoquer un tsunami des produits laitiers provenant des États-Unis ou encore de Nouvelle-Zélande, susceptibles de balayer les petits producteurs indiens, le dirigeant actuel et ses prédécesseurs ont plutôt invité les compagnies et investisseurs étrangers à s’installer en Inde pour y créer de l’emploi et répondre à une demande phénoménale. Les multinationales françaises Lactalis et Danone y sont d’ailleurs installées. Selon les analystes de la firme conseil Fortune Business Insight le taux de croissance annuel composé du secteur laitier indien est de 6,5 % d’ici 2025-2023.

Narendra Modi cédera-t-il sous la pression de Donald Trump? Toucher aux tarifs laitiers pourrait signifier un suicide politique. De plus, le dirigeant indien a certainement en tête les manifestations monstres d’agriculteurs qui ont paralysé la capitale New Delhi lorsqu’il a voulu libéraliser le secteur agricole il y a quatre ans.

Malgré la guerre tarifaire, la Banque mondiale estime que l’économie indienne a carburé avec un taux de croissance de 6,5 % en 2024-2025, une performance propulsée par son secteur agricole grâce une généreuse mousson qui a abreuvé les récoltes et à un marché de consommation intérieur en ébullition. La Banque mondiale promet la même embellie en 2025/26. Dans ces circonstances, au pays de la vache sacrée, il est possible que le premier ministre indien envoie diplomatiquement paître son vis-à-vis américain.

Explorer davantage

Autres suggestions de lecture

Grand dossier
International

Le Japon entrouvre la porte au riz américain

Le Japon met-il sa sécurité alimentaire en jeu avec l'entente commerciale permettant l'entrée du riz américain sur l'archipel nippone?